Grands formats — Du 10 au 13 mars 1958, tout un quartier du XXe arrondissement de Paris est en feu. Un incendie ravage plusieurs habitations sous le regard des pompiers… immobiles. Les quelques badauds sont intrigués par l’attitude des soldats du feu qui pourtant s’explique. Histoire.
Au travers d’une politique urbaine qui souhaite assainir la ville en faisant disparaître des quartiers entiers désignés sous le nom « d’îlots insalubres », le colonel Besson (qui commandera le Régiment du 11 mars 1962 au 16 mars 1963) trouve le moyen de participer à la destruction de cette zone d’habitations mais de manière profitable. Ainsi l’îlot insalubre n°11, le plus ancien de Paris au sein du quartier des Amandiers situé au nord du cimetière du Père Lachaise, entre les numéros 24 à 32 rue des Amandiers et les numéros 5 à 5bis impasse Ronce, fait l’objet d’une expérimentation particulière sur le comportement du feu. Un quartier miséreux que s’apprêtent à détruire les pompiers. « Aucune commodité, des pièces exiguës, pas d’eau courante, […] une rue étroite lugubre et avec cela une puanteur agressive » comme le décrit Georges Guilhot2 qui participa à cette aventure.
Le commandement du Régiment voit alors dans cette destruction massive, un point de vue idéal sur la naissance et le développement des incendies. Lors des interventions, les observations sont toujours différées, car le feu débute avant l’arrivée de secours et, une fois sur place, l’urgence est à l’extinction la plus rapide possible et non à l’étude.
Or ici, c’est l’occasion de réaliser ces observations et d’en tirer des enseignements. En témoigne le fameux adage : « Dis-moi comment tu brûles, et je te dirai comment t’éteindre et te prévenir ». Les officiers du Régiment travaille en collaboration avec le centre scientifique et technique du bâtiment afin d’enregistrer les températures et les gaz de combustion. Cet organisme a été créé en 1947 pour accompagner la reconstruction d’après-guerre en France. Il a pour mission de garantir la qualité et la sécurité des bâtiments.
Empêcher la propagation de l’incendie
Les pompiers préparent les essais le 10 mars. C’est une véritable mise en scène. Des portes coupe-feu sont installées à des endroits précis et les fenêtres brisées sont remplacées. Pour le reste, les ordres sont formels : « Laisser les choses en l’état et y mettre le feu ». Du bois, des allumettes, de l’essence et trois jeunes caporaux pour la mise à feu (Farge, Maupat et Guilhot), mais également pour empêcher la propagation de l’incendie hors des limites prévues, puis pour l’éteindre à la fin de l’expérience.
Le 11 mars débute la première phase. Il s’agit d’analyser quatre aspects d’un incendie d’habitations. Tout d’abord, le développement du feu dans un local en fonction de deux variables (le potentiel calorifique et la ventilation). Ensuite, la propagation du feu en dehors du local où il a pris naissance et notamment la transmission des incendies par rayonnement d’un étage à un autre. Puis, vient la mesure de la teneur en gaz toxiques (oxyde de carbone CO) de l’atmosphère des locaux incendiés. Et enfin, un rapport sur la valeur de certains dispositifs de prévention utilisés.
Les lances monitor en action
Le jeudi 13 mars, une seconde expérimentation est mise en place. Les pompiers déclenchent un incendie généralisé sur une surface de 5 000 m² comprenant vingt-trois bâtiments. Là, il est question d’étudier le comportement des feux allumés dans plusieurs bâtiments et livrés à eux-mêmes. Mais également d’observer les propagations de bâtiments à bâtiments et de tester des espaces coupe-feu. Les soldats du feu en profitent pour tester du nouveau matériel. Ainsi, les lances monitor, en service depuis 1956 (4 000 l/minute) sont mises en place et une expérimentation est réalisée sur le jet d’eau pulvérisé comme écran entre les flammes et la chaleur rayonnante.
Les nombreuses observations et les différents relevés vont permettre de tirer des enseignements sur le développement et la propagation des incendies ainsi que sur certains phénomènes qui les accompagnent.
Ce feu spectaculaire attire de nombreux parisiens curieux et les pompiers doivent former un cordon sanitaire avec leurs tuyaux. L’expérience est une réussite car elle a été bien organisée et suffisamment protégée. S’en est suivie une semaine de déblai.
Sources :
1- Yankel Fijalkow, La Construction des îlots insalubres. Paris 1850 – 1945, L’Harmattan, 1997
2- Mon histoire aux sapeurs-pompiers de Paris, Edilivre, 2016
3 — L’ami du XXe
« Laisser les choses en l’état et y mettre le feu ».
PARIS. Les pompiers allument un feu… en vidéo
Les actualités britanniques de l’époque surprennent les pompiers dans cet exercice peu commun et décident de le relater en image.
Voila la traduction de la vidéo d’époque qui suit.
« Vingt-trois maisons et immeubles vétustes à Paris vont être démolis. Les pompiers de Paris ont donc décidé que c’était une bonne excuse pour s’entraîner. Quelques litres d’essence, un avertissement, et c’est parti. Les vieilles maisons ont été remplies avec des morceaux de bois donc pas le temps de flâner. Ce n’est pas souvent que notre cameraman soit averti d’un incendie et il est encore plus rare pour le pompier de le filmer aussi. Ils veulent étudier chaque détail de l’exercice, donc leur caméraman a travaillé à nos côtés. Le but de l’exercice, n’est pas seulement de faire des manœuvres, c’est aussi d’essayer de nouveaux matériels comme cette lance canon qui prétend envoyer un jet d’eau à 3 km. Espérons que le gouvernement français possède des parapluies. Paris n’est pas si grand. Le souci principal est de s’assurer que l’incendie ne se propage pas aux maisons qui n’ont pas été condamnées. Mais tout est sous contrôle, l’exercice est un succès et des leçons précieuses ont été apprises. La seule plainte provient du syndicat des démolisseurs, on a fini leur travail. »