Retour d’inter — Retour dans la nuit du samedi 17 août 2019. Une forte odeur de fumée alerte les habitants d’un immeuble de grande hauteur à Levallois-Perret (92). Le marché couvert Henri Barbusse, véritable cœur commercial de la commune, situé au rez-de-chaussée du bâtiment est en flammes sous leurs pieds. La structure toute entière composée d’un parking souterrain, d’une station-service, d’un marché couvert, d’un palais des sports, ainsi que de 90 logements est menacée. La lutte acharnée menée par près de 300 sapeurs-pompiers de Paris, observant un sang-froid et une discipline au feu exemplaire, a permis de sauver les habitants et de préserver le bâtiment.
Un IGH pas comme les autres
Il est presque deux heures du matin, lorsque le sergent Jean Plateau, jeune chef de garde incendie, reçoit l’ordre de départ. Avec son équipe, il rentre tout juste d’intervention, tout comme le deuxième engin-pompe du centre de secours Champerret. Ils ont juste le temps de se croiser avant de remonter se coucher. 1 h 52, le groupe ETARE est sonné. Le chef de garde rejoint le PVO : « Une ambiance particulière règne à ce moment-là, je croise le sous-officier PS et je comprends, à l’effervescence du personnel déjà présent, qu’il se passe quelque chose. Le stationnaire m’avertit : c’est l’IGH rue Gabriel Péri qui brûle. Je réalise à ce moment-là, que je vais faire face, ce soir, à ce que tout le monde craint depuis des années sur notre secteur ». L’ordre de départ n’est pas clair. Le sous-officier du centre opérationnel alors en ligne précise au sergent Plateau que pour le moment la localisation de l’origine de l’incendie est incertaine. Le feu pourrait avoir pris dans le parc de stationnement couvert du sous-sol. Cependant les fumées sont en train de gagner les habitations. Au CO, les appels deviennent nombreux et les habitants paniquent. Pas de temps à perdre.
Un impressionnant panache « noir sur noir »
Sur le trajet, le chef de garde est calme et ne ressent pas de stress particulier, il mesure pourtant la complexité du cadre qui l’attend et les nombreux risques que cette intervention comporte. Pour avoir réalisé de nombreux exercices dans la structure, il se souvient parfaitement du parc de stationnement couvert sur deux niveaux au sous-sol, du fameux marché couvert de Levallois au rez-de chaussé, de l’étonnant palais des sports au premier niveau, des neuf étages d’habitations sur dalle, et surtout… de la station-service accolée au bâtiment. Il sort tout-à-coup de ses pensées : « Après moins de quatre minutes de route, je lève les yeux sur un impressionnant panache noir sur noir dans la nuit, c’est vraiment saisissant. Je sens l’odeur, je vois des escarbilles, je suis dans le match » se confie-t-il. Arrivé sur les lieux, le groupe ETARE composé de trois engins-pompe, d’un VSAV, d’un moyen élévateur aérien ainsi que du véhicule de liaison de l’officier de garde compagnie est déjà partiellement présent. L’immeuble est idéalement implanté, car la circulation des engins est possible tout autour. Le PS Levallois est stationné à l’arrière du bâtiment, le PS de Champerret au-delà de l’adresse, sur la rue Gabriel Péri donnant sur la façade, et l’échelle pivotante automatique à nacelle méthodiquement placée sur la rue Henri Barbusse donnant sur le côté droit de l’IGH, et juste au-dessus d’une verrière donnant sur le marché couvert. Ainsi, trois faces sont parfaitement investies par les engins de secours. Le dernier côté est quant à lui occupé par la station-service. « Je demande à mon conducteur de laisser le fourgon au début de la rue Gabriel Péri, près de la bouche d’incendie, car j’entrevois d’ores et déjà les renforts lourds dont nous aurons rapidement besoin, précise le chef de garde. Stratégiquement, je tiens à ce que cet axe logistique soit libre. J’ouvre la porte de l’engin et préviens mes hommes qu’il s’agira d’une grosse opération, je leur demande de l’autonomie, des comptes-rendus réguliers, mais avant tout, une grande prudence. Je commande quatres lances grande puissance. » Immédiatement, il se met à détailler les lieux et commence une longue série d’allées et venues, autour de l’IGH, dans la cage d’escalier et près du poste central de sécurité (PCS) présent dans l’immeuble. De vives fumées noires s’échappent du rez-de-chaussée. Plus de doute, le marché couvert est en proie aux