RETEX — Partager les enseignements d’une erreur afin qu’elle ne se reproduise pas

Secours à victime — Avec 400 000 départs sur 522 000 interventions en 2018, le secours d’urgence aux personnes est plus que jamais le cœur de métier de la Brigade. Une multitude de situations, de gestes et de conséquences, qui, une fois analysés, permettent de faire évoluer le métier. Alors que le retour d’expérience est en plein essor au sein de l’Institution, nous avons rencontré le docteur Frédérique Briche, responsable de la section « médicale SAV » du bureau de médecine d’urgence (BMU). Le RETEX, largement utilisé par le corps médical est à la base de tous ses travaux. De la qualité de la formation, à l’écriture du référentiel, en passant par les expérimentations prochaines, elle nous précise les contours de son travail.

La rédac­tion Allo18 —  — Modi­fiée le 21 juillet 2024 à 09 h 41 

Allo 18-Le Mag : Quelles mis­sions incombent à votre sec­tion ?
Doc­teur Fré­dé­rique Briche (Res­pon­sable de la sec­tion « médi­cale SAV ») : Nous conce­vons la doc­trine du secours d’urgence aux per­sonnes et nous pilo­tons ou conseillons toutes les for­ma­tions qui y sont liées. Cela concerne la jeune recrue, les opé­ra­teurs 18 et ceux de la coor­di­na­tion médi­cale, mais sur­tout les futurs chefs d’agrès des véhi­cules de secours et d’assistance aux vic­times (VSAV) de la Bri­gade. Pour ce faire, nous nous appuyons sur la solide exper­tise du Centre de for­ma­tion du secours aux vic­times (CFSAV) du Fort de Vil­le­neuve-Saint-Georges (94) et du Centre de for­ma­tion des cadres (CFC) situé à Saint-Denis (93). Nous tra­vaillons éga­le­ment avec plu­sieurs sec­tions de la divi­sion san­té, mais aus­si avec le bureau pla­ni­fi­ca­tion opé­ra­tion­nelle (BPO), le bureau opé­ra­tion pré­pa­ra­tion opé­ra­tion­nelle (BOPO) et la com­pa­gnie de com­man­de­ment et de trans­mis­sions (CCT) pour des mis­sions spécifiques.

À la Bri­gade, le retour d’expérience est en pleine expan­sion, est-ce aus­si le cas pour vous ?
Ce n’est pas une notion nou­velle pour le per­son­nel de la divi­sion san­té. Le retour d’expérience est d’ailleurs lar­ge­ment uti­li­sé dans le domaine de la méde­cine, tant dans les hôpi­taux civils que mili­taires, depuis de nom­breuses années. Il per­met en effet, une meilleure prise en charge des patients d’année en année. À la Bri­gade, et par­ti­cu­liè­re­ment au sein de notre divi­sion, nous nous appuyons sur le RETEX depuis près de dix ans. Mais depuis 2018, les pro­ces­sus se sont pro­fes­sion­na­li­sés. Nous avons créé un véri­table réseau du retour d’expérience « SUAP », notam­ment en rela­tion avec les réfé­rents de chaque grou­pe­ment de la BSPP. Et depuis peu, notre base de don­nées a été fusion­née avec celle de la sec­tion RETEX du BPO. Aujourd’hui, il y a une véri­table cohé­rence de tous les acteurs de cette chaîne.

Concrè­te­ment, que per­met le RETEX dans la filière du secours à per­sonne ?
Du retour d’expérience, dépend une par­tie de la rési­lience de notre sys­tème. Cela se véri­fie dans le domaine du SUAP. Le but est simple : faire par­ta­ger au plus grand nombre, les ensei­gne­ments d’une erreur com­mise afin qu’elle ne se repro­duise pas. Chaque fois que nous pre­nons connais­sance d’un évè­ne­ment indé­si­rable lié à un patient (arrêt car­diaque non pré­vu, plainte d’un hôpi­tal, séquelles lourdes, etc.), nous ana­ly­sons l’opération dans sa glo­ba­li­té. Cela com­mence par l’écoute atten­tive de l’appel 18 et du bilan trans­mis à la coor­di­na­tion médi­cale. Nous véri­fions ensuite le conte­nu et la cohé­rence de la fiche bilan puis la qua­li­té de la prise en charge de la vic­time par l’équipage de l’engin de pre­miers secours. Enfin, nous exa­mi­nons les infor­ma­tions trans­mises lors du relais effec­tué à l’hôpital avec l’infirmière d’accueil et d’orientation.

Notre démarche n’est pas puni­tive ! Il faut que la parole soit libre.

