RETEX — Dans un labyrinthe en feu…

James Mou­ton —  — Modi­fiée le 25 juillet 2024 à 09 h 17 

Retour d’inter — Les flammes sont sous leurs yeux, mais ils ne savent pas comment y accéder…Par un bel et chaud après-midi d’automne, les sapeurs-pompiers de Paris sont confrontés à un feu des plus complexes qui a pris dans un hôtel particulier, mitoyen de l’ambassade du Maroc. 

Dimanche 1er octobre 2023. Il est 16 h 10. « Le ciel est bleu, le soleil brille et les oiseaux chantent… » Aurait-on eu envie de chan­ter. La tem­pé­ra­ture, chaude pour la sai­son, se fait sen­tir dans le quar­tier du Tro­ca­dé­ro. Un cadre buco­lique sou­dain per­tur­bé par un panache noir de fumée qui appa­raît au-des­sus d’un hôtel par­ti­cu­lier, au 2 bou­le­vard Deles­sert, Paris XVIe. Paris brûle-t-il ?

Au même moment, l’adjudant Yoan Tur­mel est à son domi­cile, en train de faire les devoirs à ses enfants. Il est chef de garde au centre de secours Dau­phine. Dès que le ron­fleur sonne, il sait qu’il s’agit d’un départ le concer­nant puisqu’il ne reste plus que le Véhi­cule de liai­son radio (VLR) dans la remise. L’activité opé­ra­tion­nelle de ce dimanche est par­ti­cu­liè­re­ment dense.

à son arri­vée, il sta­tionne le VLR à l’adresse indi­quée. « Je vois de suite des flammes s’échapper par une fenêtre ! » relate l’adjudant Tur­mel. A peine sor­ti du VLR, le Centre opé­ra­tion­nel (CO) contacte le chef de garde pour l’informer qu’un groupe habi­ta­tion est ajou­té en anti­ci­pa­tion. Il y aurait une per­sonne à l’intérieur du bâti­ment sinis­tré. Infor­ma­tion confir­mée sur place, par une employée de l’hôtel qui vit sur le site. Le quar­tier, enva­hi par les tou­ristes en ce pre­mier jour d’octobre rose, com­plexi­fie la manœuvre des sapeurs-pom­piers et engendre des attrou­pe­ments de per­sonnes qui filment le sinistre. Conscient de cette dif­fi­cul­té, le chef de garde mis­sionne la police de mettre en place un péri­mètre de sécu­ri­té.
L’hôtel par­ti­cu­lier, mitoyen avec l’ambassade du Maroc et proche du Palais de Chaillot, est en proie aux flammes. Il appar­tient à une riche famille étran­gère. L’aspect pres­ti­gieux de cet hôtel, ain­si que l’emplacement emblé­ma­tique de celui-ci, favo­risent un cli­mat ten­du au regard des enjeux média­tiques et poli­tiques.
La par­ti­cu­la­ri­té bâti­men­taire réside dans la forte décli­vi­té entre les deux accès de ce der­nier et la sur­face au sol de chaque étage : 900 m2.
En effet, du côté bou­le­vard Deles­sert, il s’agit d’un bâti­ment de type R+5, alors que du côté rue Le Tasse, il s’agit d’un bâti­ment R+2 /​R‑3. L’accès rue Le Tasse est com­plexe et le che­mi­ne­ment dif­fi­cile en rai­son de la pré­sence d’un esca­lier arbo­ré, lon­gé d’une grille de plu­sieurs mètres de hau­teur sur­plom­bée de pics obli­geant les secours à par­cou­rir plu­sieurs cen­taines de mètres pour réa­li­ser le « tour du feu ».

Par­ti­cu­liè­re­ment luxueux, la dis­tri­bu­tion inté­rieure de l’hôtel est com­po­sée de nom­breux esca­liers de ser­vice, monte-charges et ascen­seurs, tous mas­qués dans les murs via des portes en trompe l’œil, cou­vertes de tableaux ou de miroirs. En consé­quence, les recon­nais­sances vont être complexes.

