RETEX : Soudain la dalle s’écroule…

Jean Flye —  — Modi­fiée le 25 juillet 2024 à 09 h 14 

Retour d’inter — Le jeudi 27 avril, les secours font face à un violent feu dans un parc de stationnement couvert. L’intervention bascule lorsque la dalle végétalisée s’effondre sur le sinistre. Un drame a été évité ce jour-là. C’est l’heure du RETEX.

Il est 10 h 15 du matin lorsque le lieu­te­nant William Sou­li­gnac, offi­cier de garde de la 26e com­pa­gnie, est son­né pour un feu dans un parc de sta­tion­ne­ment cou­vert à Auber­vil­liers. « Je pars tout seul de Saint-Denis. Les autres engins partent d’Aubervilliers, de Pan­tin et de La Cour­neuve », entame l’officier expé­ri­men­té de 18 ans de ser­vice. « Lorsque je me pré­sente sur les lieux, je dis­tingue tout de suite un énorme panache de fumée. Je ne me pose pas de ques­tions, je sais que l’incendie se déve­loppe en des­sous » constate-t-il dès les pre­miers ins­tants. Le parc de sta­tion­ne­ment cou­vert d’une super­fi­cie d’environ 1 500 m² est sur­plom­bé par une dalle de béton sur laquelle sont ins­tal­lées des aires de jeux pour enfants. À l’est, ain­si qu’à l’ouest, du par­king se trouvent deux immeubles. Le parc de sta­tion­ne­ment compte trois accès en plus de la rampe. Les accès B et C sont situés à l’ouest et sont de plain-pied. L’accès A est situé sur l’angle nord-est, sur la dalle. Le lieu­te­nant sait que l’intervention va mon­ter en puis­sance et qu’il va prendre le com­man­de­ment des opé­ra­tions de secours. Les pre­miers engins sont déjà pré­sen­tés depuis quelques minutes, le lieu­te­nant William Sou­li­gnac prend contact très rapi­de­ment avec l’adjudant H., chef de garde et pre­mier com­man­dant des opé­ra­tions de secours. Le sous-offi­cier vient d’engager les deux pre­miers engins-pompes et a tout juste deman­dé à la radio quatre engins-pompes sup­plé­men­taires. Les deux hommes effec­tuent un tour du feu. « La pre­mière déci­sion que nous avons prise, au vu du sinistre, est de blin­der la sécu­ri­té. À chaque accès, il faut deux engins-pompes », nous explique le lieu­te­nant Sou­li­gnac. La rampe est lais­sée libre, car elle est réser­vée au groupe d’exploration longue durée. « Ma pre­mière mesure est d’engager un engin-pompe de chaque côté du par­king pour m’assurer qu’il n’y a pas de com­mu­ni­ca­tion avec l’immeuble. » Les équipes recon­naissent rapi­de­ment les pre­miers niveaux des immeubles. L’environnement est sain, les immeubles d’habitations ne risquent rien.
Devant l’accès C, le lieu­te­nant Sou­li­gnac prend contact avec le chef d’agrès du PSE de Pan­tin qui lui rend compte : « Mon lieu­te­nant, ça brûle à l’intérieur, j’ai une vue sur le sinistre, mais je n’engage pas mes hommes, car la cha­leur est trop intense ». Le lieu­te­nant s’en remet à la déci­sion du chef d’agrès. Au niveau de l’accès C, les sol­dats d’Auber sont par­tis en recon­nais­sance, et ils loca­lisent éga­le­ment le foyer. La lance est inef­fi­cace, car le sinistre se situe à l’intérieur des boxes. Le lieu­te­nant demande par radio le ren­fort d’une sec­tion explo­ra­tion longue durée qui arrive très rapi­de­ment du Blanc-Mes­nil. « Je leur donne l’ordre de faire les recon­nais­sances » témoigne l’officier. Le lieu­te­nant effec­tue un der­nier tour, « j’entends un bruit impos­sible à décrire. Comme un cra­que­ment sourd » se sou­vient-il, mais il conti­nue. Il rejoint l’officier poste de com­man­de­ment tac­tique au niveau de l’accès. « Je démarre mon compte-ren­du avec l’officier PC quand le lieu­te­nant-colo­nel Dela­forge, offi­cier supé­rieur de garde grou­pe­ment, arrive. Je lui fais un point de situa­tion com­plet et lui confirme que tout est blin­dé niveau sécurité. »

« Et là, ça tombe. » « En plein milieu du compte-ren­du, on res­sent comme une explo­sion avec un déga­ge­ment de fumée abso­lu­ment incroyable qui nous plonge dans le noir » conti­nue l’officier. Le lieu­te­nant-colo­nel Dela­forge témoigne à son tour. « C’était comme un gron­de­ment sourd avec une impres­sion très claire de ton­nerre. C’est un com­bi­né de nuit, de cha­leur, de souffle avec beau­coup de pous­sière et de gra­vats ». Il leur faut quelques secondes pour se rendre compte de ce qu’il vient de se pas­ser. « Nous allu­mons les lampes, elles n’éclairent pas sur dix cen­ti­mètres » pour­suit l’officier supérieur.

