Retour d’inter — Le lundi 26 juillet 2021, il n’est pas encore 2 h 30 lorsque le caporal Sébastien, opérateur au centre opérationnel des sapeurs-pompiers de Paris, décroche un appel qui va monopoliser les soldats du feu une bonne partie de la nuit. Focus.
À l’autre bout de la ligne, une femme d’une cinquantaine d’années est apeurée… Elle lui indique qu’il y a le feu chez elle, au 132 rue du président Wilson à Levallois-Perret. Une lampe halogène brûlante est tombée sur le canapé où était assoupi son père. Le sofa s’est embrasé puis a gagné rapidement le reste de l’appartement. Elle réussit à quitter la pièce pour se réfugier dans sa chambre, sans parvenir à déplacer son père. Le caporal déclenche alors le départ des secours…
02 h 27 Centre de secours Levallois. Le sergent-chef Kévin R., quatorze ans de service, est affecté depuis tout juste un an à Levallois. Sa garde se termine dans quelques heures, celle-ci a été mouvementée notamment par un incendie la veille. À cette heure-là, il dort bien profondément dans son appartement. Lorsque la sirène retentit chez lui, il bondit, son pouls s’emballe, l’appel du feu le sort définitivement de son sommeil. En un rien de temps, il se retrouve au PVO, le sapeur de veille lui tend l’ordre de départ « sergent-chef, un groupe habitation est au départ des secours ! ». Le sergent-chef R. monte alors dans sa voiture de chef de garde, il est accompagné par le fourgon pompe tonne léger (FPTL) 18 Levallois, par l’échelle pivotante à nacelle (EPAN) 25 Levallois et par le premier secours 236 Champerret. Toutes sirènes hurlantes, les machines rouges s’élancent dans l’obscurité, leurs gyrophares bleus éblouissant la nuit. La présence d’un groupe habitation au départ des secours ne laisse que trop peu de doute au sergent-chef. « Ça va être une intervention importante ! » se prépare-t-il mentalement. Le trajet n’est pas long, ils rejoignent l’adresse en à peine cinq minutes.
Il y a quelqu’un à l’intérieur de l’appartement…
En arrivant à l’angle de la rue du président Wilson, le chef de garde et son conducteur aperçoivent l’ampleur du sinistre, « c’est la cohue, une cinquantaine de personnes s’est amassée devant l’immeuble, il y a aussi beaucoup de cris » se souvient le sergent-chef. Ses yeux se fixent sur le bâtiment, « les flammes sortent déjà de la façade de l’immeuble au niveau du cinquième étage, le feu est déjà en plein développement » analyse-t-il instantanément. Avec son conducteur, ils rejoignent l’accès principal de l’immeuble, le FPTL et l’EPAN sont déjà là, celle-ci est placée juste à l’aplomb de la façade. La gardienne de l’immeuble se présente à eux et dans un calme remarquable aiguille le sergent-chef sur l’emplacement de l’incendie, « il y a quelqu’un à l’intérieur de l’appartement, il faut y aller vite ! Dépêchez-vous ! » clame-t-elle. Une personne est en train de se manifester à la fenêtre d’un appartement du cinquième étage. La densité des fumées est telle qu’elle risque l’intoxication. Le caporal Tanguy L., chef d’agrès de l’EPAN, reçoit l’ordre de déployer son échelle vers la façade afin d’effectuer le sauvetage de cette femme. Le caporal s’attelle à sa mission. Arrivé au niveau de la victime, il l’extrait vaillamment d’un péril imminent. Cette femme lui annonce que son père est peut-être resté dans l’appartement. A‑t-il réussi à s’enfuir de l’appartement au moment où près de 70 personnes sont évacuées vers une école maternelle située à proximité ? Les soldats du feu ne le savent pas encore. Le sergent-chef donne la mission à ses équipes de retrouver cet homme…
L’intensité commence à baisser Le chef d’agrès du FPTL engage ses équipes à l’intérieur de l’immeuble afin de commencer l’extinction de l’appartement au cinquième étage. Arrivant au niveau de l’appartement en flammes, une porte blindée en six points leur fait obstacle, celle-ci risque de leur résister un bon moment. C’est alors que le sergent Yohann L., chef d’agrès du PS, engage à son tour ses équipes afin de reconnaître le sixième étage. À la radio, il interpelle le chef de garde. « Sergent-chef ! Je me situe au sixième étage avec mes équipes, je suis en capacité de mettre en place une lance de l’intérieur dirigée sur la façade afin de lutter contre les propagations au sixième étage. » « Très bonne idée, vas‑y fonce ! » lui rétorque le sergent-chef R.. Les équipes du sergent Yohann s’exécutent et établissent la lance, le jet commence à faire effet sur les flammes, l’intensité commence à baisser.
