A la Une ! — Pour notre numéro d’ALLO 18 consacré au bataillon de marins-pompiers de Marseille, nous avons été reçus par son commandant. Voici l’intégralité de notre interview grand format.
Vous avez fait l’essentiel de votre carrière dans l’aéronavale, comment avez-vous appréhendé le monde des pompiers ?
Évidemment, entre l’aéronautique navale et les pompiers, les techniques sont bien différentes, mais c’est au niveau des interlocuteurs que le contraste est le plus important. Dans l’aéronautique, nous évoluons entre professionnels, ici le spectre est bien plus large. Il englobe le monde des pompiers, les SDIS, les autorités civiles comme la mairie, la préfecture, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise (DGSCGC), mais il est surtout très ancré dans le territoire. Les marins-pompiers sont complètement immergés dans la cité phocéenne. Au-delà de ça, dans l’exercice du commandement des deux unités, il existe de nombreuses similitudes. D’abord, le rythme opérationnel qui, dans les deux cas, est intense. Nous y retrouvons également un fort esprit de corps, l’importance de la gestion du temps et de l’espace, une prépondérance de la technique, de la tactique, de l’anticipation et de la préparation opérationnelle. Dans les deux univers, nous avons des gens passionnés et fiers de leur métier. Donc je ne suis pas tant dépaysé que ça.
Interventions urbaines classiques, mais également, forêts, mer et les Calanques : la très grande diversité opérationnelle pose-t-elle un défi de spécialisation ?
L’ensemble des risques présents sur le territoire de la ville de Marseille, et particulièrement le caractère maritime, nécessite que nous ayons de nombreux entraînements diversifiés. Au BMPM, le socle de connaissances techniques, que tout marin-pompier possède a minima, contient en plus de la lutte contre l’incendie urbain et le secours aux personnes, les feux de forêt et les interventions à bord des navires. La spécialisation vient en sus de ces domaines comme la capacité d’intervention dans les Calanques qui est un peu unique au monde. À l’exception des marins-pompiers en charge des appuis robotisés, tous les marins-pompiers sont affectés en centre d’incendie et de secours et possèdent une spécialité supplémentaire pour laquelle ils s’entraînent et qu’ils mettent en œuvre au besoin.
Le BMPM, tout comme quelques SDIS, a travaillé avec la Brigade sur la mise en exploitation opérationnelle de la lance diphasique. Comment s’est déroulée cette collaboration ?
C’est toujours une richesse de travailler entre différentes unités. Nous partageons évidemment avec la BSPP des caractères communs, à la fois notre spécificité militaire et le fait de défendre une grande ville. Sur le dossier de la lance diphasique, nous sommes partenaires. Nous nous rencontrons souvent pour échanger sur notre retour d’expériences. Nous profitons beaucoup des témoignages de la Brigade en matière de feux urbains et nous sommes en pleine phase d’expérimentation sur les feux de forêts et de végétations. Dans cette nouvelle campagne qui s’ouvre cet été, un de nos CCF sera équipé d’une lance diphasique. Nous travaillons aussi beaucoup avec la BSPP sur la problématique des feux de batteries, un type d’intervention qui va logiquement augmenter et pour lequel nous avons encore beaucoup à apprendre.
Qu’en attendez-vous sur votre secteur ?
Bien évidemment des bénéfices importants : surtout dans la lutte contre les feux de forêt et particulièrement avec une meilleure gestion de l’eau. Dans la pénurie à laquelle nous sommes parfois confrontés, qu’elle soit générale ou liée à un problème d’accessibilité, cette lance est un atout majeur.
D’autres domaines font l’objet de collaborations techniques entre nos deux corps, notamment en médecine d’urgence. Quelle est, selon vous, la plus-value de ce rapprochement ?
La première plus-value est de pouvoir développer l’efficacité de la médecine d’urgence. Le partage, là encore, permet de faire avancer les techniques. Par ailleurs, comme nous sommes deux unités militaires et qu’une partie de nos médecins font partie du service de santé des armées, cela nous permet de rapporter ce que l’on constate au quotidien dans les rues de nos cités pour en faire bénéficier la médecine militaire. Nous sommes plus souvent confrontés à l’urgence médicale que sur les théâtres d’opérations. Nous avons travaillé ensemble sur la capacité de transfusion sanguine de l’avant avec un bénéfice certain, notamment pour la survie des blessés.
La Coupe du monde de rugby et ensuite les épreuves des JOP. Ces deux événements à venir demandent-ils beaucoup de préparation ?
