VIOLENT FEU D’IMMEUBLE — Nuit tragique à Levallois

Jean Flye —  — Modi­fiée le 25 juillet 2024 à 08 h 40 

Retour d’inter — Le lundi 26 juillet 2021, il n’est pas encore 2 h 30 lorsque le caporal Sébastien, opérateur au centre opérationnel des sapeurs-pompiers de Paris, décroche un appel qui va monopoliser les soldats du feu une bonne partie de la nuit. Focus.

À l’autre bout de la ligne, une femme d’une cin­quan­taine d’années est apeu­rée… Elle lui indique qu’il y a le feu chez elle, au 132 rue du pré­sident Wil­son à Leval­lois-Per­ret. Une lampe halo­gène brû­lante est tom­bée sur le cana­pé où était assou­pi son père. Le sofa s’est embra­sé puis a gagné rapi­de­ment le reste de l’appartement. Elle réus­sit à quit­ter la pièce pour se réfu­gier dans sa chambre, sans par­ve­nir à dépla­cer son père. Le capo­ral déclenche alors le départ des secours…

02 h 27 Centre de secours Leval­lois. Le ser­gent-chef Kévin R., qua­torze ans de ser­vice, est affec­té depuis tout juste un an à Leval­lois. Sa garde se ter­mine dans quelques heures, celle-ci a été mou­ve­men­tée notam­ment par un incen­die la veille. À cette heure-là, il dort bien pro­fon­dé­ment dans son appar­te­ment. Lorsque la sirène reten­tit chez lui, il bon­dit, son pouls s’emballe, l’appel du feu le sort défi­ni­ti­ve­ment de son som­meil. En un rien de temps, il se retrouve au PVO, le sapeur de veille lui tend l’ordre de départ « ser­gent-chef, un groupe habi­ta­tion est au départ des secours ! ». Le ser­gent-chef R. monte alors dans sa voi­ture de chef de garde, il est accom­pa­gné par le four­gon pompe tonne léger (FPTL) 18 Leval­lois, par l’échelle pivo­tante à nacelle (EPAN) 25 Leval­lois et par le pre­mier secours 236 Cham­per­ret. Toutes sirènes hur­lantes, les machines rouges s’élancent dans l’obscurité, leurs gyro­phares bleus éblouis­sant la nuit. La pré­sence d’un groupe habi­ta­tion au départ des secours ne laisse que trop peu de doute au ser­gent-chef. « Ça va être une inter­ven­tion impor­tante ! » se pré­pare-t-il men­ta­le­ment. Le tra­jet n’est pas long, ils rejoignent l’adresse en à peine cinq minutes.

Il y a quelqu’un à l’intérieur de l’appartement…
En arri­vant à l’angle de la rue du pré­sident Wil­son, le chef de garde et son conduc­teur aper­çoivent l’ampleur du sinistre, « c’est la cohue, une cin­quan­taine de per­sonnes s’est amas­sée devant l’immeuble, il y a aus­si beau­coup de cris » se sou­vient le ser­gent-chef. Ses yeux se fixent sur le bâti­ment, « les flammes sortent déjà de la façade de l’immeuble au niveau du cin­quième étage, le feu est déjà en plein déve­lop­pe­ment » ana­lyse-t-il ins­tan­ta­né­ment. Avec son conduc­teur, ils rejoignent l’accès prin­ci­pal de l’immeuble, le FPTL et l’EPAN sont déjà là, celle-ci est pla­cée juste à l’aplomb de la façade. La gar­dienne de l’immeuble se pré­sente à eux et dans un calme remar­quable aiguille le ser­gent-chef sur l’emplacement de l’incendie, « il y a quelqu’un à l’intérieur de l’appartement, il faut y aller vite ! Dépê­chez-vous ! » clame-t-elle. Une per­sonne est en train de se mani­fes­ter à la fenêtre d’un appar­te­ment du cin­quième étage. La den­si­té des fumées est telle qu’elle risque l’intoxication. Le capo­ral Tan­guy L., chef d’agrès de l’EPAN, reçoit l’ordre de déployer son échelle vers la façade afin d’effectuer le sau­ve­tage de cette femme. Le capo­ral s’attelle à sa mis­sion. Arri­vé au niveau de la vic­time, il l’extrait vaillam­ment d’un péril immi­nent. Cette femme lui annonce que son père est peut-être res­té dans l’appartement. A‑t-il réus­si à s’enfuir de l’appartement au moment où près de 70 per­sonnes sont éva­cuées vers une école mater­nelle située à proxi­mi­té ? Les sol­dats du feu ne le savent pas encore. Le ser­gent-chef donne la mis­sion à ses équipes de retrou­ver cet homme…

Violent feu d’ap­par­te­ment à Leval­lois-Per­ret (92).

