Retour d’inter — Les flammes sont sous leurs yeux, mais ils ne savent pas comment y accéder…Par un bel et chaud après-midi d’automne, les sapeurs-pompiers de Paris sont confrontés à un feu des plus complexes qui a pris dans un hôtel particulier, mitoyen de l’ambassade du Maroc.
Dimanche 1er octobre 2023. Il est 16 h 10. « Le ciel est bleu, le soleil brille et les oiseaux chantent… » Aurait-on eu envie de chanter. La température, chaude pour la saison, se fait sentir dans le quartier du Trocadéro. Un cadre bucolique soudain perturbé par un panache noir de fumée qui apparaît au-dessus d’un hôtel particulier, au 2 boulevard Delessert, Paris XVIe. Paris brûle-t-il ?
Au même moment, l’adjudant Yoan Turmel est à son domicile, en train de faire les devoirs à ses enfants. Il est chef de garde au centre de secours Dauphine. Dès que le ronfleur sonne, il sait qu’il s’agit d’un départ le concernant puisqu’il ne reste plus que le Véhicule de liaison radio (VLR) dans la remise. L’activité opérationnelle de ce dimanche est particulièrement dense.
à son arrivée, il stationne le VLR à l’adresse indiquée. « Je vois de suite des flammes s’échapper par une fenêtre ! » relate l’adjudant Turmel. A peine sorti du VLR, le Centre opérationnel (CO) contacte le chef de garde pour l’informer qu’un groupe habitation est ajouté en anticipation. Il y aurait une personne à l’intérieur du bâtiment sinistré. Information confirmée sur place, par une employée de l’hôtel qui vit sur le site. Le quartier, envahi par les touristes en ce premier jour d’octobre rose, complexifie la manœuvre des sapeurs-pompiers et engendre des attroupements de personnes qui filment le sinistre. Conscient de cette difficulté, le chef de garde missionne la police de mettre en place un périmètre de sécurité.
L’hôtel particulier, mitoyen avec l’ambassade du Maroc et proche du Palais de Chaillot, est en proie aux flammes. Il appartient à une riche famille étrangère. L’aspect prestigieux de cet hôtel, ainsi que l’emplacement emblématique de celui-ci, favorisent un climat tendu au regard des enjeux médiatiques et politiques.
La particularité bâtimentaire réside dans la forte déclivité entre les deux accès de ce dernier et la surface au sol de chaque étage : 900 m2.
En effet, du côté boulevard Delessert, il s’agit d’un bâtiment de type R+5, alors que du côté rue Le Tasse, il s’agit d’un bâtiment R+2 /R‑3. L’accès rue Le Tasse est complexe et le cheminement difficile en raison de la présence d’un escalier arboré, longé d’une grille de plusieurs mètres de hauteur surplombée de pics obligeant les secours à parcourir plusieurs centaines de mètres pour réaliser le « tour du feu ».
Particulièrement luxueux, la distribution intérieure de l’hôtel est composée de nombreux escaliers de service, monte-charges et ascenseurs, tous masqués dans les murs via des portes en trompe l’œil, couvertes de tableaux ou de miroirs. En conséquence, les reconnaissances vont être complexes.
La priorité : partir en reconnaissance dans la mesure où une personne serait toujours dans le bâtiment. Face à cela, l’adjudant Turmel doit vite trouver un accès pour monter dans les étages. Réussissant à localiser « un escalier que nous empruntons avec mon conducteur, sans Appareil respiratoire isolant (ARI) alors qu’il commence à être enfumé. Je constate que le deuxième étage est, quant à lui, beaucoup plus envahi par les fumées épaisses et chaudes » se souvient Yoan. La fumée est tellement dense et la circulation horizontale si complexe que le binôme est contraint de rompre le contact avec le sinistre. Quand le Fourgon pompe tonne léger (FPTL) se présente, le chef de garde ordonne l’emplacement d’une division alimentée ainsi que l’établissement de deux lances par un binôme et la mission de sauvetage par le second.
La guerre contre les flammes commence alors.
Pendant que la première équipe s’affaire à l’établissement de la division et des lances, la seconde part en reconnaissance. L’adjudant en profite pour prendre un maximum de renseignement avec le régisseur et réalise que les plans du site ne correspondent en rien à la réalité du terrain puisqu’ils n’ont pas été mis à jour suite à la réalisation de travaux dans les années 80. Ce dernier lui apprend que le bâtiment est totalement vide depuis le matin.
« Une charge mentale en moins à gérer » pense l’adjudant avant de demander deux engins-pompes pour compléter son dispositif afin de lutter contre le sinistre. Les secours vont pouvoir focaliser tous leurs efforts sur l’attaque.
Au regard de l’évolution défavorable de l’intervention, le capitaine Alexandre Courtial, Officier de garde compagnie (OGC) de la 5e compagnie prend le Commandement des opérations de secours (COS) en arrivant sur les lieux. Il demande trois engins-pompes supplémentaires afin de compléter sa sectorisation et mener à bien son idée de manœuvre.
