Web-série — Pratique sportive, préparation physique, performance, résistance à l’effort, blessures, récupération, alimentation, boissons énergétiques ou compléments alimentaires autant de sujets abordés avec le médecin en chef Nicole Jacques du bureau santé et prévention. Elle suit les sportifs de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris depuis dix-sept ans. Son expertise dans le domaine est incontournable. Nous sommes allés lui poser toutes nos questions sur la pratique sportive en toute sécurité.
En termes de pratique sportive, quelles sont les missions de votre bureau ?
Elles concernent la médecine de soin et de prévention. Nous assurons une veille réglementaire, sommes à l’origine des directives, recueillons des données statistiques sur l’activité médicale au profit des pompiers, nous gérons les frais de soin inhérents aux accidents en service. Le Bureau Santé et Prévention (BSP) comprend une section médico-psychologique, une section médecine de prévention et une section vétérinaire. Pour résumer, le BSP s’assure de la bonne santé des pompiers pour que celle-ci perdure dans le temps, notamment dans la pratique du sport.
Quels sont les sports les plus pratiqués à la Brigade ?
Le Bureau Ingénierie de la Formation (BIF) est à l’origine de la doctrine qui définit les sports pouvant être enseignés et pratiqués à la BSPP. Cette dernière les regroupe en trois catégories : les activités physiques fondamentales (course à pied, musculation, natation et gymnastique), les activités spécifiques (parcours sapeurs-pompiers, course d’orientation, sauvetages aquatiques ou méthode naturelle) et les sports collectifs. Les sports les plus pratiqués, notamment en service incendie, sont la course à pied, la musculation et la natation.
Et quels sont ceux qui provoquent le plus de blessures ?
Les sports collectifs sont à l’origine de nombreuses blessures. Outre le risque de séquelles, elles peuvent provoquer une indisponibilité de service parfois longue, voire une inaptitude définitive au service incendie. Le rugby et le football sont sources de nombreux traumatismes : crâniens, rachidiens et des épaules pour le rugby, des genoux pour le football avec notamment des entorses graves avec rupture des ligaments croisés. Pour diminuer au maximum les risques encourus, le commandement de la Brigade autorise la pratique des sports collectifs uniquement le week-end en service incendie et une fois par semaine pour les permanents. La course à pied peut être responsable d’entorses de cheville et la gymnastique d’atteintes des membres supérieurs.
Avez-vous des conseils pour les éviter ces blessures ?
C’est avant tout une question de bon sens et de qualité de vie. Le plus important demeure dans le respect des périodes d’échauffement et de récupération. Il faut également s’adapter aux conditions climatiques ; le froid par exemple diminue nos performances et notre métabolisme devient plus fragile. À ce moment-là, le risque de blessures est accru. Il est conseillé de bien s’hydrater surtout en période de forte chaleur. Il convient donc de respecter une progressivité dans l’effort mais également d’individualiser l’entraînement. Le sport doit être pratiqué régulièrement en respectant des consignes de sécurité avec un encadrement de qualité. Enfin, pour qu’un sportif soit performant, il doit offrir à son corps une hygiène de vie saine. Cela passe par une bonne alimentation et un sommeil réparateur. J’ajouterai même que faire du sport en étant malade est à proscrire !
Et quand survient la blessure ?
Il faut en permanence être à l’écoute de son corps. Dès la première alerte, le sapeur-pompier doit consulter un médecin. Une fois le diagnostic posé, les prescriptions médicales doivent être respectées. S’aménager un temps de repos et ne pas raccourcir la durée d’arrêt de sport conseillée permettront d’éviter les séquelles et les récidives. Ensuite, une reprise progressive de l’activité physique évitera une nouvelle blessure.
Le sport est-il indispensable au sein de notre métier ?
Évidemment, il permet à nos sapeurs-pompiers de protéger leur santé, de développer des capacités physiques indispensables pour l’activité opérationnelle. Ce fut le cas récemment lors de l’incendie de la rue Erlanger, demandant à nos sauveteurs un dépassement de soi exceptionnel lors des sauvetages à l’échelle à crochets… Le sport permet aussi une certaine cohésion. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le métier de sapeur-pompier demande des athlètes agiles, endurants et souples avec un bon sens de l’équilibre et une masse musculaire pas trop développée car elle pourrait devenir un handicap.
Le cross fit est à la mode à la Brigade. Est-il compatible avec notre métier ?
Ce sport est intéressant car il est très ludique mais c’est un sport à haute intensité physique avec des périodes de récupération active ; il est à éviter lors des séances de sport en caserne pendant une garde. Par ailleurs, la répétition intensive d’un même mouvement dans un temps limité peut générer des blessures. À la suite de ce type de séance, le pompier est extrêmement fatigué. S’il décale sur une intervention lui demandant des efforts considérables, son rythme cardiaque et sa température corporelle seront déjà élevés, augmentant le risque cardio-vasculaire et le risque d’hyperthermie. C’est d’ailleurs aussi le cas lors d’une séance de fractionné.
Chez les sportifs, les compléments alimentaires ont la cote. Leur utilisation est-elle fréquente à la Brigade ?