Ren­con­trez-vous les per­sonnes direc­te­ment concer­nées ?
Oui, régu­liè­re­ment. Nous sommes clai­re­ment dans une démarche de qua­li­té, base du RETEX. Dans ce cas, un entre­tien est pro­vo­qué avec le per­son­nel ou l’équipage de l’engin concer­né. Effec­tué sur le prin­cipe d’une simple dis­cus­sion, le récit des faits nous per­met d’améliorer notre com­pré­hen­sion des évé­ne­ments et des actions entre­prises. Atten­tion, notre démarche n’est pas puni­tive ! Il faut que la parole soit libre. C’est impor­tant de pré­ci­ser qu’en accord avec le com­man­dant du grou­pe­ment concer­né, aucune sanc­tion n’est prise à l’issue de notre ren­contre. Les infor­ma­tions sont ana­ly­sées, puis nous rédi­geons une fiche RETEX d’analyse ciblée (RAC). Elle regroupe les faits ano­ny­mi­sés, puis une conclu­sion est effec­tuée par notre divi­sion. Cette fiche est ensuite par­ta­gée, elle per­met d’alerter le per­son­nel des risques exis­tants sur de telles opé­ra­tions. En 2018, dix RAC ont été por­tés à la connais­sance de tous. Lorsque cela est néces­saire, nous appor­tons des connais­sances sup­plé­men­taires au per­son­nel concer­né. Par­fois, un évè­ne­ment indé­si­rable met en exergue un défaut des règle­ments et des pro­cé­dures utilisées…

C’est pour cela que le BSP 200.2 est fré­quem­ment mis à jour ?
Oui, le RETEX apporte son lot de modi­fi­ca­tions au BSP 200.2. Notre doc­trine du secours aux vic­times, éla­bo­rée par le per­son­nel de la sec­tion « médi­cale SAV » est aujourd’hui un docu­ment de réfé­rence pour tous les sapeurs-pom­piers de France. Depuis sa paru­tion en 2011 il n’a ces­sé d’évoluer, la qua­li­té de nos chefs d’agrès éga­le­ment. Il per­met de faire acqué­rir au per­son­nel le niveau de connais­sances néces­saires, per­met­tant au méde­cin coor­di­na­teur de déci­der du deve­nir des vic­times prises en charge. Nous avons gran­de­ment étof­fé cer­taines par­ties, notam­ment celles autour de la trau­ma­to­lo­gie et des détresses vitales, fai­sant ain­si dimi­nuer les erreurs de déci­sion dans ces domaines. Car le besoin de for­ma­tion découle du RETEX, lui-même sou­vent issus d’évènements indé­si­rables. Aujourd’hui, le BSP 200.2 n’est plus ame­né à rece­voir de nou­veaux cha­pitres. Il est déjà très com­plet, mais des ajus­te­ments sont tou­jours néces­saires. Ain­si, il s’adapte à l’actualité, aux recom­man­da­tions natio­nales, mais aus­si à celles de l’ILCOR*, le Comi­té de liai­son inter­na­tio­nal sur la réani­ma­tion. Les chefs d’agrès peuvent aus­si nous pro­po­ser, grâce à leur expé­rience, de modi­fier le réfé­ren­tiel. Ils le font en contac­tant direc­te­ment notre cel­lule, ou via les réfé­rents du CFC, du CFSAV ou des groupements.

Com­ment sont for­més les futurs chefs d’agrès VSAV de la Bri­gade ?
Par­ler uni­que­ment de la for­ma­tion des capo­raux-chefs serait réduc­teur, car la réus­site de nos inter­ven­tions dépend d’une boucle com­plète du SUAP. Cela com­mence tout d’abord par la for­ma­tion des jeunes recrues, conduite en inté­gra­li­té par le GFIS par le biais du CFSAV. Nous par­ti­ci­pons à la for­ma­tion des opé­ra­teurs 18112. C’est un métier à part entière ! Des cours théo­riques, mais aus­si des mises en situa­tion leur per­mettent d’envoyer les secours de manière stan­dar­di­sée, notam­ment grâce à un arbre d’aide à la déci­sion, algo­rithme que nous avons déve­lop­pé en interne. Ces hommes et ces femmes sont capables de détec­ter une détresse vitale et de faire pra­ti­quer des gestes d’urgences à dis­tance. Nous sommes éga­le­ment en appui de la sec­tion coor­di­na­tion médi­cale pour les cours des­ti­nés à ceux qui prennent les bilans par télé­phone. Afin de pou­voir com­prendre la détresse d’une vic­time, ces der­niers doivent déte­nir les mêmes connais­sances de base que les caporaux-chefs.