Le capitaine Adrien A., officier de garde de la cinquième compagnie du jour, se présente rapidement sur les lieux de l’intervention. Très récemment affecté à Champerret, il fait son comeback sur incendie après quelques mois passés au Liban dans le cadre d’une opération extérieure. Le sergent-chef est en train de finir son tour du feu. À la radio, il demande deux engins-pompe supplémentaires pour faire les reconnaissances des appartements environnants, ceux-ci sont tous équipés de portes blindés. « Cela va prendre du temps et de l’énergie, cette main d’œuvre supplémentaire ne sera pas de trop ! » justifie-t-il. Les deux hommes se croisent enfin, ils font rapidement un point de situation. « Mon capitaine, nous sommes en présence d’un violent feu d’appartement au cinquième étage qui se propage au sixième avec un sauvetage réalisé par l’EPAN. Plusieurs évacuations sont en cours et la cage d’escalier n’a pas été encore reconnue entièrement. Une personne est manquante à l’appel. Le bilan humain peut encore évoluer défavorablement » lui rend compte le sergent-chef Kévin R..
02 h 52 Le capitaine Adrien A. décide de prendre le commandement des opérations de secours. Il donne pour mission au sergent-chef Kevin Rivière de gérer l’extinction et les reconnaissances du secteur du cinquième et du sixième étage. L’officier demande un groupe de secours à personne afin de prendre en charge les quelques victimes et les sapeurs-pompiers légèrement blessés. Dans l’immeuble, la cage d’escalier est toujours saturée de fumée, il faut créer un exutoire. Malheureusement il n’en existe pas à demeure dans l’immeuble. La décision est prise d’évacuer les fumées par la fenêtre d’un appartement déjà sinistré au sixième étage. La ventilation opérationnelle est actionnée et les fumées se dégagent vers l’extérieur. Au cinquième étage, les équipes utilisent le dispositif d’ouverture de porte afin d’entrer dans l’appartement en feu. Après quelques minutes d’effort, les 500 bars de pression de l’appareil entrent en action, la porte blindée cède et finit par s’ouvrir…
Il aurait souhaité sauver tout le monde
Les équipes s’engagent alors dans l’appartement conduisant simultanément l’extinction et les reconnaissances munies de la caméra thermique. Les flammes s’affaissent, la manœuvre de la lance fait son effet. La première reconnaissance de l’appartement ne donne aucun résultat. Les différentes équipes se relaient afin de peaufiner l’extinction de l’appartement. La chaleur baisse, les dernières flammes s’éteignent…
03 h 35 « URGENT, URGENT, URGENT, chef, je vous rends compte que nous avons retrouvé un corps calciné dans l’appartement du cinquième étage ». La nouvelle sonne comme un coup de massue, le sergent-chef rejoint les équipes sur place, il s’agit vraisemblablement de l’homme manquant à l’appel. C’est lors d’un énième passage que la malheureuse victime a été découverte à l’aplomb de la fenêtre de la chambre. L’intervention prend désormais une dimension tragique… Le sergent-chef Kévin sait que dans ce type d’intervention, le risque de découvrir une victime décédée existe. Cela fait malheureusement partie du métier. Il aurait souhaité sauver tout le monde, mais ce soir, le sort en a décidé autrement. Il rend compte de la tragique nouvelle au capitaine Adrien, afin qu’il puisse réaliser la demande du laboratoire central de la Préfecture de police. Celui-ci est chargé de mener les investigations lors de la découverte d’une personne décédée sur intervention.
