Retour d’inter — Jeudi 11 juin, au petit matin, un incendie se déclare dans un appartement boulevard Brune, dans le XIVe arrondissement de Paris. Un échafaudage surplombe la structure de l’immeuble, conséquence d’un feu de toiture l’an passé. Les flammes ont déjà envahi la cage d’escalier, les habitants sont en péril imminent. Plus de 280 sapeurs-pompiers luttent ensemble contre le sinistre. Cinq longues heures d’un intense combat permettent aux soldats
du feu d’éteindre l’incendie et de sauver l’ensemble des habitants.
Ce matin-là, la traditionnelle vérification du matériel tourne court… Jeudi matin, pas de sport. Les hommes manœuvrent jusqu’à midi. Le sergent-chef Rémi prévient ses hommes, tout le monde doit se mettre en tenue de travail. Il est 7 h 40, le chef de garde du jour au CS Plaisance effectue la vérification de son matériel. Le ronfleur écourte son action. C’est un départ normal (DN) ! Le sergent-chef Rémi reçoit l’ordre de départ : 136 boulevard Brune à Paris XIVe… l’adresse résonne dans sa tête. L’année précédente, il avait déjà fait un feu de toiture à la même adresse. Il connaît exactement la configuration des lieux et va pouvoir facilement aiguiller les autres chefs d’agrès. Les renseignements sont minces mais laissent présager le pire : « R+8// flammes au 2e étage //1 fenêtre ». Le centre de secours s’anime, tous sont déjà en tenue, les moteurs sont démarrés en trombe, les deux engins-pompes du départ normal s’élancent, l’échelle du CS Montrouge complète le DN. La circulation est fluide ce matin-là. La radio du PSE C 161 PLAI annonce que plusieurs personnes seraient bloquées aux troisième, quatrième et cinquième étages de l’immeuble et qu’un complément de départ pour feu dans un bâtiment de quatrième famille, suivi d’un groupe habitation, sont au départ.
Moins de six minutes plus tard, les engins arrivent au niveau de la porte d’Orléans. Un épais panache de fumée noire assombrit l’atmosphère. Le quartier est étrangement calme lorsque les engins stationnent. Le sergent-chef Rémi pose un pied à terre et effectue le tour de l’îlot d’immeubles afin de reconnaître les lieux : « Je vois que ça fume beaucoup sur la rue Ernest Reyer alors je dépasse la rue Edmond Rousse et je vois trois fenêtres qui “fument très noir”. Ça ne va pas tarder à s’embraser ! ». Après un bref effet de sidération, le sergent-chef ne se trompe pas : il sait ce qu’il voit, ce n’est pas un feu d’appartement classique, c’est tout l’immeuble qui brûle ! Il sait ce qu’il doit faire et il faut des moyens, et vite !
« C’est la guerre »
« Avec les échelles à coulisses et à crochets, en reconnaissance ! » Le commandement est fort et clair, le sergent-chef Rémi dicte la manœuvre à ses hommes, plusieurs personnes sont bloquées sur des échafaudages, elles sont au niveau de leurs fenêtres et ça fume beaucoup. Il faut donc agir très vite ! La fierté se lit sur le regard du sergent-chef Rémi. Envoyer ses hommes réaliser des sauvetages au péril de leurs vies est l’accomplissement même de la vocation du sapeur-pompier. « C’est leur heure, ils sont prêts ! »
« Dans la cour de l’immeuble, c’est la guerre, ça fume à tous les étages, il y a des fenêtres allumées ! » L’accès à la cour est impossible pour les moyens élévateurs aériens, il faut réaliser les sauvetages avec les échelles à mains ! L’échelle trois plans du fourgon 104 de Port Royal permet, à elle seule, de couvrir plus de hauteur pour les sauvetages. « Vu le volume et la densité des fumées qui se dégagent dans l’angle de l’immeuble, l’embrasement va très vite arriver, menacer mes hommes et la conduite des sauvetages. »
Tout se passe très vite dans l’esprit du sergent-chef Rémi. Lui et ses équipes font face à « un feu d’appartement qui est sorti de son volume. Il a envahi la totalité de la cage d’escalier et des appartements traversants sur plusieurs niveaux. Des personnes sont en danger à tous les étages, le feu est parti dans tout l’immeuble. » Sa décision est prise : il faut un plus gros volume d’engins. Il est 7 h 59 lorsque le sous-officier passe son message : « Je demande renfort habitation ». Il doit lancer rapidement les reconnaissances dans la totalité du bâtiment. Une lance est en cours d’établissement afin de faciliter la réalisation des sauvetages. Les soldats du feu barrent les conduites de gaz mais la complexité du réseau de barrage de gaz ne les rassure pas.