Un nouveau concept d’emploi des sacs de prompts-secours va être expérimenté.

Et concer­nant la for­ma­tion de ces der­niers ?
La for­ma­tion « SUAP » des capo­raux-chefs de la Bri­gade est de très bonne fac­ture, notam­ment grâce à la qua­li­té de l’encadrement du PECCH*. Elle s’étend sur trois semaines au Centre de for­ma­tion des cadres. Nous sommes très impli­qués dans ce pro­ces­sus. Durant sept jours, jusqu’à huit sapeurs-pom­piers de la divi­sion san­té, méde­cins et infir­miers viennent for­mer et éva­luer envi­ron 55 sta­giaires. Ce sont pour nous des moments pri­vi­lé­giés d’apprentissage et de par­tage, notam­ment lors des nom­breux cas concrets que nous enca­drons. Basés essen­tiel­le­ment sur du RETEX, nous nous effor­çons de les rendre le plus réa­listes pos­sible. À la fin de ce module, les élèves pos­sèdent une grande connais­sance de cas opé­ra­tion­nels. Nous les pré­pa­rons clai­re­ment aux cas les plus graves, en leur incul­quant l’intelligence de situa­tion par l’apprentissage de la tac­tique opérationnelle.

Et par la suite ?
En plus de la for­ma­tion conti­nue quo­ti­dienne, chaque com­pa­gnie par­ti­cipe à une demi-jour­née sur les trois semaines, dédiée au main­tien des connais­sances de ses chefs d’agrès en matière de secours aux vic­times. Un binôme, com­po­sé d’un méde­cin ou d’un infir­mier et d’un réfé­rent grou­pe­ment encadre la séance au sein du centre de secours deman­deur. Le pro­gramme s’adapte à l’actualité, aux nou­velles recom­man­da­tions natio­nales, mais éga­le­ment aux conclu­sions des der­niers RETEX. Cette année, par exemple, nous abor­dons la nou­velle pro­cé­dure de prise en charge des acci­dents d’exposition au sang (AES). C’est éga­le­ment l’occasion de pré­sen­ter du nou­veau maté­riel et de faire quelques rap­pels. Depuis peu, nous avons com­plé­té notre gamme de har­nais de trans­port par un modèle pédia­trique. Le risque de sur­ve­nue d’un acci­dent de cir­cu­la­tion pen­dant un trans­port vers l’hôpital n’est jamais écar­té. Seul ce maté­riel per­met de pro­té­ger nos jeunes vic­times d’un risque traumatique.

Quels sont vos pro­jets pour l’année 2019 ?
Ils sont mul­tiples, mais les plus signi­fi­ca­tifs vont gran­de­ment amé­lio­rer les condi­tions de tra­vail du sapeur-pom­pier de Paris et la qua­li­té des soins don­nés aux patients. Nous sou­hai­tons par exemple, sim­pli­fier la prise en charge et la mobi­li­sa­tion des trau­ma­ti­sés. Nous étu­die­rons éga­le­ment la pos­si­bi­li­té de mettre en place une cel­lule « démarche qua­li­té » au centre opé­ra­tion­nel qui per­met­trait d’encadrer en per­ma­nence les opé­ra­teurs afin d’améliorer la prise d’appel en ten­dant vers l’envoi au juste besoin. Un nou­veau concept d’emploi des sacs de prompts-secours va être expé­ri­men­té. L’idée serait de réduire consi­dé­ra­ble­ment l’emport du maté­riel sur les lieux de l’opération. En fonc­tion du motif de départ, des sacoches addi­tion­nelles (par­tu­riente, brû­lure, hémor­ra­gique, etc.) seront empor­tées et vien­dront com­plé­ter un sac deve­nu mini­ma­liste. De même, pour­quoi por­ter une réserve d’oxygène sur tous les départs lorsque l’on sait que dans seule­ment 6 % des inter­ven­tions ce médi­ca­ment est uti­li­sé ? Enfin, au deuxième semestre 2019, un pro­to­type de fiche bilan infor­ma­ti­sée, dis­po­nible à l’aide d’une tablette tac­tile va être tes­té. À terme, ce sera une révo­lu­tion pour l’Institution. Aujourd’hui nous sommes encore aux pré­mices de ce nou­vel outil inter­ac­tif et hyper-connec­té. Pour affi­ner sa ver­sion finale, nous aurons besoin de l’expérience des chefs d’agrès, des infir­miers et des méde­cins d’aujourd’hui.


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