Retour d’inter — Il est environ 21 heures le lundi 13 mai 2019, lorsque les hommes du centre de secours Bitche s’installent à table pour une traditionnelle raclette. À peine assis, le départ normal sonne ! Plusieurs balcons sont la proie des flammes qui se propagent aux appartements.
Alors que le lieutenant Hugo Marty, officier de garde de la 10e compagnie est de passage au centre de secours (CS), il s’étonne d’une journée particulièrement calme dans ce quartier aussi populaire qu’animé du XIXe arrondissement. En repartant vers le CS Château-Landon, il lâche un « à tout à l’heure sur feu Messieurs ! ». Il ne croyait pas si bien dire, en début de soirée, un ordre de départ tombe au poste de veille opérationnel : l’échelle et les deux premiers secours de Bitche sont sonnés.
« Feu d’appartement au 208, boulevard MacDonald »
Lorsque les engins quittent la remise située face au canal de l’Ourcq, le panache est visible au loin. Ayant connaissance de travaux sur cette zone de son secteur, le sergent Florent Mayot, chef de garde incendie, décide de faire emprunter des itinéraires différents aux conducteurs. Le boulevard MacDonald dessert un quartier récent, composé d’immeubles à l’architecture complexe. Le sergent sait d’ores et déjà qu’il sera confronté à des difficultés. En arrivant, de vives flammes sortent de la fenêtre d’un logement situé au quatrième étage d’un immeuble à usage mixte de commerces et d’habitations, et menacent déjà le niveau supérieur.
Afin d’anticiper l’arrivée d’éventuels renforts, la circulation est interrompue sur la totalité du boulevard. Les grilles d’accès à une allée piétonne sont ouvertes : l’échelle peut ainsi se placer en marche arrière au niveau de l’angle du boulevard MacDonald et de l’allée Pierre Mollaret, de manière à couvrir efficacement deux façades. Les habitants paniqués et à peine vêtus sont agglutinés au bas de l’immeuble. Ces derniers sont dirigés et canalisés par les premiers intervenants au-delà du périmètre de sécurité. Sous le choc, personne n’est en mesure d’indiquer clairement au commandant des opérations de secours le cheminement pour accéder au niveau sinistré. Par chance, les occupants ont tous évacué les lieux avant l’arrivée des engins. Le chef de garde missionne ses équipes pour reconnaître le bâtiment. Une lance sur colonne sèche et une lance sur division alimentée sont établies.
Pendant son tour du feu, il constate que l’immeuble de 1997 est particulier et revêt une véritable difficulté pour l’engagement des secours. Il est asymétrique en hauteur comme dans la composition de ses logements, tantôt en simple niveau, tantôt en duplex. Il comporte deux entrées et deux cages d’escalier distinctes. La première dessert quatre étages, tandis que la seconde mène à huit étages. Il est ainsi très difficile pour les secours, d’en comprendre la distribution, vu de l’extérieur. Les balcons sont filants et séparés de simples brises-vues de plexiglas. De plus, un potentiel calorifique important est présent à l’intérieur des appartements, les équipes progressent avec difficulté tant les lieux sont encombrés de kilos de déchets, de literies et de vêtements en tout genre. Quant aux balcons, ils servent souvent de lieu de stockage : scooters, bidons de carburant, bouteilles de gaz, …
« Je demande renfort habitation »
Rapidement, la situation évolue défavorablement. Le feu d’appartement, s’est propagé au cinquième étage. C’est désormais un feu d’immeuble. Afin de pouvoir effectuer simultanément les opérations de reconnaissances, d’extinction et de prise en charge des impliqués, le chef de garde demande « renfort habitation ». « Je suis tout à coup surpris par un énorme bruit. Je contacte immédiatement mes équipes engagées à l’intérieur à l’aide de ma radio. Ils vont bien, mais ont également ressenti une déflagration de loin. Une bouteille de gaz présente sur l’un des balcons, vient d’exploser. Par chance, elle n’a fait aucun blessé », précise le sergent Florent Mayot.
Les habitants ne se rendent pas compte du danger qu’ils encourent en stockant sur leurs propres balcons du mobilier, du carburant, mais également des bouteilles de gaz.
