Secours à victime — Avec 400 000 départs sur 522 000 interventions en 2018, le secours d’urgence aux personnes est plus que jamais le cœur de métier de la Brigade. Une multitude de situations, de gestes et de conséquences, qui, une fois analysés, permettent de faire évoluer le métier. Alors que le retour d’expérience est en plein essor au sein de l’Institution, nous avons rencontré le docteur Frédérique Briche, responsable de la section « médicale SAV » du bureau de médecine d’urgence (BMU). Le RETEX, largement utilisé par le corps médical est à la base de tous ses travaux. De la qualité de la formation, à l’écriture du référentiel, en passant par les expérimentations prochaines, elle nous précise les contours de son travail.
Allo 18-Le Mag : Quelles missions incombent à votre section ?
Docteur Frédérique Briche (Responsable de la section « médicale SAV ») : Nous concevons la doctrine du secours d’urgence aux personnes et nous pilotons ou conseillons toutes les formations qui y sont liées. Cela concerne la jeune recrue, les opérateurs 18 et ceux de la coordination médicale, mais surtout les futurs chefs d’agrès des véhicules de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) de la Brigade. Pour ce faire, nous nous appuyons sur la solide expertise du Centre de formation du secours aux victimes (CFSAV) du Fort de Villeneuve-Saint-Georges (94) et du Centre de formation des cadres (CFC) situé à Saint-Denis (93). Nous travaillons également avec plusieurs sections de la division santé, mais aussi avec le bureau planification opérationnelle (BPO), le bureau opération préparation opérationnelle (BOPO) et la compagnie de commandement et de transmissions (CCT) pour des missions spécifiques.
À la Brigade, le retour d’expérience est en pleine expansion, est-ce aussi le cas pour vous ?
Ce n’est pas une notion nouvelle pour le personnel de la division santé. Le retour d’expérience est d’ailleurs largement utilisé dans le domaine de la médecine, tant dans les hôpitaux civils que militaires, depuis de nombreuses années. Il permet en effet, une meilleure prise en charge des patients d’année en année. À la Brigade, et particulièrement au sein de notre division, nous nous appuyons sur le RETEX depuis près de dix ans. Mais depuis 2018, les processus se sont professionnalisés. Nous avons créé un véritable réseau du retour d’expérience « SUAP », notamment en relation avec les référents de chaque groupement de la BSPP. Et depuis peu, notre base de données a été fusionnée avec celle de la section RETEX du BPO. Aujourd’hui, il y a une véritable cohérence de tous les acteurs de cette chaîne.
Concrètement, que permet le RETEX dans la filière du secours à personne ?
Du retour d’expérience, dépend une partie de la résilience de notre système. Cela se vérifie dans le domaine du SUAP. Le but est simple : faire partager au plus grand nombre, les enseignements d’une erreur commise afin qu’elle ne se reproduise pas. Chaque fois que nous prenons connaissance d’un évènement indésirable lié à un patient (arrêt cardiaque non prévu, plainte d’un hôpital, séquelles lourdes, etc.), nous analysons l’opération dans sa globalité. Cela commence par l’écoute attentive de l’appel 18 et du bilan transmis à la coordination médicale. Nous vérifions ensuite le contenu et la cohérence de la fiche bilan puis la qualité de la prise en charge de la victime par l’équipage de l’engin de premiers secours. Enfin, nous examinons les informations transmises lors du relais effectué à l’hôpital avec l’infirmière d’accueil et d’orientation.
Notre démarche n’est pas punitive ! Il faut que la parole soit libre.
Rencontrez-vous les personnes directement concernées ?
Oui, régulièrement. Nous sommes clairement dans une démarche de qualité, base du RETEX. Dans ce cas, un entretien est provoqué avec le personnel ou l’équipage de l’engin concerné. Effectué sur le principe d’une simple discussion, le récit des faits nous permet d’améliorer notre compréhension des événements et des actions entreprises. Attention, notre démarche n’est pas punitive ! Il faut que la parole soit libre. C’est important de préciser qu’en accord avec le commandant du groupement concerné, aucune sanction n’est prise à l’issue de notre rencontre. Les informations sont analysées, puis nous rédigeons une fiche RETEX d’analyse ciblée (RAC). Elle regroupe les faits anonymisés, puis une conclusion est effectuée par notre division. Cette fiche est ensuite partagée, elle permet d’alerter le personnel des risques existants sur de telles opérations. En 2018, dix RAC ont été portés à la connaissance de tous. Lorsque cela est nécessaire, nous apportons des connaissances supplémentaires au personnel concerné. Parfois, un évènement indésirable met en exergue un défaut des règlements et des procédures utilisées…
C’est pour cela que le BSP 200.2 est fréquemment mis à jour ?
