Retour d’inter — Dans la journée du 15 avril 2020, un feu d’appartement se déclare dans une tour d’Epinay-sur-Seine (93). Les intervenants doivent réaliser plusieurs sauvetages mais les contraintes liées au confinement ne facilitent pas la manœuvre.
13 h 30. Les pompiers de Saint-Denis (26e compagnie) quittent leur caserne et longent la Seine en direction des tours d’Epinay-sur-Seine, d’où s’élève un panache. « Nous partons pour feu dans un immeuble de 4e famille, explique le lieutenant Thibault Maublanc, chef de garde (CDG). Nous arrivons en groupe ETARE, renforcé d’un groupe habitation. Ce qui constitue un volume d’engins déjà conséquent ». Une fois sur place, les primo-intervenants alimentent leurs engins et analysent la situation.
Le CDG arrive sur la face opposée du sinistre. Il donne l’ordre à ses équipes de prendre le matériel de colonne sèche en reconnaissance. « Le centre opérationnel m’informe alors que des gens sont retranchés, notamment dans l’appartement sinistré, détaille le lieutenant Maublanc. Mes hommes rejoignent la cage d’escalier tandis que j’opère mon tour du feu. » Rapidement, le CDG aperçoit une fenêtre qui fume sur la face de l’immeuble opposée au sinistre : le risque de propagation aux paliers et aux appartements attenants s’avère donc réel.
URGENCE ET CHAOS
De son côté, le capitaine Pierre de Bouvier, officier de garde compagnie (OGC), arrive sur la face donnant sur l’appartement en feu. Trois fenêtres laissent échapper des flammes, des débris tombent, présageant une propagation en façade. Le sinistre donne par ailleurs sur d’autres tours. Il est l’heure du déjeuner et la population est confinée en raison de l’épidémie du Covid-19. « À ce stade, des centaines de personnes à leurs fenêtres et au pied des immeubles hurlent et paniquent face au triste spectacle, se souvient-il. Tout le monde filme la scène et dans cette cacophonie, seul le mot “descendez” parvient aux oreilles des habitants de la tour sinistrée. » L’OGC distingue ensuite la tête d’une personne qui sort d’une des fenêtres sous les fumées noires. « On voit la tête rentrer et sortir mais le vacarme ambiant m’empêche de capter son attention, raconte-t-il. J’ordonne à mon conducteur de garder le contact avec la victime au moyen du porte-voix. Je prends ma radio pour transmettre l’information : il y a quelqu’un dedans, c’est sûr. »
De son côté, le chef de garde subit les revers de la panique généralisée. « En arrivant au pied de l’immeuble, je vois environ 200 personnes sortir par l’unique cage d’escalier, se souvient-il. Mes hommes doivent monter les onze étages à contre-courant de cette marée humaine. J’engage des équipes au-dessus et en dessous du niveau sinistré afin d’établir une sectorisation. » Une femme gravement brûlée est alors prise en charge par le VSAV.
DEUX MANŒUVRES VÉLOCES
Le chef de garde et l’OGC se retrouvent ensuite et échangent quelques mots : le lieutenant rend compte au capitaine de la situation. « Je laisse au CDG l’intérieur de l’immeuble pour gérer l’arrivée des renforts et la manœuvre en façade, décrit l’OGC. Si les première équipes gèrent le sauvetage par les communications existantes, je préfère anticiper une seconde manœuvre par l’extérieur en cas de difficultés. » Malheureusement, celle-ci s’avère particulièrement périlleuse. « L’immeuble est positionné sur une plateforme inaccessible aux engins. Notre échelle pivotante aérienne (EPA) est donc stationnée deux étages en dessous du premier niveau (voir infographie p.28), explique-t-il. Cette perte de hauteur nous empêche de rallier le onzième étage. Nous anticipons alors de réaliser les sauvetages potentiels au moyen de l’échelle à crochets. »
De son côté, le CDG monte jusqu’au niveau sinistré. Le nombre potentiel de victimes, la gestion des reconnaissances et le dispositif nécessaire pour l’attaque du foyer l’incitent à demander un renfort habitation. « Une fois en haut, je découvre que non pas un mais quatre sauvetages viennent d’être réalisés », raconte-t-il (lire encadré ci-contre). Parmi eux, un enfant de deux ans est en arrêt cardio-respiratoire (ACR). Les pompiers l’évacuent de la zone sinistrée et démarrent la réanimation cardio-pulmonaire aux côtés des équipes médicales. « Les deux lances sont en eau et l’attaque est en cours. Je rends compte à l’OGC de l’évolution de la situation et passe mon deuxième message. » En parallèle, une dizaine de mises en sécurité est réalisée au moyen des cagoules d’évacuation.
Par la suite, le capitaine de Bouvier prend le commandement des opérations de secours. « Je permets au lieutenant de se concentrer sur le niveau sinistré en confiant les niveaux inférieurs et supérieurs à des chefs de secteurs. » La cage d’escalier étant complètement enfumée et encore encombrée par des habitants, de nombreuses reconnaissances et mises en sécurité doivent être réalisées. « Le poste médical avancé a été activé. Des VSAV prennent en charge les premiers brûlés et nous avons déjà quatre urgences absolues dont un enfant en arrêt cardiaque, argumente-t-il. »
Dans cette phase, le lieutenant-colonel Yann Le Corre se présente sur les lieux. « Je lui rends compte de la situation : le feu sera éteint, ne se propagera plus et tous les sauvetages ont été réalisés. » L’officier supérieur de garde prend alors le COS (voir encadré ci-dessous) et laisse à l’OGC la gestion des opérations au niveau sinistré. L’enfant en ACR est évacué par hélicoptère vers l’hôpital.