La prio­ri­té : par­tir en recon­nais­sance dans la mesure où une per­sonne serait tou­jours dans le bâti­ment. Face à cela, l’adjudant Tur­mel doit vite trou­ver un accès pour mon­ter dans les étages. Réus­sis­sant à loca­li­ser « un esca­lier que nous emprun­tons avec mon conduc­teur, sans Appa­reil res­pi­ra­toire iso­lant (ARI) alors qu’il com­mence à être enfu­mé. Je constate que le deuxième étage est, quant à lui, beau­coup plus enva­hi par les fumées épaisses et chaudes » se sou­vient Yoan. La fumée est tel­le­ment dense et la cir­cu­la­tion hori­zon­tale si com­plexe que le binôme est contraint de rompre le contact avec le sinistre. Quand le Four­gon pompe tonne léger (FPTL) se pré­sente, le chef de garde ordonne l’emplacement d’une divi­sion ali­men­tée ain­si que l’établissement de deux lances par un binôme et la mis­sion de sau­ve­tage par le second.

Per­sonne ne par­vient à déter­mi­ner si le feu est sur un ou deux niveaux.

La guerre contre les flammes com­mence alors.
Pen­dant que la pre­mière équipe s’affaire à l’établissement de la divi­sion et des lances, la seconde part en recon­nais­sance. L’adjudant en pro­fite pour prendre un maxi­mum de ren­sei­gne­ment avec le régis­seur et réa­lise que les plans du site ne cor­res­pondent en rien à la réa­li­té du ter­rain puisqu’ils n’ont pas été mis à jour suite à la réa­li­sa­tion de tra­vaux dans les années 80. Ce der­nier lui apprend que le bâti­ment est tota­le­ment vide depuis le matin.
« Une charge men­tale en moins à gérer » pense l’adjudant avant de deman­der deux engins-pompes pour com­plé­ter son dis­po­si­tif afin de lut­ter contre le sinistre. Les secours vont pou­voir foca­li­ser tous leurs efforts sur l’attaque.

Au regard de l’évolution défa­vo­rable de l’intervention, le capi­taine Alexandre Cour­tial, Offi­cier de garde com­pa­gnie (OGC) de la 5e com­pa­gnie prend le Com­man­de­ment des opé­ra­tions de secours (COS) en arri­vant sur les lieux. Il demande trois engins-pompes sup­plé­men­taires afin de com­plé­ter sa sec­to­ri­sa­tion et mener à bien son idée de manœuvre.
16 h 42 : il se pré­sente. Ayant fait un point de situa­tion sur le tra­jet, le COS contourne l’îlot bâti­men­taire par le haut. Au niveau de la rue Le Tasse, il aper­çoit le chef de garde qui réa­lise son tour du feu. Il stoppe son véhi­cule pour se rendre dans une cou­rette où d’importantes volutes de fumées se dégagent de plu­sieurs fenêtres. A ce moment pré­cis, le capi­taine éprouve « des dif­fi­cul­tés à com­prendre ce qui brûle, l’ambassade du Maroc ou le bâti­ment mitoyen ». L’adjudant lui a dit « qu’une fenêtre était allu­mée » mais il ne la voit pas. Côté rue Le Tasse, la cou­rette est déserte. Sur la gauche, deux fenêtres des­quelles sortent d’importantes volutes de fumées. « Je sens que ça pousse fort der­rière et qu’elles sont sur le point de s’enflammer » se dit le COS. Il doit situer le sinistre dans un bâti­ment par­ti­cu­liè­re­ment com­plexe pour mettre en place une tac­tique d’engagement.

Les deux engins-pompes du départ nor­mal sont enga­gés bou­le­vard Deles­sert. Puis les sui­vants le seront côté cou­rette par la rue Le Tasse. Cela per­met la mise en place d’une sec­to­ri­sa­tion clai­re­ment défi­nie. Le foyer n’étant tou­jours pas décou­vert. Per­sonne ne par­vient à déter­mi­ner si le feu est sur un ou deux niveaux.
17 h 16. La cha­leur est extrême, les recon­nais­sances et le che­mi­ne­ment sont com­plexes. Débute alors une série de relèves d’attaque de part et d’autre de l’hôtel afin de par­ve­nir à cir­cons­crire le feu.

18 h 08. Le lieu­te­nant-colo­nel (LCL) Sté­phan Lepou­riel, Offi­cier supé­rieur de garde (OSG), se rend au Véhi­cule poste de com­man­de­ment (VPC), et prend à son tour le COS tout en deman­dant cinq engins-pompes. Une fois le point de situa­tion effec­tué par les chefs de sec­teur, le LCL Lepou­riel arrive à la conclu­sion qu’il s’agit « d’un feu d’espace clos, sous ven­ti­lé, de grand volume en super­struc­ture, dans un éta­blis­se­ment sin­gu­lier, doté d’une dis­tri­bu­tion et de recou­pe­ments inté­rieurs très com­plexes ». Il oriente de fait sa manœuvre « sur la créa­tion d’exutoires pour l’évacuation des fumées afin d’abaisser l’intensité de la cha­leur tout en usant de moyens de for­ce­ment et de découpe pour par­ve­nir à bri­ser les vitres anti intru­sion qui font 7 cm d’épaisseur ».
Le géné­ral de divi­sion Joseph Dupré la Tour se déplace sur les lieux pour appuyer la chaîne de commandement.

