Retour d’inter — Le jeudi 27 avril, les secours font face à un violent feu dans un parc de stationnement couvert. L’intervention bascule lorsque la dalle végétalisée s’effondre sur le sinistre. Un drame a été évité ce jour-là. C’est l’heure du RETEX.
Il est 10 h 15 du matin lorsque le lieutenant William Soulignac, officier de garde de la 26e compagnie, est sonné pour un feu dans un parc de stationnement couvert à Aubervilliers. « Je pars tout seul de Saint-Denis. Les autres engins partent d’Aubervilliers, de Pantin et de La Courneuve », entame l’officier expérimenté de 18 ans de service. « Lorsque je me présente sur les lieux, je distingue tout de suite un énorme panache de fumée. Je ne me pose pas de questions, je sais que l’incendie se développe en dessous » constate-t-il dès les premiers instants. Le parc de stationnement couvert d’une superficie d’environ 1 500 m² est surplombé par une dalle de béton sur laquelle sont installées des aires de jeux pour enfants. À l’est, ainsi qu’à l’ouest, du parking se trouvent deux immeubles. Le parc de stationnement compte trois accès en plus de la rampe. Les accès B et C sont situés à l’ouest et sont de plain-pied. L’accès A est situé sur l’angle nord-est, sur la dalle. Le lieutenant sait que l’intervention va monter en puissance et qu’il va prendre le commandement des opérations de secours. Les premiers engins sont déjà présentés depuis quelques minutes, le lieutenant William Soulignac prend contact très rapidement avec l’adjudant H., chef de garde et premier commandant des opérations de secours. Le sous-officier vient d’engager les deux premiers engins-pompes et a tout juste demandé à la radio quatre engins-pompes supplémentaires. Les deux hommes effectuent un tour du feu. « La première décision que nous avons prise, au vu du sinistre, est de blinder la sécurité. À chaque accès, il faut deux engins-pompes », nous explique le lieutenant Soulignac. La rampe est laissée libre, car elle est réservée au groupe d’exploration longue durée. « Ma première mesure est d’engager un engin-pompe de chaque côté du parking pour m’assurer qu’il n’y a pas de communication avec l’immeuble. » Les équipes reconnaissent rapidement les premiers niveaux des immeubles. L’environnement est sain, les immeubles d’habitations ne risquent rien.
Devant l’accès C, le lieutenant Soulignac prend contact avec le chef d’agrès du PSE de Pantin qui lui rend compte : « Mon lieutenant, ça brûle à l’intérieur, j’ai une vue sur le sinistre, mais je n’engage pas mes hommes, car la chaleur est trop intense ». Le lieutenant s’en remet à la décision du chef d’agrès. Au niveau de l’accès C, les soldats d’Auber sont partis en reconnaissance, et ils localisent également le foyer. La lance est inefficace, car le sinistre se situe à l’intérieur des boxes. Le lieutenant demande par radio le renfort d’une section exploration longue durée qui arrive très rapidement du Blanc-Mesnil. « Je leur donne l’ordre de faire les reconnaissances » témoigne l’officier. Le lieutenant effectue un dernier tour, « j’entends un bruit impossible à décrire. Comme un craquement sourd » se souvient-il, mais il continue. Il rejoint l’officier poste de commandement tactique au niveau de l’accès. « Je démarre mon compte-rendu avec l’officier PC quand le lieutenant-colonel Delaforge, officier supérieur de garde groupement, arrive. Je lui fais un point de situation complet et lui confirme que tout est blindé niveau sécurité. »
« Et là, ça tombe. » « En plein milieu du compte-rendu, on ressent comme une explosion avec un dégagement de fumée absolument incroyable qui nous plonge dans le noir » continue l’officier. Le lieutenant-colonel Delaforge témoigne à son tour. « C’était comme un grondement sourd avec une impression très claire de tonnerre. C’est un combiné de nuit, de chaleur, de souffle avec beaucoup de poussière et de gravats ». Il leur faut quelques secondes pour se rendre compte de ce qu’il vient de se passer. « Nous allumons les lampes, elles n’éclairent pas sur dix centimètres » poursuit l’officier supérieur.