Les messages radio
13 : 32 : LTN MAUBLANC : JE DEMANDE RENFORT HABITATION 15 RUE DUMAS À ÉPINAY-SUR-SEINE.
13 : 36 : VIOLENT FEU D’APPARTEMENT AU 11e ÉTAGE D’UN IMMEUBLE D’HABITATION R+15 R‑1. NOMBREUX SAUVETAGES EN COURS. BILAN PROVISOIRE 3 URGENCES ABSOLUES DONT UN ENFANT EN ACR. 2 LANCES EN MANOEUVRE, POURSUIVONS RECONNAISSANCES.
13 : 38 : CNE DE BOUVIER : JE PRENDS LE COMMANDEMENT DES OPÉRATIONS DE SECOURS. JE DEMANDE QUATRE ENGINS-POMPES, UN OFFICIER DE GARDE COMPAGNIE, UN GROUPE POSTE MÉDICAL AVANCÉ, UNE TENTE MODULAIRE POLYVALENTE ET UN VÉHICULE DE REMISE EN CONDITION DU PERSONNEL.
13 : 43 : LES SAUVETAGES SE POURSUIVENT PAR LES COMMUNICATIONS EXISTANTES ET PAR LES MOYENS AÉRIENS PROLONGÉS PAR LES ÉCHELLES À MAIN. LA CAGE D’ESCALIER EST COMPLÈTEMENT ENFUMÉE DU 10e AU 15e ÉTAGE. LES EFFORTS SONT PORTÉS SUR LA PRISE EN CHARGE DES VICTIMES ET LES RECONNAISSANCES.
14 : 03 : LCL LE CORRE : JE PRENDS LE COMMANDEMENT DES OPÉRATIONS DE SECOURS.
14 : 28 : JE DEMANDE UN GROUPE INTERVENTION EN MILIEU PÉRILLEUX ET UN HÉLICOPTÈRE.
14 : 39 : MAÎTRE DU FEU. IL INTÉRESSE UN APPARTEMENT DE 80 m², UNE CIRCULATION HORIZONTALE SUR 50 m² ET UNE FAÇADE DU 11e JUSQU’AU 13e ÉTAGE. 2 LANCES SUR COLONNE SÈCHE ET VENTILATION OPÉRATIONNELLE EN MANOEUVRE. 4 SAUVETAGES ET 10 MISES EN SÉCURITÉ RÉALISÉS PAR LES COMMUNICATIONS EXISTANTES. BILAN PROVISOIRE 4 URGENCES ABSOLUES DONT UN ENFANT ET 11 URGENCES RELATIVES. POSTE MÉDICAL AVANCÉ ACTIVÉ.
15 : 28 : FEU ÉTEINT. 1 ENFANT URGENCE ABSOLUE PRIS EN CHARGE PAR DRAGON 75 ET 9 URGENCES RELATIVES ÉVACUÉES PAR LES MOYENS DE TRANSPORTS NON MÉDICALISÉS. DÉBLAIS DÉGARNISSAGE EN COURS.
Trois questions au lieutenant-colonel Yann L.C officier supérieur de garde
À votre arrivée, quels éléments vous poussent à prendre le COS ?
À mon arrivée sur les lieux de l’intervention, le sinistre est en passe d’être maitrisé grâce à l’action du départ normal et des premiers engins en renfort. En revanche, l’ensemble des reconnaissances n’est pas terminé et, en cette période de confinement, de nombreuses personnes se trouvent chez elles. Enfin, le poste médical avancé (PMA) à ciel ouvert a déjà reçu une douzaine de victimes dont un enfant en urgence absolue. Dans le contexte de crise sanitaire, la présence d’élus locaux et du sous-préfet d’arrondissement, le volume de moyens déployés et les actions qui restent à mener sont autant d’éléments qui m’invitent à prendre le COS.
Quelles sont vos priorités au cours de l’intervention ?
Deux priorités apparaissent immédiatement. Tout d’abord, la prise en charge des victimes et leurs évacuations, puis les reconnaissances dans l’ensemble de l’immeuble. Une sectorisation, en distinguant le PMA sous les ordres du DSM d’une part, et d’autre part l’immeuble d’habitation en lui-même sous la responsabilité de l’OGC qui a déjà déployé une sectorisation, découle de ces enjeux. Cette organisation permet ainsi de disposer d’une chaîne de commandement simple avec des remontées d’informations rapides et synthétiques au profit de l’officier poste de commandement (OPC). Ce dernier se trouve ainsi avec un nombre restreint d’interlocuteurs au bénéfice de la gestion du renseignement et de l’optimisation des moyens sur place. Il importe de souligner la présence du CMO SAN[1] dont l’action dans la gestion des victimes constitue une plus-value dans la conduite de l’opération.
Quels moyens avez-vous mis en œuvre et pourquoi ?
Les demandes de moyens successives du chef de garde et de l’officier de garde permettent de couvrir l’ensemble des missions. Toutefois, la situation d’une des victimes nécessite un transport par voie aérienne et la demande de Dragon 75. Les propagations à la façade nécessitent un dégarnissage poussé afin d’éviter toute reprise de feu dans l’isolant de façade. Les capacités du GRIMP sont particulièrement adaptées à cette mission. Ils évoluent en sécurité et permettent de dégarnir largement et de lever tout doute.
[1] CMO SAN : centre de mise en œuvre santé
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