« Les échelles à mains déployées »
Le sergent-chef passe rapidement un message de renseignement pour le commandement et l’officier de garde compagnie qui est en route. Son message est clair, succinct mais très bien renseigné, quelques mots bien choisis permettent de comprendre aisément la situation actuelle. Le capitaine Pierre, officier de garde compagnie se présente à 8 h 07 et a bien compris le message. Il prend acte de la situation. Lorsqu’il arrive dans la cour de l’immeuble, le capitaine fait face au chaos : « La première vision que j’ai, ce sont toutes les échelles à mains déployées avec mes hommes en train de réaliser l’essence même de leur vocation de pompier. Des personnes sont encore bloquées aux quatrième, cinquième et sixième étages. »
Le capitaine Pierre prend le commandement des opérations de secours. Plusieurs aspects préoccupent l’officier. L’un d’eux est l’échafaudage sur la façade de l’immeuble en rénovation ainsi que sur la toiture. Le potentiel calorifique est immense et l’officier craint l’effondrement de la structure en acier sur ses hommes. Le capitaine Pierre demande alors des renforts, notamment une section de recherche et de sauvetage en milieu urbain (RSMU) afin d’assurer la stabilité de la structure. En plus de la section RSMU, le capitaine demande quatre engins-pompes et un groupe médical afin de se focaliser sur l’extinction du violent feu d’immeuble.
« L’humain va bien, le matériel est secondaire »
Les derniers sauvetages se terminent à peine lorsque toutes les fenêtres à l’angle de l’immeuble s’embrasent, les flammes frappent de plein fouet toutes les échelles à mains encore installées sur la façade. Ce n’est que du matériel, mais quelques secondes plus tôt des habitants étaient encore coincés en hauteur et l’issue aurait pu être dramatique. « L’humain va bien, le matériel est secondaire » rétorque le sergent-chef Rémi. L’important à ce moment est de recentrer et de recadrer les moyens en investissant la totalité de la cage d’escalier. Il faut aller vite et avoir des moyens hydrauliques en nombre de manière à progresser à l’intérieur. Les quatre engins-pompes supplémentaires demandés par le capitaine Pierre auront cette mission. L’idée du capitaine est en outre de mettre deux lances sur moyens élévateur aérien dans la rue Edmond Rousse afin de couper les propagations et protéger l’échafaudage. « Tout se déroule dans le calme absolu, une excellente coordination entre les différents acteurs et le parfait respect de la discipline au feu facilitent grandement la conduite des opérations. » Le lieutenant-colonel Kieffer, officier supérieur de garde, se présente et prend à son tour le commandement des opérations. Sa première demande est un groupe de remise en condition du personnel : les organismes sont durement touchés et un sapeur est victime d’un coup de chaleur, heureusement sans gravité.
Le sol craque sous le poids des équipes
La phase d’attaque démarre au niveau de la cage d’escalier. Le feu s’étend du deuxième au huitième, la configuration du lieu produisant un effet cheminée. Les équipes progressent dans l’escalier mais chaque marche gravie est une épreuve pour les soldats du feu, la chaleur étant trop intense. Les hommes se relaient sans cesse pour effectuer simultanément les reconnaissances et l’extinction. Le sol craque sous le poids des équipes, « les marches sont en bois mais quelle est la structure de l’escalier ? » s’interroge le capitaine. S’il est en bois, le risque d’effondrement est trop important. Le capitaine Pierre n’aura la certitude de sa composition que plus tard. Le revêtement est en bois mais la structure est en béton, il n’y a donc pas de risque d’effondrement.