« Je sais que le drame a été évité. » L’intervention bascule, l’alerte repli est donnée par la corne de brume, et par les trois canaux de radio. Désormais, le lieutenant-colonel Gauthier Delaforge sait qu’il va prendre le COS. Sa première mission : réattribuer les secteurs et faire un décompte des pompiers engagés pour pouvoir demander un renfort secours. Le lieutenant Soulignac devient chef de secteur Alpha, l’adjudant-chef G., chef de la section ELD devient chef de secteur Delta et l’adjudant Hesse du secteur Charlie. Le lieutenant-colonel poursuit. « Je lance mon chrono sur ma montre et je me laisse soixante secondes pour demander un renfort secours. J’ai compris qu’il y avait des équipes engagées à l’intérieur, je me dis aussi qu’avec de la chance, il n’y a plus personne dessous. » Le lieutenant-colonel fait le tour accompagné de son conducteur. Il se retrouve en secteur Delta et voit l’adjudant-chef G., « personne n’était engagé, j’ai tout le monde, pas de blessé », lui confirme le sous-officier. Lorsqu’il arrive en Charlie, il aperçoit deux pompiers qui sont extraits, traînés par terre puis mis à l’abri. Le lieutenant-colonel Delaforge les regarde, ils sont conscients. L‘adjudant H. lui confirme à son tour, « Mon colonel, je vous certifie que j’ai tout le monde ». Le lieutenant-colonel Delaforge se dirige vers le véhicule PC qui vient tout juste de s’ouvrir. « Je décide de ne pas demander renfort secours, car tout le monde est sorti. Nous avons des blessés, mais ils sont conscients. Je prends le COS, relate-t-il. Je passe moi-même le message d’ambiance. Dans mon message, je veux dire que la situation est grave, mais qu’elle est sous contrôle. Mon idée de manœuvre est de remettre en place tout le dispositif à chaque point d’accès avec des moyens lourds. Je sais qu’à terme, j’aurai besoin de mousse. Donc, on va partir sur au moins une ligne de tuyaux de 110 millimètres à chaque point d’accès et des moyens en plus. »
« Renfort poste de commandement. » « Quand je demande le renfort poste de commandement, les deux officiers de garde qui vont arriver sont deux capitaines, commandant d’unités, doté d’une grande expérience opérationnelle. Ce sont les meilleurs que je puisse avoir. » Le lieutenant-colonel Gauthier Delaforge demande « renfort commandement », car il sait qu’il va avoir besoin de beaucoup de moyens, que l’intervention va s’inscrire dans la durée et qu’il va avoir une très grosse surcharge cognitive. Il veut disposer d’une architecture de commandement qui lui permette de bien travailler. Les points d’accès les plus proches du sinistre sont gérés par des chefs de secteur autonomes. Les secteurs des reconnaissances, au niveau de deux immeubles et de l’école située derrière, sont gérés par des sous-officiers. Le dispositif médical est assez important. Le lieutenant-colonel Delaforge sait aussi que les autorités civiles vont rapidement vouloir des réponses quant au taux de toxicité du panache de fumée présent dans l’air. « Pour pouvoir gérer tous ces chefs de secteur et tous ces sujets, je fais le choix de mettre entre les chefs de secteur et moi-même un officier aguerri, le capitaine Birckenstock que je nomme directeur des secours incendie et sauvetage. » Le capitaine Philippe Birckenstock vient d’arriver sur les lieux. Il n’a pas vécu le début de l’intervention. « L’avantage évident que j’ai est de ne pas avoir vécu l’effondrement, j’arrive après » raconte l’officier. « Le dispositif est déjà remis en place, je ne suis pas parasité par l’effondrement. Les pompiers vont bien. Mon objectif est d’organiser au mieux l’intervention et de faire des propositions au COS ». La problématique est claire : comment éteindre le sinistre qui apparaît inaccessible ? Il y a des flammes, beaucoup de fumée, les moyens n’atteignent pas le foyer. Utiliser la manœuvre mousse est impossible, car il fait trop chaud pour l’employer.