flammes. Mais le sergent doit encore absolument déterminer si le parking est lui aussi en feu. Alors que toutes les équipes sont en plein travail de reconnaissance et d’établissement, il aperçoit l’un des agents SSIAP de l’immeuble. Il apprend qu’un deuxième agent est au même moment dans les étages pour faire évacuer les habitants, par l’arrière du bâtiment. Le respect de la procédure amène le sergent à demander à l’un d’entre eux l’accès au plan de l’IGH présent dans le PSC. Malheureusement, le local n’est désormais plus accessible car totalement enfumé. Les hommes, resteront à disposition et apporteront leur aide aux sapeurs-pompiers de Paris tout au long de l’intervention.
« Je demande un groupe incendie »
Les lances grande puissance mises en œuvre sont parfaitement opérationnelles de plain-pied comme du haut de l’échelle déjà dressée. Elles assurent deux missions : le refroidissement de la structure d’une part, et, d’autre part, l’abattement d’un mur de flammes d’une dizaine de mètres menaçant directement les habitations. Il faut impérativement enrayer le risque de propagations pouvant rapidement rendre la situation dramatique. Le sergent Plateau doit terminer son tour du feu. Après la reconnaissance du parking souterrain le doute est définitivement levé : l’incendie n’a pas démarré au sous-sol, mais bien dans le marché couvert qui est maintenant totalement embrasé et reste pour l’heure encore maintenu dans son volume initial. Il s’agit d’un véritable brasier de 4 500 m². À son retour à la surface, la situation a changé. La verrière a percé peu avant, juste en dessous de l’EPAN. L’échelle toujours en pleine lutte contre les propagations est maintenant très fortement soumise aux rayonnements et le chef d’agrès n’est plus visible, car totalement pris dans les fumées. « Pour moi, la situation est trop dangereuse, je ne vois plus mon chef d’agrès, et l’échelle est en train de chauffer. Je donne immédiatement l’ordre de désengager l’EPAN mais aussi de la refroidir au moyen d’une lance », témoigne avec conviction le sous-officier. L’intensité du feu à l’intérieur du marché ne cesse de croître et le rayonnement rend l’approche difficilement supportable pour les hommes comme pour les engins stationnés devant la façade. Le sergent Plateau passe rapidement un nouveau message sur les ondes : « Je demande renfort incendie, au 19 bis rue Gabriel Péri à Levallois-Perret. »
« Je prends le commandement des opérations de secours »
À son arrivée, et avant de prendre le COS, le capitaine Anthony Roulin, officier de garde compagnie, a reconnu les lieux et pris connaissance de toutes les difficultés inhérentes à l’intervention. Il connaît la complexité bâtimentaire et écoute avec attention le compte-rendu du chef de garde. Il prend soin d’être en contact permanent avec les deux agents de sécurité incendie présents sur les lieux, toujours affairés à l’évacuation des habitants. « Nous avons malgré tout beaucoup de chance, car en ce plein mois d’août, la moitié des habitants de l’immeuble est en vacances. Sur 90 logements, nous évacuons une centaine de personnes, dans le calme malgré les fumées qui commencent à se propager », affirme le capitaine Roulin. Il est 2 h 17 quand l’officier prend le commandement des opérations de secours, et demande qu’un centre d’accueil des impliqués soit activé. Lors de son tour du feu, il reconnaît les trois grandes salles du palais des sports, situées au premier niveau, sous une dizaine de mètres de hauteur, envahies de fumées. « Dans ces immenses salles, le plafond de fumée est déjà aussi bas que nous. Je m’aperçois aussi en continuant mon tour que des fissures dans le béton sont bien visibles. Les piliers, soumis à un rayonnement aussi important qu’au rez-de-chaussée, doivent être fragilisés au point de craindre l’effondrement. Maintenant nous devons traiter cette intervention en prenant en compte la totalité de l’IGH », explique l’officier. L’évacuation terminée, plus personne ne doit entrer dans la structure. L’extinction se poursuit et l’attaque se fait exclusivement par l’extérieur, sur les trois façades habillées de verrières. Malgré la puissance des moyens hydrauliques, la portée des treize lances en manœuvre et l’action « coup de poing » du FMOGP, l’encombrement des lieux et l’immense surface intérieure rendent extrêmement difficile l’atteinte du foyer.