« Poursuivons reconnaissances… »
Les équipes investissent un à un les appartements. Il est 9 h 21 lorsque le lieutenant-colonel Kieffer, passe son message : six lances sont en manœuvre et 11 sauvetages ont été réalisés. À cet instant, la priorité du commandement est de maîtriser les communications verticales afin d’interdire l’extension du sinistre à l’ensemble de l’îlot tout en s’assurant qu’il n’y a plus de victimes dans les appartements. Une heure plus tard, le feu est circonscrit au moyen de dix lances. L’action massive de celles disposées dans la cage d’escalier, ainsi que les relèves d’attaques régulières, permettent aux équipes d’investir la totalité de l’immeuble. Après de longues minutes de reconnaissance, les soldats du feu s’assurent de la vacance des lieux. Toutes les victimes sont déjà au PMA, le capitaine Pierre peut être fier de ses hommes. Grâce à une intervention rapide et coordonnée, aucune des victimes ne présente de séquelle grave.
Les sapeurs-pompiers deviennent maîtres du feu à 11 h 12. Le commandement demande un dispositif de surveillance pour veiller à ce qu’il n’y ait aucune reprise de feu. Après quatre longues heures d’une lutte acharnée menée par 283 sapeurs-pompiers, 86 engins de secours et dix lances, l’incendie est déclaré éteint à 12 h 46. Le bilan matériel est lourd. Quatorze appartements ainsi que la cage d’escalier ont été complètement détruits par les flammes. Mais le bilan humain, lui, est vierge : tous les habitants de l’immeuble sont sains et saufs.
MESSAGES RADIO
JEUDI 11 JUIN 2020
7 h 59 : le sergent-chef Rémi, chef de garde au PSE C 161 de PLAI, se présente.
7 h 59 : il demande un renfort habitation au
134, boulevard Brune à Paris XIV.
8 h 07 : le capitaine Pierre, officier de garde compagnie, se présente.
8 h 01 : dans un message de renseignements, le sergent-chef Rémi précise qu’il s’agit d’un feu d’immeuble, que de nombreux sauvetages sont en cours et qu’une lance est en cours d’établissement.
8 h 11 : le capitaine Pierre prend le commandement des opérations de secours et demande un bras élévateur articulé, quatre engins pompes, une section de recherche et sauvetage en milieu urbain et un groupe médical.
8 h 15 : le capitaine Pierre, dans un message d’ambiance, précise que les secours sont confrontés à un violent feu d’immeuble dans un îlot d’habitation de huit étages. Le feu s’étend sur l’intégralité d’une cage d’escalier. Les sauvetages se poursuivent en courette au moyen des échelles à mains. Le risque de propagation à la toiture et au reste de l’îlot n’est pas écarté. Il informe le commandement que le bilan provisoire fait état d’au moins cinq personnes prises en charge au point de rassemblement des victimes et qu’il pourrait évoluer de manière défavorable. L’effort se porte sur les sauvetages des personnes retranchées dans les appartements ainsi que sur la lutte contre les propagations.
8 h 29 : l’officier supérieur de garde, le lieutenant-colonel Kieffer, se présente avec le poste de
commandement tactique du 3e groupement d’incendie et de secours.
8 h 54 : le lieutenant-colonel Kieffer prend
le commandement des opérations de secours.
9 h 21 : le lieutenant-colonel Kieffer demande un groupe de remise en condition du personnel. Six lances sont désormais en action dont deux sur moyens élévateurs aérien. Le poste médical avancé est activé. Le bilan provisoire fait état de douze urgences relatives et de neuf impliqués.
9 h 46 : le lieutenant-colonel Kieffer demande un fourgon d’appui camion d’accompagnement, un bras élévateur aérien et le laboratoire central de la préfecture de police.
10 h 21 : le feu est circonscrit. Dix lances sont en manœuvre. Le bilan provisoire fait état de treize urgences relatives dont un sapeur-pompier de Paris.
11 h 12 : les pompiers sont maîtres du feu. Il intéresse quatorze appartements et une cage d’escalier du deuxième au huitième étage du bâtiment.