16 h 42 : il se présente. Ayant fait un point de situation sur le trajet, le COS contourne l’îlot bâtimentaire par le haut. Au niveau de la rue Le Tasse, il aperçoit le chef de garde qui réalise son tour du feu. Il stoppe son véhicule pour se rendre dans une courette où d’importantes volutes de fumées se dégagent de plusieurs fenêtres. A ce moment précis, le capitaine éprouve « des difficultés à comprendre ce qui brûle, l’ambassade du Maroc ou le bâtiment mitoyen ». L’adjudant lui a dit « qu’une fenêtre était allumée » mais il ne la voit pas. Côté rue Le Tasse, la courette est déserte. Sur la gauche, deux fenêtres desquelles sortent d’importantes volutes de fumées. « Je sens que ça pousse fort derrière et qu’elles sont sur le point de s’enflammer » se dit le COS. Il doit situer le sinistre dans un bâtiment particulièrement complexe pour mettre en place une tactique d’engagement.
Les deux engins-pompes du départ normal sont engagés boulevard Delessert. Puis les suivants le seront côté courette par la rue Le Tasse. Cela permet la mise en place d’une sectorisation clairement définie. Le foyer n’étant toujours pas découvert. Personne ne parvient à déterminer si le feu est sur un ou deux niveaux.
17 h 16. La chaleur est extrême, les reconnaissances et le cheminement sont complexes. Débute alors une série de relèves d’attaque de part et d’autre de l’hôtel afin de parvenir à circonscrire le feu.
18 h 08. Le lieutenant-colonel (LCL) Stéphan Lepouriel, Officier supérieur de garde (OSG), se rend au Véhicule poste de commandement (VPC), et prend à son tour le COS tout en demandant cinq engins-pompes. Une fois le point de situation effectué par les chefs de secteur, le LCL Lepouriel arrive à la conclusion qu’il s’agit « d’un feu d’espace clos, sous ventilé, de grand volume en superstructure, dans un établissement singulier, doté d’une distribution et de recoupements intérieurs très complexes ». Il oriente de fait sa manœuvre « sur la création d’exutoires pour l’évacuation des fumées afin d’abaisser l’intensité de la chaleur tout en usant de moyens de forcement et de découpe pour parvenir à briser les vitres anti intrusion qui font 7 cm d’épaisseur ».
Le général de division Joseph Dupré la Tour se déplace sur les lieux pour appuyer la chaîne de commandement.
Plusieurs heures après l’arrivée des premiers intervenants, la configuration bâtimentaire et la distribution des pièces deviennent plus claires pour l’ensemble des soldats du feu. Le sinistre est localisé sur un seul niveau et reste contenu dans ce volume. Au maximum de l’intervention, il y a neuf lances dont une lance grande puissance et une lance canon sur le Bras élévateur aérien articulé (BEA) réparties sur les différents secteurs. Le message « Feu éteint » est passé à 22 h 47 et des relèves de surveillance puis de ronde se relaient jusqu’au surlendemain. Il n’y a aucun sapeur-pompier blessé parmi les 225 intervenants.
Un chat manquant à l’appel sera retrouvé en vie lors des reconnaissances périphériques.
Photos : CCH Marc Loukachine
L’ŒIL DE LA SECTION DOCTRINE RETEX
HÔTEL TRÈS PARTICULIER
Un hôtel particulier est un type de demeure urbaine française (maison luxueuse) conçue pour n’être habitée que par une seule famille, ainsi que son personnel de maison. L’hôtel particulier apparaît au Moyen âge et se développe jusqu’au début du XXe siècle.
L’hôtel sinistré est l’un des derniers construits sur Paris en 1903. Cet édifice d’une superficie au sol de 900 m² comporte sept niveaux dont deux niveaux d’accès différents, source de confusion pour les premiers intervenants. Le feu se situe au 1er sous-sol par l’accès rue le Tasse correspondant au troisième étage depuis l’accès boulevard Delessert.
Il est desservi par cinq cages d’escalier, trois ascenseurs, deux monte-charges et comporte une piscine au niveau sinistré. La présence de pièces de très grands volumes, décorées denombreuses œuvres d’art, confère à cette intervention un caractère très particulier pouvant s’apparenter à un feu de musée.
Les premières mesures du COS sont nombreuses et simultanées : d’abord, commander les premières reconnaissances dans un milieu complexe et volumineux (comparable aux salles d’exposition), comprenant un potentiel calorifique particulièrement important (mobilier imposant, revêtement mur et plafond en bois, etc.).
Ensuite, établir rapidement les moyens en eau en prenant soin de n’utiliser que l’eau strictement nécessaire afin de limiter les dégâts (mobiliers, œuvres d’arts, etc.). Puis, rechercher l’ensemble des communications verticales (escaliers, ascenseurs, monte-charges, gaines techniques) pouvant être source de propagation du feu et des fumées dans les niveaux supérieurs et inférieurs.
Il faut également mettre en place une ventilation opérationnelle, permettant aux secours d’intervenir plus facilement et de protéger les locaux non encore soumis aux effets de l’incendie. Enfin, assurer la mise en place des mesures de protection des œuvres d’art par la demande d’une équipe, d’un groupe ou d’une section de sauvegarde du patrimoine culturel.
Pour l’ensemble de ces actions, le Commandant des opérations de secours (COS) pourra s’appuyer sur le régisseur, de par ses connaissances approfondies du site. Enfin, la présence de l’officier communication a toute son utilité en raison d’un possible impact médiatique sur ce type d’établissement particulièrement sensible.