RETEX — Un puits enflammé

La rédac­tion Allo18 —  — Modi­fiée le 25 juillet 2024 à 09 h 21 

Retour d’inter — Lundi 19 février dernier, un panache de fumée assombrit le ciel du XIIe arrondissement de Paris. En proie aux flammes, un appartement au quatrième étage menace l’ensemble de l’immeuble haussmannien de six étages, situé au 57 et 59 rue de Lyon.

Dix heures vingt : le ron­fleur du départ nor­mal vient per­tur­ber la minute de silence de l’appel des morts au feu, enta­mée dans la caserne de Cha­li­gny. Sans plus attendre, les équi­pages du FPTL 112 et de l’EPSA 31 Cha­li­gny, déjà en tenue de feu, prennent le départ. Le FPTL Sévi­gné vient com­plé­ter le départ nor­mal. Com­man­dé par le ser­gent-chef Bap­tiste Guillet — chef de garde — le DN se pré­sente en cinq minutes au 57 – 59 rue de Lyon.

Un panache de fumée, noir et mena­çant, se dégage déjà du bâti­ment. Pas de doute quant à la loca­li­sa­tion de l’immeuble concer­né. « Lorsque je des­cends du four­gon, j’ai une vue sur le qua­trième étage, raconte le chef de garde. Je vois un très fort déga­ge­ment de fumée, mais aucune flamme n’est visible. Je com­mence mon tour du feu et décide d’emprunter les esca­liers. En ouvrant une fenêtre de la cage d’escalier, je constate que deux fenêtres sont allu­mées au qua­trième étage. Mal­heu­reu­se­ment, je me retrouve limi­té dans ma pro­gres­sion par un feu d’appartement plei­ne­ment déve­lop­pé, qui sort déjà de son volume initial »

Conscient que l’intervention va rapi­de­ment mon­ter en puis­sance, le ser­gent-chef Guillet place le chef d’agrès du four­gon de Sévi­gné à l’attaque de l’appartement sinis­tré, et lui délègue ses équipes. Aler­té d’un dan­ger immé­diat, il ordonne le dépla­ce­ment du moyen élé­va­teur aérien de Cha­li­gny en façade afin de réa­li­ser au plus vite le sau­ve­tage d’une femme. Mena­cée par les fumées, celle-ci s’est lais­sée glis­ser depuis la fenêtre de son appar­te­ment du sixième étage pour atteindre le bal­con situé au niveau infé­rieur. Une mise en sécu­ri­té est éga­le­ment opé­rée au cin­quième étage par l’échelle de Port-Royal. Une prise en charge rapide des vic­times est effec­tuée par un VSAV en action au Point de ras­sem­ble­ment des vic­times (PRV). Cette manœuvre est fluide grâce à l’anticipation par le centre opé­ra­tion­nel de l’envoi d’un groupe habitation.

Obs­cur puits de jour. Le pre­mier obs­tacle auquel se confrontent les sapeurs-pom­piers de Paris est une cou­rette, située entre les deux immeubles. « Depuis le début de l’intervention, j’ai une notion de cou­rette dont nous ne trou­vons pas l’accès », expose le ser­gent-chef. Grâce au tour du feu du capi­taine Coren­tin Her­vé, la com­pré­hen­sion bâti­men­taire se pré­cise : cette cou­rette est en réa­li­té un puits de lumière, vec­teur de pro­pa­ga­tion du feu. « Nous avons une vision directe sur ce puits de lumière trans­for­mé en véri­table che­mi­née, duquel sur­gissent des flammes », note le lieu­te­nant-colo­nel Guillaume Ange­neau, offi­cier supé­rieur de garde du 2e grou­pe­ment d’incendie et de secours.

En effet, le feu, ini­tia­le­ment loca­li­sé dans un appar­te­ment du qua­trième étage au numé­ro 59, s’est pro­pa­gé par ce moyen non seule­ment aux cin­quième et sixième étages des deux bâti­ments, mais aus­si à l’étage infé­rieur, au 59 de la rue. « À par­tir du troi­sième, nous consta­tons que les loge­ments sont tra­ver­sants et forment des U autour de ce puits de lumière », pré­cise le lieu­te­nant-colo­nel Ange­neau. Fort heu­reu­se­ment, un grillage, éta­bli dans le puits de jour entre le deuxième et troi­sième étage, limite le déve­lop­pe­ment du feu et l’empêche de se pro­pa­ger plus bas.