Manœuvre de force. « Le lieutenant-colonel Delaforge me donne alors un délai de quarante-cinq minutes pour lui proposer une ou plusieurs solutions. Je m’adjoins alors le conseiller technique en sauvetage déblaiement et l’adjudant-chef Ganaye en tant que conseiller technique d’exploration longue durée. J’ai cinq ou six idées de manœuvre, mais c’est trop pour le COS, il en faut trois concrètes et réalisables. » À la fin du délai, le capitaine Birckenstock propose trois idées de manœuvre.
La première consiste en l’établissement de lances à main à l’extérieur, d’isoler et boucher les égouts et de créer une piscine pour noyer le foyer. C’est techniquement réalisable, mais c’est long à mettre en œuvre. La deuxième idée de manœuvre est de traiter cette intervention comme un feu d’entrepôt en acheminant des engins de chantier pour déblayer et éteindre le foyer au fur et à mesure. La troisième solution est celle qui est choisie par le COS. Il s’agit de réaliser une manœuvre de force avec les deux robots d’extinction. « Nous avons fait descendre les deux robots sur la dalle pour éteindre les foyers à distance. Malgré le poids des robots, la dalle a tenu bon, cela nous a rassurés sur la solidité de la structure. Si les robots tiennent, les lances à main tiendront. Nous avons donc mis des lances à main sur la dalle pour atteindre tous les foyers. »
Dès que le niveau d’intensité a baissé, les lances à mousse ont pu être utilisées. Cinq lances sont nécessaires pour noyer l’ensemble de la structure. L’extinction finale a pris plusieurs heures. Il faut jusqu’au lendemain à midi pour éteindre les derniers foyers. L’intervention n’est clôturée qu’une semaine plus tard. Le mot final revient au lieutenant-colonel Gauthier Delaforge : « Les premiers intervenants se sont parfaitement engagés. Ils ont appliqué les fondamentaux et la discipline au feu, qui, combinés à l’intelligence tactique des cadres jusqu’aux plus petits échelons, ont permis d’avoir de la chance lors de l’effondrement. Nous avons eu de la chance, mais cette chance, nous l’avons collectivement provoquée. »
L’ŒIL DE LA SECTION DOCTRINE RETEX
Le feu de Parc de stationnement couvert (PSC) reste complexe malgré les évolutions de la réglementation, de la doctrine et du matériel. Les volumes en infrastructure, les fluides, la progression ralentie par les fumées et l’obscurité, la localisation compliquée du sinistre, les potentiels calorifiques aléatoires, les boxes fermés avec stockage important, le risque de propagation en superstructure et la communication avec les équipes engagées représentent une partie des difficultés auxquelles sont confrontés les secours.
Enseignements. Le PSC sous dalle végétalisée comporte, en plus, un risque d’effondrement auquel les secours ont été confrontés le 27 avril seulement 30 minutes après leur arrivée sur les lieux. Ce n’est pas une première pour la BSPP. En 2006, secteur Blanche, une dalle végétalisée de construction récente s’effondre sous l’effet de pluies diluviennes. En 2009, secteur Meudon, lors d’un feu de plusieurs véhicules dans un PSC, 80 m² de dalle végétalisée s’effondrent après une heure d’intervention.
La dalle du secteur Aubervilliers datait des années 60, avait certainement été altérée par le temps, des aménagements pouvant l’alourdir et quelques sinistres. Ces fragilités augmentent lors d’un incendie important, notamment s’il concerne plusieurs véhicules ou boxes.
Les enseignements à retenir sont nombreux. Il s’agit tout d’abord de souligner la bonne pratique des premiers sapeurs-pompiers de Paris engagés qui, par le respect strict des procédures d’engagement en infrastructure, ont amélioré la sécurité. La vigilance doit être renforcée sur ce type de structure et retenir que les dalles végétalisées ne couvrent pas seulement des PSC. L’intensité du sinistre a également un impact sur la structure et, dans ce cas, n’engager que le personnel strictement nécessaire, voire procéder à l’attaque par l’extérieur. Enfin, l’emploi de moyens hydrauliques permettant d’attaquer à distance avec une portée plus grande (LGP, LC, REX) peut permettre le maintien des équipes en sécurité.