L’intensité com­mence à bais­ser Le chef d’agrès du FPTL engage ses équipes à l’intérieur de l’immeuble afin de com­men­cer l’extinction de l’appartement au cin­quième étage. Arri­vant au niveau de l’appartement en flammes, une porte blin­dée en six points leur fait obs­tacle, celle-ci risque de leur résis­ter un bon moment. C’est alors que le ser­gent Yohann L., chef d’agrès du PS, engage à son tour ses équipes afin de recon­naître le sixième étage. À la radio, il inter­pelle le chef de garde. « Ser­gent-chef ! Je me situe au sixième étage avec mes équipes, je suis en capa­ci­té de mettre en place une lance de l’intérieur diri­gée sur la façade afin de lut­ter contre les pro­pa­ga­tions au sixième étage. » « Très bonne idée, vas‑y fonce ! » lui rétorque le ser­gent-chef R.. Les équipes du ser­gent Yohann s’exécutent et éta­blissent la lance, le jet com­mence à faire effet sur les flammes, l’intensité com­mence à baisser.

Le capi­taine Adrien A., offi­cier de garde de la cin­quième com­pa­gnie du jour, se pré­sente rapi­de­ment sur les lieux de l’intervention. Très récem­ment affec­té à Cham­per­ret, il fait son come­back sur incen­die après quelques mois pas­sés au Liban dans le cadre d’une opé­ra­tion exté­rieure. Le ser­gent-chef est en train de finir son tour du feu. À la radio, il demande deux engins-pompe sup­plé­men­taires pour faire les recon­nais­sances des appar­te­ments envi­ron­nants, ceux-ci sont tous équi­pés de portes blin­dés. « Cela va prendre du temps et de l’énergie, cette main d’œuvre sup­plé­men­taire ne sera pas de trop ! » jus­ti­fie-t-il. Les deux hommes se croisent enfin, ils font rapi­de­ment un point de situa­tion. « Mon capi­taine, nous sommes en pré­sence d’un violent feu d’appartement au cin­quième étage qui se pro­page au sixième avec un sau­ve­tage réa­li­sé par l’EPAN. Plu­sieurs éva­cua­tions sont en cours et la cage d’escalier n’a pas été encore recon­nue entiè­re­ment. Une per­sonne est man­quante à l’appel. Le bilan humain peut encore évo­luer défa­vo­ra­ble­ment » lui rend compte le ser­gent-chef Kévin R..

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02 h 52 Le capi­taine Adrien A. décide de prendre le com­man­de­ment des opé­ra­tions de secours. Il donne pour mis­sion au ser­gent-chef Kevin Rivière de gérer l’extinction et les recon­nais­sances du sec­teur du cin­quième et du sixième étage. L’officier demande un groupe de secours à per­sonne afin de prendre en charge les quelques vic­times et les sapeurs-pom­piers légè­re­ment bles­sés. Dans l’immeuble, la cage d’escalier est tou­jours satu­rée de fumée, il faut créer un exu­toire. Mal­heu­reu­se­ment il n’en existe pas à demeure dans l’immeuble. La déci­sion est prise d’évacuer les fumées par la fenêtre d’un appar­te­ment déjà sinis­tré au sixième étage. La ven­ti­la­tion opé­ra­tion­nelle est action­née et les fumées se dégagent vers l’extérieur. Au cin­quième étage, les équipes uti­lisent le dis­po­si­tif d’ouverture de porte afin d’entrer dans l’appartement en feu. Après quelques minutes d’effort, les 500 bars de pres­sion de l’appareil entrent en action, la porte blin­dée cède et finit par s’ouvrir…

Violent feu d’ap­par­te­ment à Levallois-Perret. 

Il aurait sou­hai­té sau­ver tout le monde
Les équipes s’engagent alors dans l’appartement condui­sant simul­ta­né­ment l’extinction et les recon­nais­sances munies de la camé­ra ther­mique. Les flammes s’affaissent, la manœuvre de la lance fait son effet. La pre­mière recon­nais­sance de l’appartement ne donne aucun résul­tat. Les dif­fé­rentes équipes se relaient afin de peau­fi­ner l’extinction de l’appartement. La cha­leur baisse, les der­nières flammes s’éteignent…

03 h 35« URGENT, URGENT, URGENT, chef, je vous rends compte que nous avons retrou­vé un corps cal­ci­né dans l’appartement du cin­quième étage ». La nou­velle sonne comme un coup de mas­sue, le ser­gent-chef rejoint les équipes sur place, il s’agit vrai­sem­bla­ble­ment de l’homme man­quant à l’appel. C’est lors d’un énième pas­sage que la mal­heu­reuse vic­time a été décou­verte à l’aplomb de la fenêtre de la chambre. L’intervention prend désor­mais une dimen­sion tra­gique… Le ser­gent-chef Kévin sait que dans ce type d’intervention, le risque de décou­vrir une vic­time décé­dée existe. Cela fait mal­heu­reu­se­ment par­tie du métier. Il aurait sou­hai­té sau­ver tout le monde, mais ce soir, le sort en a déci­dé autre­ment. Il rend compte de la tra­gique nou­velle au capi­taine Adrien, afin qu’il puisse réa­li­ser la demande du labo­ra­toire cen­tral de la Pré­fec­ture de police. Celui-ci est char­gé de mener les inves­ti­ga­tions lors de la décou­verte d’une per­sonne décé­dée sur intervention.

