TRANSFUSION SANGUINE EN AR — Travailler sur les morts évitables

 — Modi­fiée le 25 juillet 2024 à 08 h 35 

#BrigadeInside — Toujours dans la recherche de l’amélioration du service rendu à la population, la BSPP travaille sur un projet de transfusion sanguine depuis les AR qui pourrait sauver de nombreuses vies. Le médecin-chef Clément Derkenne est notre point de contact.

Aujourd’hui, lorsqu’un méde­cin d’ambulance de réani­ma­tion (AR) pose une indi­ca­tion de trans­fu­sion san­guine en inter­ven­tion, il doit lan­cer une pro­cé­dure exté­rieure avec le SAMU du dépar­te­ment concer­né pour récu­pé­rer des poches de sang. Une méthode peu adap­tée à une prise en charge rapide et donc réser­vée pour les cas de per­sonnes incar­cé­rées ou blo­quées sous un métro, par exemple.
« À la divi­sion San­té, nous nous sommes inves­tis dans une réflexion glo­bale sur les morts évi­tables, nous révèle le méde­cin-chef Clé­ment Der­kenne, char­gé du pro­jet. Nous avons lan­cé une très grande étude nom­mée PRE-HOP-PLYO avec l’idée de pou­voir uti­li­ser du plas­ma lyo­phi­li­sé dans nos AR. »
Le sang humain est com­po­sé de trois élé­ments dis­tincts : les glo­bules rouges, les pla­quettes et le plas­ma. En AR, sché­ma­ti­que­ment, deux types de patients néces­sitent une trans­fu­sion : les trau­ma­ti­sés sévères et les patients avec une hémor­ra­gie diges­tive, avec des trai­te­ments tota­le­ment dif­fé­rents. Pour les trau­ma­ti­sés, l’essentiel consiste à les conduire au plus vite en milieu hos­pi­ta­li­sé et si pos­sible avec une trans­fu­sion pour amé­lio­rer le pro­nos­tic vital. Mais, elle doit se faire dans la demie-heure qui suit notre arri­vée.
« Les trau­ma­ti­sés ont besoin de plas­ma en pre­mière urgence, puis de glo­bules rouges ensuite, explique le méde­cin-chef. Pour les hémor­ra­gies diges­tives, par exemple une cir­rhose, c’est l’inverse. Glo­bules rouges d’abord et plas­ma par­fois. »
Il existe néan­moins un pro­duit qui regroupe les deux com­po­santes : le sang total. En outre, si le plas­ma lyo­phi­li­sé (c’est-à-dire du plas­ma en poudre et recons­ti­tuable avec de l’eau) ne pose pas de pro­blème logis­tique, régle­men­tai­re­ment les choses se com­pliquent car cer­tains décrets d’application ne sont tou­jours pas pro­mul­gués. La BSPP, comme les SMUR, les attend pour avoir le droit de trans­por­ter des pro­duits san­guins dans ses AR.
En revanche, pour le sang, le pro­blème est com­plet, puisqu’en plus de l’aspect régle­men­taire, la logis­tique est plus contrai­gnante. « En effet, le sang doit être conser­vé à une tem­pé­ra­ture située entre 2° et 6° pen­dant 42 jours au maxi­mum » com­mente le doc­teur Der­kenne.
Dans cette optique, plu­sieurs pro­jets ont été atta­qués en paral­lèle. La pre­mière étude PRE-HOP-PLYO avec le plas­ma a été ache­vée et est en cours de publi­ca­tion. Un décret très atten­du doit per­mettre d’en dis­po­ser dans les AR.

Un fri­go hi-tech pas comme les autres
Le second pro­jet, Fai­sang, consiste à embar­quer des poches de sang fac­tices dans les AR à l’aide d’un réfri­gé­ra­teur très haute tech­no­lo­gie, le Nelum­box. À la fois actif (pour refroi­dir ou réchauf­fer) et pas­sif (en cas de fonc­tion­ne­ment sans bat­te­rie, il peut gar­der une tem­pé­ra­ture constante 24h quelles que soient les condi­tions exté­rieures). Il est relié à un GPS et gère l’hygrométrie, mais sur­tout, sa porte est équi­pée d’un sys­tème de ver­rouillage par carte pour sécu­ri­ser son accès.
« Cet ensemble de tests com­plexes montre que l’on peut trans­por­ter du sang dans nos AR en totale sécu­ri­té, pré­cise le méde­cin-chef. Nous devons res­pec­ter une cer­taine pro­cé­dure d’ouverture de cette porte à dis­tance, avec le centre de trans­fu­sion san­guine des armées (CTSA) qui se trouve à l’Hôpital Per­cy de Cla­mart (92), notre par­te­naire sur cette expé­rience. Ce test per­met de véri­fier toutes les don­nées tech­niques, tech­no­lo­giques et logis­tiques à tra­vers une simu­la­tion sur une tren­taine de trans­fu­sions. »
Si le test est concluant et les décrets signés, des poches de glo­bules rouges, dans un pre­mier temps, puis du sang total pour­ront être à dis­po­si­tion dans ce réfri­gé­ra­teur hi-tech.