« Je sais que le drame a été évi­té. » L’intervention bas­cule, l’alerte repli est don­née par la corne de brume, et par les trois canaux de radio. Désor­mais, le lieu­te­nant-colo­nel Gau­thier Dela­forge sait qu’il va prendre le COS. Sa pre­mière mis­sion : réat­tri­buer les sec­teurs et faire un décompte des pom­piers enga­gés pour pou­voir deman­der un ren­fort secours. Le lieu­te­nant Sou­li­gnac devient chef de sec­teur Alpha, l’adjudant-chef G., chef de la sec­tion ELD devient chef de sec­teur Del­ta et l’adjudant Hesse du sec­teur Char­lie. Le lieu­te­nant-colo­nel pour­suit. « Je lance mon chro­no sur ma montre et je me laisse soixante secondes pour deman­der un ren­fort secours. J’ai com­pris qu’il y avait des équipes enga­gées à l’intérieur, je me dis aus­si qu’avec de la chance, il n’y a plus per­sonne des­sous. » Le lieu­te­nant-colo­nel fait le tour accom­pa­gné de son conduc­teur. Il se retrouve en sec­teur Del­ta et voit l’adjudant-chef G., « per­sonne n’était enga­gé, j’ai tout le monde, pas de bles­sé », lui confirme le sous-offi­cier. Lorsqu’il arrive en Char­lie, il aper­çoit deux pom­piers qui sont extraits, traî­nés par terre puis mis à l’abri. Le lieu­te­nant-colo­nel Dela­forge les regarde, ils sont conscients. L‘adjudant H. lui confirme à son tour, « Mon colo­nel, je vous cer­ti­fie que j’ai tout le monde ». Le lieu­te­nant-colo­nel Dela­forge se dirige vers le véhi­cule PC qui vient tout juste de s’ouvrir. « Je décide de ne pas deman­der ren­fort secours, car tout le monde est sor­ti. Nous avons des bles­sés, mais ils sont conscients. Je prends le COS, relate-t-il. Je passe moi-même le mes­sage d’ambiance. Dans mon mes­sage, je veux dire que la situa­tion est grave, mais qu’elle est sous contrôle. Mon idée de manœuvre est de remettre en place tout le dis­po­si­tif à chaque point d’accès avec des moyens lourds. Je sais qu’à terme, j’aurai besoin de mousse. Donc, on va par­tir sur au moins une ligne de tuyaux de 110 mil­li­mètres à chaque point d’accès et des moyens en plus. »

« Ren­fort poste de com­man­de­ment. » « Quand je demande le ren­fort poste de com­man­de­ment, les deux offi­ciers de garde qui vont arri­ver sont deux capi­taines, com­man­dant d’unités, doté d’une grande expé­rience opé­ra­tion­nelle. Ce sont les meilleurs que je puisse avoir. » Le lieu­te­nant-colo­nel Gau­thier Dela­forge demande « ren­fort com­man­de­ment », car il sait qu’il va avoir besoin de beau­coup de moyens, que l’intervention va s’inscrire dans la durée et qu’il va avoir une très grosse sur­charge cog­ni­tive. Il veut dis­po­ser d’une archi­tec­ture de com­man­de­ment qui lui per­mette de bien tra­vailler. Les points d’accès les plus proches du sinistre sont gérés par des chefs de sec­teur auto­nomes. Les sec­teurs des recon­nais­sances, au niveau de deux immeubles et de l’école située der­rière, sont gérés par des sous-offi­ciers. Le dis­po­si­tif médi­cal est assez impor­tant. Le lieu­te­nant-colo­nel Dela­forge sait aus­si que les auto­ri­tés civiles vont rapi­de­ment vou­loir des réponses quant au taux de toxi­ci­té du panache de fumée pré­sent dans l’air. « Pour pou­voir gérer tous ces chefs de sec­teur et tous ces sujets, je fais le choix de mettre entre les chefs de sec­teur et moi-même un offi­cier aguer­ri, le capi­taine Bir­cken­stock que je nomme direc­teur des secours incen­die et sau­ve­tage. » Le capi­taine Phi­lippe Bir­cken­stock vient d’arriver sur les lieux. Il n’a pas vécu le début de l’intervention. « L’avantage évident que j’ai est de ne pas avoir vécu l’effondrement, j’arrive après » raconte l’officier. « Le dis­po­si­tif est déjà remis en place, je ne suis pas para­si­té par l’effondrement. Les pom­piers vont bien. Mon objec­tif est d’organiser au mieux l’intervention et de faire des pro­po­si­tions au COS ». La pro­blé­ma­tique est claire : com­ment éteindre le sinistre qui appa­raît inac­ces­sible ? Il y a des flammes, beau­coup de fumée, les moyens n’atteignent pas le foyer. Uti­li­ser la manœuvre mousse est impos­sible, car il fait trop chaud pour l’employer.