Oui, le RETEX apporte son lot de modifications au BSP 200.2. Notre doctrine du secours aux victimes, élaborée par le personnel de la section « médicale SAV » est aujourd’hui un document de référence pour tous les sapeurs-pompiers de France. Depuis sa parution en 2011 il n’a cessé d’évoluer, la qualité de nos chefs d’agrès également. Il permet de faire acquérir au personnel le niveau de connaissances nécessaires, permettant au médecin coordinateur de décider du devenir des victimes prises en charge. Nous avons grandement étoffé certaines parties, notamment celles autour de la traumatologie et des détresses vitales, faisant ainsi diminuer les erreurs de décision dans ces domaines. Car le besoin de formation découle du RETEX, lui-même souvent issus d’évènements indésirables. Aujourd’hui, le BSP 200.2 n’est plus amené à recevoir de nouveaux chapitres. Il est déjà très complet, mais des ajustements sont toujours nécessaires. Ainsi, il s’adapte à l’actualité, aux recommandations nationales, mais aussi à celles de l’ILCOR*, le Comité de liaison international sur la réanimation. Les chefs d’agrès peuvent aussi nous proposer, grâce à leur expérience, de modifier le référentiel. Ils le font en contactant directement notre cellule, ou via les référents du CFC, du CFSAV ou des groupements.
Comment sont formés les futurs chefs d’agrès VSAV de la Brigade ?
Parler uniquement de la formation des caporaux-chefs serait réducteur, car la réussite de nos interventions dépend d’une boucle complète du SUAP. Cela commence tout d’abord par la formation des jeunes recrues, conduite en intégralité par le GFIS par le biais du CFSAV. Nous participons à la formation des opérateurs 18⁄112. C’est un métier à part entière ! Des cours théoriques, mais aussi des mises en situation leur permettent d’envoyer les secours de manière standardisée, notamment grâce à un arbre d’aide à la décision, algorithme que nous avons développé en interne. Ces hommes et ces femmes sont capables de détecter une détresse vitale et de faire pratiquer des gestes d’urgences à distance. Nous sommes également en appui de la section coordination médicale pour les cours destinés à ceux qui prennent les bilans par téléphone. Afin de pouvoir comprendre la détresse d’une victime, ces derniers doivent détenir les mêmes connaissances de base que les caporaux-chefs.
Un nouveau concept d’emploi des sacs de prompts-secours va être expérimenté.
Et concernant la formation de ces derniers ?
La formation « SUAP » des caporaux-chefs de la Brigade est de très bonne facture, notamment grâce à la qualité de l’encadrement du PECCH*. Elle s’étend sur trois semaines au Centre de formation des cadres. Nous sommes très impliqués dans ce processus. Durant sept jours, jusqu’à huit sapeurs-pompiers de la division santé, médecins et infirmiers viennent former et évaluer environ 55 stagiaires. Ce sont pour nous des moments privilégiés d’apprentissage et de partage, notamment lors des nombreux cas concrets que nous encadrons. Basés essentiellement sur du RETEX, nous nous efforçons de les rendre le plus réalistes possible. À la fin de ce module, les élèves possèdent une grande connaissance de cas opérationnels. Nous les préparons clairement aux cas les plus graves, en leur inculquant l’intelligence de situation par l’apprentissage de la tactique opérationnelle.
Et par la suite ?
En plus de la formation continue quotidienne, chaque compagnie participe à une demi-journée sur les trois semaines, dédiée au maintien des connaissances de ses chefs d’agrès en matière de secours aux victimes. Un binôme, composé d’un médecin ou d’un infirmier et d’un référent groupement encadre la séance au sein du centre de secours demandeur. Le programme s’adapte à l’actualité, aux nouvelles recommandations nationales, mais également aux conclusions des derniers RETEX. Cette année, par exemple, nous abordons la nouvelle procédure de prise en charge des accidents d’exposition au sang (AES). C’est également l’occasion de présenter du nouveau matériel et de faire quelques rappels. Depuis peu, nous avons complété notre gamme de harnais de transport par un modèle pédiatrique. Le risque de survenue d’un accident de circulation pendant un transport vers l’hôpital n’est jamais écarté. Seul ce matériel permet de protéger nos jeunes victimes d’un risque traumatique.
Quels sont vos projets pour l’année 2019 ?
Ils sont multiples, mais les plus significatifs vont grandement améliorer les conditions de travail du sapeur-pompier de Paris et la qualité des soins donnés aux patients. Nous souhaitons par exemple, simplifier la prise en charge et la mobilisation des traumatisés. Nous étudierons également la possibilité de mettre en place une cellule « démarche qualité » au centre opérationnel qui permettrait d’encadrer en permanence les opérateurs afin d’améliorer la prise d’appel en tendant vers l’envoi au juste besoin. Un nouveau concept d’emploi des sacs de prompts-secours va être expérimenté. L’idée serait de réduire considérablement l’emport du matériel sur les lieux de l’opération. En fonction du motif de départ, des sacoches additionnelles (parturiente, brûlure, hémorragique, etc.) seront emportées et viendront compléter un sac devenu minimaliste. De même, pourquoi porter une réserve d’oxygène sur tous les départs lorsque l’on sait que dans seulement 6 % des interventions ce médicament est utilisé ? Enfin, au deuxième semestre 2019, un prototype de fiche bilan informatisée, disponible à l’aide d’une tablette tactile va être testé. À terme, ce sera une révolution pour l’Institution. Aujourd’hui nous sommes encore aux prémices de ce nouvel outil interactif et hyper-connecté. Pour affiner sa version finale, nous aurons besoin de l’expérience des chefs d’agrès, des infirmiers et des médecins d’aujourd’hui.
A lire aussi…
RETOUR D’EXPERIENCE – Une composante essentielle de l’opération