Ful­gu­rantes pro­pa­ga­tions. L’autre enjeu immi­nent est de décou­vrir l’accès au sixième étage, afin d’investir sa demi-dou­zaine d’appartements. Pro­blème : impos­sible de décou­vrir son accès ! Plus tard, les pom­piers réa­lisent — grâce à la finesse d’analyse du des­si­na­teur opé­ra­tion­nel — l’existence d’un accès à l’escalier de ser­vice au rez-de-chaus­sée, der­rière une porte en trompe‑l’œil.

Quant à la monu­men­tale cage d’escalier, éga­le­ment en feu, elle ne des­sert pas le der­nier étage. Seul l’escalier de ser­vice per­met de s’y rendre. La spé­ci­fi­ci­té de cet étage réside dans le fait qu’il n’est pas recou­pé : le cou­loir qui des­sert les loge­ments tra­verse le bâti­ment de part en part, du 57 au 59. Le risque de pro­pa­ga­tion, déjà mena­çant, y est accru. « Nous avons un feu de plu­sieurs appar­te­ments, à plu­sieurs niveaux, avec des cages d’escaliers embra­sées qui vont nous contraindre dans les accès », constate le capi­taine Her­vé — offi­cier de garde de la 1re compagnie.

Le feu s’est déve­lop­pé à l’étage supé­rieur : les pro­ta­go­nistes déploient leurs efforts afin de l’éteindre au plus vite et d’accéder par la suite au der­nier étage, celui-là même qui fait l’objet de toutes leurs pré­oc­cu­pa­tions. Seule­ment, la struc­ture de cet immeuble hauss­man­nien est essen­tiel­le­ment com­po­sée de bois, dans la char­pente comme dans ses murs, faci­li­tant ain­si la pro­pa­ga­tion du feu. Les flammes ont désor­mais inves­ti non seule­ment le sixième étage, mais aus­si la toi­ture des deux immeubles.

L’intervention monte en puis­sance : le lieu­te­nant-colo­nel Ange­neau prend alors le com­man­de­ment des opé­ra­tions de secours. Il éta­blit une sec­to­ri­sa­tion en fonc­tion de ses trois pré­oc­cu­pa­tions majeures : l’investissement au der­nier étage, la pro­pa­ga­tion du feu à la toi­ture, ain­si que la mise en place d’un moyen per­ma­nent pour mon­ter en puis­sance sur la voie adja­cente, la rue Biscornet.

« Maître du feu ». Afin d’accéder au toit et d’y cir­cons­crire le feu, le Bras élé­va­teur aérien (BEA) Mon­treuil est mobi­li­sé avec un groupe de Recherche et de sau­ve­tage en milieu urbain (RSMU). « Nous avons fait deux lignes d’arrêt afin de cir­cons­crire le péri­mètre et afin de res­treindre pro­gres­si­ve­ment la pro­pa­ga­tion du feu aux poutres de la toi­ture qui se consument », déclare le lieu­te­nant-colo­nel Angeneau.

D’autre part, le point de situa­tion entre le lieu­te­nant-colo­nel Ange­neau et le capi­taine Her­vé per­met de mettre en évi­dence les dif­fi­cul­tés à l’attaque de l’appartement du qua­trième étage du 59 rue de Lyon. Le feu fait rage dans cet appar­te­ment par­ti­cu­liè­re­ment char­gé. Une fine coor­di­na­tion des moyens per­met de pro­cé­der à une attaque croi­sée à tra­vers le puits de lumière par le chef d’agrès du four­gon de Sévi­gné depuis le numé­ro 57.

Pour finir, le vété­ri­naire du véhi­cule de risque ani­ma­lier (VRA) sauve deux chats effrayés, encore situés sur la bâtisse fumante.

12 h 27. La sen­tence tombe. « Maître du feu ». Mis­sion accom­plie avec brio ! « Ce qui a été déter­mi­nant dans cette inter­ven­tion, c’est le par­fait enga­ge­ment de chaque inter­ve­nant à son niveau. », sou­ligne fiè­re­ment le lieu­te­nant-colo­nel Angeneau.

texte Sapeur de première classe Raphaël Orlando et Marie-Liesse Yon
photographies Sapeur de première classe Urvan Carbonnier


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