Manœuvre de force. « Le lieu­te­nant-colo­nel Dela­forge me donne alors un délai de qua­rante-cinq minutes pour lui pro­po­ser une ou plu­sieurs solu­tions. Je m’adjoins alors le conseiller tech­nique en sau­ve­tage déblaie­ment et l’adjudant-chef Ganaye en tant que conseiller tech­nique d’exploration longue durée. J’ai cinq ou six idées de manœuvre, mais c’est trop pour le COS, il en faut trois concrètes et réa­li­sables. » À la fin du délai, le capi­taine Bir­cken­stock pro­pose trois idées de manœuvre.
La pre­mière consiste en l’établissement de lances à main à l’extérieur, d’isoler et bou­cher les égouts et de créer une pis­cine pour noyer le foyer. C’est tech­ni­que­ment réa­li­sable, mais c’est long à mettre en œuvre. La deuxième idée de manœuvre est de trai­ter cette inter­ven­tion comme un feu d’entrepôt en ache­mi­nant des engins de chan­tier pour déblayer et éteindre le foyer au fur et à mesure. La troi­sième solu­tion est celle qui est choi­sie par le COS. Il s’agit de réa­li­ser une manœuvre de force avec les deux robots d’extinction. « Nous avons fait des­cendre les deux robots sur la dalle pour éteindre les foyers à dis­tance. Mal­gré le poids des robots, la dalle a tenu bon, cela nous a ras­su­rés sur la soli­di­té de la struc­ture. Si les robots tiennent, les lances à main tien­dront. Nous avons donc mis des lances à main sur la dalle pour atteindre tous les foyers. »
Dès que le niveau d’intensité a bais­sé, les lances à mousse ont pu être uti­li­sées. Cinq lances sont néces­saires pour noyer l’ensemble de la struc­ture. L’extinction finale a pris plu­sieurs heures. Il faut jusqu’au len­de­main à midi pour éteindre les der­niers foyers. L’intervention n’est clô­tu­rée qu’une semaine plus tard. Le mot final revient au lieu­te­nant-colo­nel Gau­thier Dela­forge : « Les pre­miers inter­ve­nants se sont par­fai­te­ment enga­gés. Ils ont appli­qué les fon­da­men­taux et la dis­ci­pline au feu, qui, com­bi­nés à l’intelligence tac­tique des cadres jusqu’aux plus petits éche­lons, ont per­mis d’avoir de la chance lors de l’effondrement. Nous avons eu de la chance, mais cette chance, nous l’avons col­lec­ti­ve­ment provoquée. » 

L’ŒIL DE LA SECTION DOCTRINE RETEX

Le feu de Parc de sta­tion­ne­ment cou­vert (PSC) reste com­plexe mal­gré les évo­lu­tions de la régle­men­ta­tion, de la doc­trine et du maté­riel. Les volumes en infra­struc­ture, les fluides, la pro­gres­sion ralen­tie par les fumées et l’obscurité, la loca­li­sa­tion com­pli­quée du sinistre, les poten­tiels calo­ri­fiques aléa­toires, les boxes fer­més avec sto­ckage impor­tant, le risque de pro­pa­ga­tion en super­struc­ture et la com­mu­ni­ca­tion avec les équipes enga­gées repré­sentent une par­tie des dif­fi­cul­tés aux­quelles sont confron­tés les secours.

Ensei­gne­ments. Le PSC sous dalle végé­ta­li­sée com­porte, en plus, un risque d’effondrement auquel les secours ont été confron­tés le 27 avril seule­ment 30 minutes après leur arri­vée sur les lieux. Ce n’est pas une pre­mière pour la BSPP. En 2006, sec­teur Blanche, une dalle végé­ta­li­sée de construc­tion récente s’effondre sous l’effet de pluies dilu­viennes. En 2009, sec­teur Meu­don, lors d’un feu de plu­sieurs véhi­cules dans un PSC, 80 m² de dalle végé­ta­li­sée s’effondrent après une heure d’intervention.
La dalle du sec­teur Auber­vil­liers datait des années 60, avait cer­tai­ne­ment été alté­rée par le temps, des amé­na­ge­ments pou­vant l’alourdir et quelques sinistres. Ces fra­gi­li­tés aug­mentent lors d’un incen­die impor­tant, notam­ment s’il concerne plu­sieurs véhi­cules ou boxes.
Les ensei­gne­ments à rete­nir sont nom­breux. Il s’agit tout d’abord de sou­li­gner la bonne pra­tique des pre­miers sapeurs-pom­piers de Paris enga­gés qui, par le res­pect strict des pro­cé­dures d’engagement en infra­struc­ture, ont amé­lio­ré la sécu­ri­té. La vigi­lance doit être ren­for­cée sur ce type de struc­ture et rete­nir que les dalles végé­ta­li­sées ne couvrent pas seule­ment des PSC. L’intensité du sinistre a éga­le­ment un impact sur la struc­ture et, dans ce cas, n’engager que le per­son­nel stric­te­ment néces­saire, voire pro­cé­der à l’attaque par l’extérieur. Enfin, l’emploi de moyens hydrau­liques per­met­tant d’attaquer à dis­tance avec une por­tée plus grande (LGP, LC, REX) peut per­mettre le main­tien des équipes en sécurité.

Photos : SGT Erwan Thépault