Il faut savoir qu’une alimentation normale couvre 99% des besoins nutritionnels nécessaires à un sportif, même de haut niveau. Une étude a été menée sur la consommation de compléments alimentaires à la Brigade en 2016. Elle a révélé en effet que certains pompiers sont des consommateurs réguliers de ce type de substances. Certains compléments n’ont toutefois pas les effets escomptés. Par exemple, les acides aminés, couramment utilisés pour favoriser la prise de masse musculaire, ne sont efficaces que consommés avec des protéines. Les minéraux, les oligo-éléments et vitamines consommés en excès peuvent être délétères pour la santé. La spiruline peut provoquer des hépatites. La créatine n’a que peu d’intérêt. Elle n’est efficace seulement pendant les trente premières secondes d’un effort intense. Les médecins de la BSPP, assurant les consultations au sein des centres médicaux de groupement, sont formés à la médecine du sport et possèdent de bonnes connaissances en nutrition. Tout militaire peut s’en rapprocher afin d’être guidé sur toutes ces questions de compléments alimentaires, notamment sur la consommation de protéines. Elle peut être utile en fonction du sport pratiqué notamment en phase de récupération avec des glucides mais consommée en excès, elle peut entraîner une prise de poids avec surcharge rénale et hépatique.
Une alimentation normale couvre 99 % des besoins nutritionnels d’un sportif, même de haut niveau…
Dr Nicole Jacques
Quels types de compléments alimentaires doit-on favoriser ?
Il faut faire très attention. Les compléments alimentaires n’étant pas considérés comme des médicaments mais comme des denrées alimentaires, ils peuvent être mis sur le marché sans garantie d’efficacité contrairement aux médicaments.
Les produits conseillés doivent être conformes à la norme française Afnor NF V94-001, qui garantit la propreté des produits ou au label Sport Protec qui garantit la non-contamination par des hormones stéroïdiennes. Il faut être vigilant quant à la provenance des produits et se méfier des achats sur internet.
Et les boissons énergétiques ? Pensez-vous qu’il est utile d’en boire ?
Tout d’abord, il y a une différence entre les boissons énergétiques et les boissons énergisantes. Ces premières sont intéressantes dans l’hydratation et dans la récupération après un effort sportif. Les deuxièmes contiennent un taux important de caféine, voire de taurine, et ne présentent aucun intérêt pour le sport. Elles peuvent même être dangereuses car elles peuvent provoquer des accidents cardio-vasculaires. Pour une réhydratation efficace, le pompier peut se préparer lui-même sa boisson. Nous conseillons une solution à base de jus de fruits composée de jus de raisin dilué dans de l’eau avec un peu de sel.
Quels sont les effets de la cigarette et la bière après le sport ?
Au BSP, nous incitons aux sevrages tabagiques. Les pompiers étant déjà très exposés aux fumées d’incendie, il est inutile et dangereux de subir également le toxique de la cigarette. Après le sport, fumer peut provoquer des spasmes coronariens, appelés aussi « infarctus du vestiaire ». La bière est aussi formellement contre-indiquée. Toutefois, on assiste souvent à des distributions de bières fraîches à la fin de courses à pied. L’alcool étant diurétique, les coureurs fatigués qui en absorberont seront d’autant plus déshydratés. La bière est une très mauvaise boisson de récupération !
Quels sont les moyens mis en place par votre bureau pour sensibiliser les pompiers ?
La Brigade s’est inscrite dans la démarche du « Mois sans tabac » au mois de novembre. Nous devons être proactifs à ce sujet. Pour cela, plusieurs campagnes et études ont été menées et d’autres pourront l’être. Il est primordial de renforcer l’hygiène de vie chez les pompiers en faisant attention à leur consommation d’alcool et de toxique ! Chez les plus jeunes, on note des conduites d’alcoolisation massive et excessive.
Nos centres médicaux, les moniteurs de sports et les membres des bureaux HSE sont également présents pour aider et accompagner les pompiers. Peu le savent, mais un psychologue réserviste est préparateur physique. Il peut donner des conseils sur la préparation psychologique afin d’aider les sapeurs-pompiers avant une activité sportive importante ou une compétition.
Avez-vous d’autres conseils à donner à nos pompiers ?
Chacun est tenu de faire très attention à son repos physiologique. Quand un pompier rentre chez lui, il doit pouvoir jouir d’un repos optimal. Évidemment, s’il prend des gardes de pompier volontaire, il doit être sûr d’avoir bien récupérer avant de prendre une nouvelle garde. La consommation de café doit également être régulée.
Et pour la récupération ?
Pour combattre la fatigue, autoriser les pompiers à faire une sieste de 20 minutes pendant leur garde est efficace. Le chef de centre veille au bon déroulement des journées de ses pompiers. En ce sens, les activités hors interventions doivent être adaptées à l’activité opérationnelle de la précédente nuit. Cela permet de ne pas les affaiblir davantage pendant leurs 24 heures de garde. D’ailleurs, une étude sur le sommeil vient d’être menée au 1er GIS et montre que nombres de pompiers présentent des problèmes d’hypersomnolence diurne. Un problème à traiter en priorité dans les années à venir…
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