Robot d’extinction engagé, sécurité de nos sapeurs-pompiers et structure bâtimentaire préservée.
Le colonel Florent Gauthier, officier supérieur de garde du 3e groupement, se présente à 2 h 16. Il effectue un tour du feu après contact avec le capitaine Roulin. « Des flammes sortent du marché couvert sur trois des façades latérales ainsi qu’en toiture au droit de la façade de l’IGH sur les cinq premiers niveaux avec un risque de propagation non écarté. Des moyens hydrauliques puissants sont d’ores et déjà en manœuvre depuis l’extérieur du marché sur les façades et en toiture. Aux R+1, R+2, le palais des sports est envahi par les fumées. Les agents SSIAP de l’IGH qui ont appelé les secours précisent que le poste central, enfumé, de sécurité (PCS) n’est plus accessible. Ne sachant pas ce qu’il se passait, ils ont lancé l’évacuation générale de l’IGH avant notre arrivée. Les habitants sont regroupés dans la rue à distance du bâtiment. Les portes coupe-feu de l’IGH empêchent l’expansion des fumées dans le bâtiment », explique t‑il.
L’efficacité des lances sur le cœur du foyer est cependant atténuée en raison des nombreux obstacles jonchant le marché couvert. Après plus d’une heure et demie de lutte contre le foyer, en raison des risques d’effondrement de la dalle, le colonel Gauthier prend le commandement des opérations de secours et demande le concours du REX pour engager le robot et une lance au cœur du volume sinistré sous une chaleur exponentielle. « Je confie alors le secteur du marché au capitaine Roulin avec effort sur l’attaque. Je demande deux engins-pompes pour compléter et achever les reconnaissances de l’IGH préalablement évacué par les SSIAP. Un véhicule de reconditionnement du personnel et un camion de protection d’éclairage et de ventilation, pour le palais des sports notamment, viennent compléter le dispositif. Nous sommes maître du feu à 4 h 50. », confie l’officier.
Au petit matin, après quatre longues heures d’une lutte acharnée de 281 sapeurs-pompiers, 81 engins de secours, et treize lances dont le robot d’extinction, l’incendie est déclaré éteint. Les 4 500 m² du marché couvert sont intégralement consumés. Les piliers de soubassement de l’IGH dans le marché couvert sont particulièrement fragilisés, voire partiellement détruits sous la dalle et des fissures sont visibles en de nombreux points entre le RDC et le R+1. L’architecte décidera de ne pas faire réintégrer l’IGH par ses habitants alors regroupés au centre d’accueil des impliqués armé par la Protection Civile. Par la suite, la mairie de Levallois-Perret procédera au relogement des 107 familles.
Le dimanche 16 août au matin, les levalloisiens venus faire leur marché découvrent désemparés, l’ampleur du sinistre. Malgré tout, le palais des sports a été préservé tout comme l’IGH et la vie de ses occupants, tous sains et sauf.