04 h 43 L’opération prend fin, les der­nières braises sont éteintes et les opé­ra­tions de déblai et de dégar­nis­sage des appar­te­ments sinis­trés sont réa­li­sées. Les équipes du capi­taine et du ser­gent-chef sont usées, elles ont bataillé une bonne par­tie de la nuit. Avant de ren­trer au centre de secours, le ser­gent-chef R. réunit ses sol­dats. Il est fier d’eux, ils ont su faire preuve d’efficience et de cou­rage tout au long de l’intervention. Le bilan humain est mal­heu­reu­se­ment lourd mais le chef de garde est conscient que ses hommes ont su, cette nuit-là, faire hon­neur à la bri­gade de sapeurs-pom­piers de Paris.

L’OEIL DE L’OSG

COLONEL SÉBASTIEN GELGON

L’OSG du GIS3 s’est enga­gé sur cette inter­ven­tion pour feu d’habitation sur­ve­nu en pleine nuit (1er départ à 02 h 27 le 26 juillet). L’OGC de la 5e CIS, le CNE Albe­ri­ni (CDU‑A) a pris le COS.
112 sapeurs-pom­piers de Paris engagés.

Quelles ont été vos mis­sions durant l’intervention ?

Une fois enga­gé sur cette inter­ven­tion, mon pre­mier objec­tif a été de pro­cé­der rapi­de­ment à une éva­lua­tion ini­tiale de la situa­tion afin de déter­mi­ner si le dis­po­si­tif mis en place par les deux pre­miers COS (CGI puis OGC) était cor­rec­te­ment dimen­sion­né ou si des moyens sup­plé­men­taires allaient être néces­saires et donc m’orienter vers une prise de com­man­de­ment des opé­ra­tions de secours.

Cette éva­lua­tion ini­tiale se fait via un rapide tour du feu et un point de situa­tion avec l’officier de garde compagnie.

Aviez-vous des craintes par­ti­cu­lières à votre niveau ?

La crainte sur ce type d’intervention sur­ve­nant en pleine nuit, au sein d’un immeuble à usage d’habitation, est bien évi­dem­ment d’être confron­té à un bilan humain consé­quent. Le pre­mier mes­sage de ren­sei­gne­ments fai­sait état de « plu­sieurs sau­ve­tages et mises en sécu­ri­té » et d’un risque de pro­pa­ga­tion ver­ti­cale aux niveaux supé­rieurs, ce qui lais­sait pré­sa­ger une poten­tielle évo­lu­tion défa­vo­rable de la situation.

À votre échelle, quelles déci­sions avez-vous dû prendre ?

La situa­tion à mon arri­vée était glo­ba­le­ment figée, du moins le risque de pro­pa­ga­tion aux niveaux supé­rieurs écar­tés. J’ai donc déci­dé de lais­ser le COS à l’OGC.
Je l’ai appuyé dans sa prise de déci­sion opé­ra­tion­nelle afin notam­ment de :
▶ conso­li­der la sec­to­ri­sa­tion de l’intervention afin de com­plé­ter les recon­nais­sances de l’immeuble, com­pre­nant au total (de mémoire) 5 cages d’escalier des­ser­vies par la même cir­cu­la­tion hori­zon­tale non recou­pée au rez-de-chaus­sée de l’immeuble ;
▶ assu­rer la mon­tée en puis­sance du dis­po­si­tif SAN afin de garan­tir une prise en charge rapide des vic­times : acti­va­tion du PMA en liai­son avec l’AR sur place ;
▶ prendre en charge les impli­qués (envi­ron 75 per­sonnes) qu’il a fal­lu relo­ger pour cer­tains en liai­son avec les ser­vices de la muni­ci­pa­li­té de Levallois.

Afin qu’il puisse se concen­trer sur sa mis­sion de ges­tion de l’intervention, j’ai assu­ré la liai­son directe avec :
▶ le sous-pré­fet de per­ma­nence des Hauts-de-Seine ;
▶ l’adjoint au maire de la ville de Levallois.

Que pou­vez-vous conclure sur la conduite d’une opé­ra­tion de ce type ?

Je retiens l’importance du par­fait enga­ge­ment des engins du pre­mier départ (ce qui a été le cas) afin d’assurer une mon­tée en puis­sance rapide et effi­cace du dis­po­si­tif, seule garante du suc­cès d’une telle inter­ven­tion de nuit dans un immeuble d’habitation.

L’OSG, s’il ne res­sent pas la néces­si­té de prendre le COS, a, en tout état de cause, un rôle pri­mor­dial à jouer afin d’appuyer l’OGC dans le com­man­de­ment de l’opération (confir­ma­tion de l’idée de manoeuvre, conso­li­da­tion de la sec­to­ri­sa­tion) et la prise en compte à son niveau d’un cer­tains nombres d’acteurs exté­rieurs (auto­ri­tés muni­ci­pales, pré­fec­to­rales, médias) sus­cep­tibles de per­tur­ber et/​ou de ralen­tir le COS en titre dans sa conduite de la manœuvre opérationnelle.


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Photos : CCH Soline Laplace & vidéo : CCH Marc Loukachine

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