Ces événements vont rassembler de nombreuses personnes, athlètes, spectateurs des épreuves et touristes en même temps. Cela nous demande effectivement beaucoup de préparation pour être en mesure de parer à toute éventualité. Nous avons déjà conduit des réunions, des rencontres, des reconnaissances pour être prêts. Nous venons d’achever notre cycle de préparation à la Coupe du monde de rugby avec plusieurs exercices grandeur nature interservices et dans différents contextes (NRBC, attentats, nombreuses victimes), dont un, au stade Vélodrome qui sera le théâtre de six rencontres de la compétition. Nous allons compléter cette préparation pour les Jeux Olympiques et Paralympiques, avec une adaptation très spécifique aux épreuves maritimes (voile et kitesurf), avec notamment une capacité à intervenir au milieu d’une course de vitesse en mer et de son public. Nous devons aussi coordonner notre action avec les nombreuses autorités qui peuvent intervenir. Sur le littoral, le préfet du département et le maire de Marseille, en mer, le préfet maritime, l’ensemble des administrations qui agissent dans cette zone comme le SAMU, la Marine nationale, la douane, les affaires maritimes, la gendarmerie maritime, autant d’entités avec lesquelles il faut agir. Le Bataillon sera chargé de la coordination des secours sur les épreuves en mer. Depuis l’EURO 2016, nous complétons nos savoir-faire « grands événements » avec de nouvelles techniques pour toujours plus d’efficacité.
La fréquence et la violence accrue des feux de forêt auxquels vous participez sont des sujets d’inquiétudes. Comment le BMPM s’adapte-t-il à cette situation ?
En tendance, la dangerosité augmente, mais la période de risques également. Elle va au-delà de la traditionnelle plage juin-septembre. Nous adaptons donc notre préparation feu de forêt en débutant plus tôt. Cette année, nous avons commencé dès le mois de mars. Comme pour la Coupe du monde de rugby, nous entamons par la mécanisation des techniques de base des marins-pompiers, des engins, des dispositifs et des commandements. Nous avons conclu notre préparation début juin, par un exercice majeur dans les Calanques avec plus de 200 marins-pompiers et une soixantaine d’engins. Cet exercice a réuni tous nos partenaires, la police nationale et municipale, les forestiers du parc national des Calanques et du département, mais aussi des moyens aériens nationaux, avec un Dash et trois Canadairs qui ont donné un réalisme tout à fait convaincant. Mais la doctrine nationale en matière de feu de forêt met l’accent sur la prévention. Le bataillon est impliqué avec les services de la ville de Marseille, sur les obligations légales de débroussaillement, sur la distribution de flyer de sensibilisation par nos cadets, et pendant la saison, nous faisons des rondes quotidiennes dans les massifs avec une densité croissante selon le risque du moment. Nous sommes également en partenariat avec les scouts de France qui font des patrouilles dans les Calanques, et la Ville de Marseille a recruté du personnel saisonnier pour surveiller le massif de l’Étoile. Nous mettons donc l’accent sur la prévention, puis sur la capacité de détection avec un réseau de caméras pour détecter les départs de feu. Nous avons également à notre disposition des hélicoptères qui sont capables d’intervenir à tout moment. En cas de départ de feu, nous sommes capables de déployer, chaque jour, 150 hommes de plus que la couverture normale. Nous couvrons ainsi la totalité du spectre de la doctrine des feux de forêt.
Quelle importance le BMPM donne-t-il à cette mission de prévention ?
La prévention, c’est éviter d’avoir à intervenir. Placé pour emploi sous l’autorité du maire de Marseille, garant de la sécurité de ses concitoyens, le bataillon doit accomplir cette mission. Ainsi, une partie sensible de l’état-major du Bataillon y est consacrée. Tous les ans, plus de mille demandes de permis de construire d’IGH et ERP sont examinées, plus de 800 visites sont effectuées. Une activité très dense dans une ville où l’habitat est parfois ancien et demande une vigilance toute particulière. Les enjeux principaux sont la technicité et la fidélisation de notre personnel. Leur très haut niveau technique font des marins-pompiers des spécialistes très courtisés par le monde civil. Il faut donc leur accorder une grande attention pour leurs missions et leur condition de travail.
Parlons de la jeunesse, si les jeunes marins-pompiers ressemblent beaucoup à nos JSPP, l’initiative des Cadets est plus originale…
Le BMPM est engagé dans plusieurs dispositifs jeunesse qui se sont constitués au fil du temps. Si le dispositif des jeunes marins-pompiers est destiné à former au métier de pompier, les Cadets, créés en 2011, sont sur une démarche plus originale avec deux objectifs principaux. D’une part, c’est une mission d’accompagnement de la jeunesse marseillaise. Les cadets ont été sélectionnés dans les collèges de la ville. S’ils le souhaitent, ils pourront, au bout d’un an, entrer dans la Maison des cadets, lieu de vie des anciens Cadets. Le second objectif est d’en faire des ambassadeurs des marins-pompiers dans la cité en proposant un autre regard et en étant capable de relayer et d’expliquer le métier de marin-pompier. On dépasse l’image en venant au contact de la population et pour être mieux connus.
Quelle question manquait à cette interview ?Bonne question ! (rires). Peut-être qu’est-ce qui fait que nous sommes marins plutôt que sapeurs ? Les marins-pompiers sont à la fois des pompiers et des marins pour plusieurs raisons. En premier lieu, car ils ont la culture de la Marine nationale et ensuite, car ils défendent la plus grande cité maritime de France. Une cité tournée vers la mer, par où, d’ailleurs, l’essentiel de ses habitants est arrivé. Une partie des interventions se passe sur l’eau et quatre centres de secours sont maritimes, et deux d’entre eux sont dans l’enceinte du Grand port maritime de Marseille. Nous cultivons notre ADN de marins pour répondre à un réel besoin