11 h 59 : reconnaissances aéroportées terminées. Les opérations de protection sont en cours.
12 h 46 : feu éteint. L’OSG laisse le COS à l’OGC de la 4e compagnie.
14 h 13 : le CNE Pierre demande un dispositif
de surveillance.
23 h 14 : le CNE Pierre lève le dispositif de surveillance. Reconnaissances et intervention terminées.
VENDREDI 12 JUIN 2020
10 h 26 : opération terminée. Aucun point chaud ne subsiste. Le bilan définitif fait état de quinze urgences relatives dont quatorze transportées par moyen non médicalisé et un sapeur-pompier de Paris laissé sur place.
TROIS QUESTIONS À…
Lieutenant-colonel françois Kieffer, officier supérieur de garde DU 3GIS
1 — À votre arrivée, quels éléments vous poussent à prendre le COS ?
Sur le trajet déjà, plusieurs éléments du message d’ambiance très complet de l’OGC constituent autant de signaux pour prendre le COS. En effet, le risque d’évolution défavorable de la situation y est clairement décrit aussi bien en terme de bilan humain que de propagation du sinistre. Une fois présenté, je constate la violence du sinistre. La cage d’escalier sur toute sa hauteur est la proie des flammes, plusieurs fenêtres sont allumées sur les deux façades et la propagation à la toiture s’avère effectivement probable. De plus, l’OGC me fait part de la difficulté des équipes à l’attaque pour progresser ; cela signifie que la maîtrise de la cage d’escalier va s’avérer difficile. Enfin, il y a près d’une dizaine de victimes à prendre en charge et des reconnaissances de plusieurs bâtiments menacés à réaliser. L’OGC ne dispose alors plus du recul nécessaire pour coordonner l’ensemble du dispositif, je fais donc le choix de prendre le COS.
2 — À votre échelle, quelles décisions avez-vous dû prendre ?
En qualité d’OSG, il me faut définir au plus vite une idée de manœuvre claire pour structurer l’action efficacement. Ainsi, après avoir réalisé le tour du feu et échangé avec l’OGC, j’identifie ce qui me semble conditionner le succès de l’intervention : « maîtriser les circulations verticales ». Mes priorités sont alors de renforcer les moyens hydrauliques, reconnaître au plus vite le dernier niveau et évacuer les victimes dans les meilleurs délais. Je fais évoluer la sectorisation déjà établie de la façon suivante : quatre secteurs géographiques ainsi qu’un secteur « santé » aux ordres du DSM. Je décide ainsi de porter l’effort sur un secteur en particulier en renforçant les moyens hydrauliques, puis de compléter le dispositif secteur « toiture » en mesure de faire face à un feu en partie haute.
3 — Que pouvez-vous conclure sur la conduite d’une opération de ce type ?
J’identifie pour ma part quatre critères de succès immuables. Tout d’abord, la montée en puissance de la chaîne de commandement à travers les COS successifs, conditionne de façon prépondérante la réussite de ce genre d’intervention. Pour cela, la qualité de l’engagement des premiers intervenants, l’opportunité des choix tactiques et l’exhaustivité des comptes-rendus des différents COS demeurent essentiels. Ensuite, la rigueur et la discipline dans l’organisation des points de situations par l’officier PC TAC comme dans la qualité des comptes-rendus et des propositions des chefs de secteurs me semblent fondamentales. De plus, la qualité de la communication et l’interopérabilité avec les appuis et la chaîne santé s’avèrent déterminantes pour la gestion globale de l’action. Enfin, pour l’OSG, l’élaboration d’une idée de manœuvre et d’une sectorisation claires et simples dans des délais contraints conditionnent la réussite de l’intervention. Mais bien souvent rien n’est plus compliqué que de faire simple…
POINTS FAVORABLES
- La connaissance du lieu dûe au feu de toiture l’année passée.
- L’immeuble n’est pas trop occupé à cette heure-là.
- La coordination efficace des équipes.
POINTS DEFAVORABLES
- Les doutes sur la résistance de l’échafaudage.
- La complexité du réseau de distribution de gaz.
- Les doutes sur la résistance de la cage d’escalier.