04 h 43 L’opération prend fin, les dernières braises sont éteintes et les opérations de déblai et de dégarnissage des appartements sinistrés sont réalisées. Les équipes du capitaine et du sergent-chef sont usées, elles ont bataillé une bonne partie de la nuit. Avant de rentrer au centre de secours, le sergent-chef R. réunit ses soldats. Il est fier d’eux, ils ont su faire preuve d’efficience et de courage tout au long de l’intervention. Le bilan humain est malheureusement lourd mais le chef de garde est conscient que ses hommes ont su, cette nuit-là, faire honneur à la brigade de sapeurs-pompiers de Paris.
L’OEIL DE L’OSG
COLONEL SÉBASTIEN GELGON
L’OSG du GIS3 s’est engagé sur cette intervention pour feu d’habitation survenu en pleine nuit (1er départ à 02 h 27 le 26 juillet). L’OGC de la 5e CIS, le CNE Alberini (CDU‑A) a pris le COS.
112 sapeurs-pompiers de Paris engagés.
Quelles ont été vos missions durant l’intervention ?
Une fois engagé sur cette intervention, mon premier objectif a été de procéder rapidement à une évaluation initiale de la situation afin de déterminer si le dispositif mis en place par les deux premiers COS (CGI puis OGC) était correctement dimensionné ou si des moyens supplémentaires allaient être nécessaires et donc m’orienter vers une prise de commandement des opérations de secours.
Cette évaluation initiale se fait via un rapide tour du feu et un point de situation avec l’officier de garde compagnie.
Aviez-vous des craintes particulières à votre niveau ?
La crainte sur ce type d’intervention survenant en pleine nuit, au sein d’un immeuble à usage d’habitation, est bien évidemment d’être confronté à un bilan humain conséquent. Le premier message de renseignements faisait état de « plusieurs sauvetages et mises en sécurité » et d’un risque de propagation verticale aux niveaux supérieurs, ce qui laissait présager une potentielle évolution défavorable de la situation.
À votre échelle, quelles décisions avez-vous dû prendre ?
La situation à mon arrivée était globalement figée, du moins le risque de propagation aux niveaux supérieurs écartés. J’ai donc décidé de laisser le COS à l’OGC.
Je l’ai appuyé dans sa prise de décision opérationnelle afin notamment de :
▶ consolider la sectorisation de l’intervention afin de compléter les reconnaissances de l’immeuble, comprenant au total (de mémoire) 5 cages d’escalier desservies par la même circulation horizontale non recoupée au rez-de-chaussée de l’immeuble ;
▶ assurer la montée en puissance du dispositif SAN afin de garantir une prise en charge rapide des victimes : activation du PMA en liaison avec l’AR sur place ;
▶ prendre en charge les impliqués (environ 75 personnes) qu’il a fallu reloger pour certains en liaison avec les services de la municipalité de Levallois.
Afin qu’il puisse se concentrer sur sa mission de gestion de l’intervention, j’ai assuré la liaison directe avec :
▶ le sous-préfet de permanence des Hauts-de-Seine ;
▶ l’adjoint au maire de la ville de Levallois.
Que pouvez-vous conclure sur la conduite d’une opération de ce type ?
Je retiens l’importance du parfait engagement des engins du premier départ (ce qui a été le cas) afin d’assurer une montée en puissance rapide et efficace du dispositif, seule garante du succès d’une telle intervention de nuit dans un immeuble d’habitation.
L’OSG, s’il ne ressent pas la nécessité de prendre le COS, a, en tout état de cause, un rôle primordial à jouer afin d’appuyer l’OGC dans le commandement de l’opération (confirmation de l’idée de manoeuvre, consolidation de la sectorisation) et la prise en compte à son niveau d’un certains nombres d’acteurs extérieurs (autorités municipales, préfectorales, médias) susceptibles de perturber et/ou de ralentir le COS en titre dans sa conduite de la manœuvre opérationnelle.