Points positifs
- Nombreux occupants en vacances réduisant de moitié la population à évacuer
- Présence de deux agents de sécurité incendie sur les lieux
- Parfaite connaissance des lieux grâce aux nombreux exercices effectués sur place
- Circulation des engins facilitée par l’heure du sinistre
- Présence de verrière permettant l’attaque par l’extérieur ainsi que l’évacuation des fumées
Points négatifs
- Flammes et rayonnement rendant difficile le travail des SP et l’approche des engins
- Impossibilité d’accès au poste de sécurité totalement enfumé
- Intensité du sinistre ayant largement sollicité les structures et les fondations de l’IGH
- Engagement dans le marché trop dangereux pour le personnel
Les messages radio
Dans la nuit du samedi au dimanche 18 septembre 2019, le centre opérationnel reçoit une demande de secours pour feu sur la commune de Levallois-Perret (92). Il engage aussitôt un groupe ETARE pour un feu de marché couvert sous un IGH.
Dimanche 18 Août 2019
01 h 56 : Le sergent Plateau, chef de garde au FA 39 de CHPT, se présente.
02 h 02 : Il demande un groupe incendie au, 19 bis rue Gabriel Péri à Levallois-Perret.
02 h 07 : Le feu intéresse le marché couvert situé au rez-de-chaussée d’un IGH de la commune. Il demande renfort incendie.
02 h 13 : Dans un message d’ambiance, le sergent précise que les secours sont confrontés à un feu conséquent dans le marché couvert de Levallois-Perret. Ce dernier se situe au sein d’un complexe architectural comprenant un parc de stationnement couvert, un palais des sports et un immeuble de grande hauteur à usage d’habitation. L’effort se porte sur l’établissement de nombreux moyens en eau tout autour du bâtiment.
02 h 17 : Le capitaine Roulin, officier de garde compagnie, prend le commandement des opérations de secours et demande cinq engins pompe et précise une ZDI.
02 h 55 : Le COS demande deux véhicules légers chef de garde et un centre d’accueil des impliqués. Il explique que le feu intéresse un complexe marché couvert d’environ 4 500 m² imbriqué sous un immeuble de grande hauteur. Trois lances grandes puissances sont en manœuvre et quatre lignes de 110 mm sont en cours d’établissement.
03 h 39 : Le colonel Gauthier, officier supérieur de garde du 3e groupement d’incendie et de secours est sur place depuis quelques minutes et prend le commandement des opérations de secours. Il demande deux engins pompe, le groupe robot extinction et un véhicule de remise en condition du personnel.
03 h 56 : Le feu est circonscrit. Deux lances canon, une lance 1 000, six lances et la ventilation opérationnelle sont en manœuvre. Le centre d’accueil des impliqués est activé dans la salle des fêtes de la commune. Un officier de police judiciaire, électricité de France et gaz de France sont sur les lieux.
04 h 50 : Le COS demande un fourgon de protection d’éclairage et de ventilation ainsi que l’architecte de permanence. Les sapeurs-pompiers sont maître du feu. Neuf lances sont toujours en manœuvre, ainsi que le robot d’extinction. La reconnaissance de l’IGH R+9 est en cours et le Laboratoire centrale de la Préfecture de Police ainsi que l’adjoint au maire de Levallois sont sur les lieux.
06 h 14 : Le feu est éteint. Il intéressait un marché couvert imbriqué au sein d’un complexe architectural composé d’un immeuble de grande hauteur R+9 R‑3, d’un établissement sportif, d’un parc de stationnement couvert et d’une station-service. 83 personnes impliqués sont réunies au centre d’accueil des impliqués.
08 h 19 : Le colonel Gauthier quitte les lieux après avoir laissé le COS à l’officier de garde de la 5e compagnie et mis en place un dispositif de surveillance.
Mardi 20 août 2019
09 h 01 : Une ronde est effectuée au moyen d’une caméra thermique. Aucun point chaud ne subsistant, l’opération est terminée.
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