Plu­sieurs heures après l’arrivée des pre­miers inter­ve­nants, la confi­gu­ra­tion bâti­men­taire et la dis­tri­bu­tion des pièces deviennent plus claires pour l’ensemble des sol­dats du feu. Le sinistre est loca­li­sé sur un seul niveau et reste conte­nu dans ce volume. Au maxi­mum de l’intervention, il y a neuf lances dont une lance grande puis­sance et une lance canon sur le Bras élé­va­teur aérien arti­cu­lé (BEA) répar­ties sur les dif­fé­rents sec­teurs. Le mes­sage « Feu éteint » est pas­sé à 22 h 47 et des relèves de sur­veillance puis de ronde se relaient jusqu’au sur­len­de­main. Il n’y a aucun sapeur-pom­pier bles­sé par­mi les 225 intervenants.

Un chat man­quant à l’appel sera retrou­vé en vie lors des recon­nais­sances périphériques.

Photos : CCH Marc Loukachine
Un hôtel particulier est un type de demeure urbaine française (maison luxueuse) conçue pour n’être habitée que par une seule famille, ainsi que son personnel de maison. L’hôtel particulier apparaît au Moyen âge et se développe jusqu’au début du XXe siècle.

L’hôtel sinis­tré est l’un des der­niers construits sur Paris en 1903. Cet édi­fice d’une super­fi­cie au sol de 900 m² com­porte sept niveaux dont deux niveaux d’accès dif­fé­rents, source de confu­sion pour les pre­miers inter­ve­nants. Le feu se situe au 1er sous-sol par l’accès rue le Tasse cor­res­pon­dant au troi­sième étage depuis l’accès bou­le­vard Delessert.

Il est des­ser­vi par cinq cages d’escalier, trois ascen­seurs, deux monte-charges et com­porte une pis­cine au niveau sinis­tré. La pré­sence de pièces de très grands volumes, déco­rées denom­breuses œuvres d’art, confère à cette inter­ven­tion un carac­tère très par­ti­cu­lier pou­vant s’apparenter à un feu de musée.

Les pre­mières mesures du COS sont nom­breuses et simul­ta­nées : d’abord, com­man­der les pre­mières recon­nais­sances dans un milieu com­plexe et volu­mi­neux (com­pa­rable aux salles d’exposition), com­pre­nant un poten­tiel calo­ri­fique par­ti­cu­liè­re­ment impor­tant (mobi­lier impo­sant, revê­te­ment mur et pla­fond en bois, etc.).

Ensuite, éta­blir rapi­de­ment les moyens en eau en pre­nant soin de n’utiliser que l’eau stric­te­ment néces­saire afin de limi­ter les dégâts (mobi­liers, œuvres d’arts, etc.). Puis, recher­cher l’ensemble des com­mu­ni­ca­tions ver­ti­cales (esca­liers, ascen­seurs, monte-charges, gaines tech­niques) pou­vant être source de pro­pa­ga­tion du feu et des fumées dans les niveaux supé­rieurs et inférieurs.

Il faut éga­le­ment mettre en place une ven­ti­la­tion opé­ra­tion­nelle, per­met­tant aux secours d’intervenir plus faci­le­ment et de pro­té­ger les locaux non encore sou­mis aux effets de l’incendie. Enfin, assu­rer la mise en place des mesures de pro­tec­tion des œuvres d’art par la demande d’une équipe, d’un groupe ou d’une sec­tion de sau­ve­garde du patri­moine culturel.

Pour l’ensemble de ces actions, le Com­man­dant des opé­ra­tions de secours (COS) pour­ra s’appuyer sur le régis­seur, de par ses connais­sances appro­fon­dies du site. Enfin, la pré­sence de l’officier com­mu­ni­ca­tion a toute son uti­li­té en rai­son d’un pos­sible impact média­tique sur ce type d’établissement par­ti­cu­liè­re­ment sensible.

Texte : Major Sylvain Roger