Un rafraî­chis­se­ment des connais­sances
Pour trans­fu­ser dans les AR, les infir­miers ne vont pas subir une for­ma­tion spé­ci­fique. « Ce sera plu­tôt un rafraî­chis­se­ment des connais­sances. En infir­miers de métier, ils savent trans­fu­ser, mais pour la plu­part, ils ne l’ont pas fait depuis un cer­tain temps » remarque le Dr Der­kenne.
En revanche, une petite for­ma­tion sera néces­saire pour faire pas­ser au patient le « contrôle ultime ». Ces tests ont beau­coup évo­lué ces der­nières années. Ils per­mettent de savoir en quelques minutes si la poche de sang pour la trans­fu­sion est com­pa­tible avec le groupe san­guin de la vic­time.
« Ce pro­jet fait col­la­bo­rer de nom­breuses équipes de la Divi­sion San­té, la sec­tion scien­ti­fique pour l’étude, le BPIB pour la par­tie ges­tion du froid et loca­tion du super-fri­go et la sec­tion ensei­gne­ment spé­cia­li­sé dans le cadre for­ma­tif, pré­cise le méde­cin-chef. Mais il ne faut pas oublier les grou­pe­ments opé­ra­tion­nels pour s’approprier les pro­cé­dures, la coor­di­na­tion médi­cale et le centre de trans­fu­sion san­guine des armées (CTSA). »
À terme, les six AR opé­ra­tion­nelles de la Bri­gade seront équi­pées de ce réfri­gé­ra­teur et pour­ront enri­chir cette quête per­ma­nente du méde­cin à « tra­quer les morts évi­tables ».
« Aujourd’hui, ces décès sont par­mi les gens qui saignent, conclut le doc­teur. Depuis Char­lie Heb­do, nous avons aug­men­té la dota­tion de gar­rots dans les VSAV, nous avons modi­fié notre pro­cé­dure de prise en charge pour rac­cour­cir le temps vers l’hôpital. Et depuis long­temps main­te­nant, nous agis­sons en per­ma­nence pour amé­lio­rer nos gestes et nos équi­pe­ments pour trai­ter les arrêts car­diaques. Aujourd’hui s’ouvre devant nous la pos­si­bi­li­té de trans­fu­ser plus vite la vic­time, ce qui sau­ve­ra encore plus de vies ! »

james blundell

La trans­fu­sion san­guine de 1628 à aujourd’hui

1628 : publi­ca­tion des pre­mières études sur la cir­cu­la­tion san­guine chez l’homme par William Harvey.

1665 : Chris­to­fer Wren publie ses tra­vaux pour créer les pre­miers outils opé­ra­tion­nels pour injec­ter du sang dans l’organisme.

1667 : pre­mière trans­fu­sion sur un jeune homme de 16 ans par Jean-Bap­tiste Denis (1635 – 1704). Cette pre­mière mon­diale est effec­tuée avec du sang… de mouton.

1674 : Van Leeu­wen­hoeck découvre les glo­bules rouges. « J’ai obser­vé le sang de ma main et j’ai trou­vé qu’il consiste en glo­bules rouges nageant dans un liquide clair. »

1818 : pre­mière trans­fu­sion avec du sang humain par James Blun­dell (pho­to).

1900 : Karl Lan­stei­ner découvre le groupe san­guin ABO.

1910 : pre­mier cas de palu­disme trans­mis par trans­fu­sion décrit par George Woolsey.

1914 – 1918 : les tech­niques de labo­ra­toires mili­taires per­mettent désor­mais la conser­va­tion (modeste) de sang total, mais la tech­nique du “bras à bras” est encore prépondérante.

1918 – 1939 : nais­sance des pre­mières banques de sang et des pré­lè­ve­ments de solidarité.

1939 – 1945 : le frac­tion­ne­ment du plas­ma, la conser­va­tion pro­lon­gée et l’utilisation de la matière plas­tique faci­litent l’opération.

1945 à aujourd’hui : la trans­fu­sion san­guine devient de plus en plus pré­cise et efficace.


À LIRE AUSSI…

ATTENTATS : le soutien médico-psychologique en situation d’exception

FATIGUE DU SAPEUR-POMPIER : FIRECARE, un programme à méditer


Retour en haut