Lieutenant Hugo Marty
À son arrivée, le lieutenant Hugo Marty reçoit un compte-rendu précis du chef de garde. Il prend immédiatement le commandement des opérations de secours (COS). Les renforts arrivent rapidement et s’articulent naturellement grâce à une sectorisation précise par niveau. « Les communications existantes sont étrangement saines, mes équipes ne souffrent pas non plus de difficultés particulières liées à la chaleur. Il y a une sorte d’incohérence entre la situation visible sur la façade et l’intérieur du bâtiment », explique l’officier de garde compagnie. Le feu concerne maintenant les deuxième, troisième et quatrième niveaux. Des matériaux enflammés chutent de balcon en balcon, provoquant ainsi l’embrasement de nouveaux appartements. « Les habitants ne se rendent pas compte du danger qu’ils encourent en stockant sur leurs propres balcons du mobilier, du carburant, mais également des bouteilles de gaz. Ce comportement inacceptable accélère la propagation du feu et met en péril tous les habitants de l’immeuble ainsi que nos sapeurs-pompiers lors de l’attaque. » martèle le lieutenant.
Avec l’ouverture des portes des logements, les cages d’escalier sont devenues impraticables : en partie haute, un bouchon de fumées s’accumule dans chacune d’entre elles. Le dispositif de désenfumage étant hors service, les secours sont contraints de fracturer les exécutoires au moyen du « Halligan Tool », matériel particulièrement efficace. La mise en œuvre de la ventilation opérationnelle permet d’assainir les communications existantes.
« L’officier supérieur de garde du 1er groupement d’incendie se présente »
Sur place, le colonel Paul-Marie Vilbé, mesure l’ampleur du sinistre. Les hommes sont à pied d’œuvre, la lutte contre les propagations et les reconnaissances se poursuivent toujours. Il prend le commandement des opérations de secours et demande successivement sept engins-pompe, un véhicule de remise en condition du personnel et une camionnette de réserve d’air comprimé. Consécutivement à l’explosion, le laboratoire central de la préfecture de police est dépêché sur les lieux. Les moyens demandés permettent une attaque massive des différents foyers : au total pas moins de huit lances, dont deux établies sur les échelles aériennes et une sur la colonne sèche viennent à bout des flammes. Les secours sont maîtres du feu à 23 h 36, mais c’est une heure plus tard que le message « feu éteint » retenti sur les ondes. Au total, cinq appartements, sur quatre niveaux sont complètement ravagés. Par ailleurs, les secouristes des moyens associatifs ont pris en charge une cinquantaine de personnes au centre d’accueil des impliqués.
Questions Au…
Colonel Paul-Marie Vilbé, officier de garde du 1er groupement d’incendie et de secours.
Quelle est la situation à votre arrivée ?
À mon arrivée, je constate l’ampleur de la situation pour plusieurs raisons. D’une part, il existe des risques pour les intervenants compte-tenu d’une explosion de gaz qui vient de se produire et de la violence du feu. Mais également à cause du développement rapide du feu par des propagations internes et en façade. Enfin la complexité dans l’agencement intérieur du bâtiment, empêche le contact direct entre intervenants engagés à un même niveau.
Pourquoi avez-vous décidé de prendre le COS ?
La prise de COS s’impose instantanément compte-tenu des risques pour le personnel engagé, de la virulence de l’incendie et de la complexité bâtimentaire. Je décide de prendre le COS après un sommaire tour du feu et le compte rendu de l’OGC (Officier de Garde Compagnie). Je lui demande de passer rapidement son message d’ambiance en lui annonçant que je prendrai le commandement juste derrière en demandant des moyens supplémentaires.
Quelles ont été vos priorités ?
Les priorités découlent de l’analyse précédente. En premier lieu, il fallait garantir la sécurité des intervenants puisque les occupants ont évacué. Nous en avions la confirmation par le responsable du bâtiment. Puis enrayer les propagations en rajoutant des points d’attaque de plain-pied et deux lances en façade pour stopper les propagations par les balcons. Mais également, sectoriser et comprendre rapidement l’agencement des volumes. Et sur cette intervention, l’appui du dessinateur opérationnel a été décisif. Enfin, coordonner les efforts entre les lances de plain-pied engagées par l’intérieur et celles situées en façades dont une pratiquait l’attaque indirecte par intermittence.
Qu’apporte le concours du laboratoire central de la préfecture de Police sur ce type d’intervention ?
Le LCPP a permis de définir l’origine probable de l’explosion. Une information essentielle sur ce type d’opération.
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