Web-série — Étudiante en histoire, Laura Z. a été volontaire en Service Civique au CS Saint-Maur (94). Pendant dix mois, de mai 2019 à février 2020, elle a tenu un journal alimenté par ses sensations, ses réflexions et ses sentiments. Dans ce troisième et dernier épisode, découvrez les conclusions de Laura de son expérience unique.
PREMIÈRES CONCLUSIONS
J’ai eu vraiment de la chance d’être affectée à la 23.
En à peine un mois, j’ai sympathisé avec beaucoup de monde et je retiens de plus en plus de prénoms. Ils sont vraiment tous adorables. Tellement adorables que je n’ai même plus à négocier pour participer aux fameux TIG (les travaux d’intérêt général) avec tout le monde ! Je me sens moins frustrée. Pourtant le précepte en vigueur dans la caserne de Saint-Maur prévoit que les VSC en sont exemptés. Attention ! Je parle des TIG quotidiens auxquels tous les sapeurs doivent participer (nettoyage des lieux de vie, des lieux communs, du réfectoire, les poubelles, les travaux journaliers dans la caserne etc.). Il est bien évident que lors de chacune de mes gardes, comme chaque membre de l’équipage du VSAV, je fais la vérification du matériel, la remise en condition et le nettoyage de la cellule après chaque intervention, la désinfection du VSAV le lendemain, mais également le nettoyage de la chambre à coucher du VSAV, le remplacement des poubelles etc. De manière générale, je participe également au nettoyage de la chambre des féminines, dans laquelle je dors et je me douche. La vie en communauté, c’est respecter la propreté des parties communes habitées par ses collègues. Après tout, si il y a une revue surprise des chambres et que je n’ai pas fait ma part, ou bien, que j’ai utilisé quelque chose sans nettoyer après : ce sont les autres qui se feront sermonner à cause de moi !
En fait, pour la hiérarchie : si les VSC sont une aide car ils permettent de remplacer un pompier au VSAV, on ne leur ajoute pas non plus des tâches quotidiennes ayant trait à toute la caserne. Je préfèrerais de loin me rendre utile !
Un soir alors que j’accompagne Romain – le plus jeune caporal de la caserne que je prend grand plaisir à tourmenter et taquiner – faire sa ronde dans la caserne, j’en profite pour aider aux TIG des poubelles. Un sergent vient alors gentiment me dire que ce geste, aussi motivé soit-il, ne m’est pas demandé. Il m’explique par la suite que si les gradés voient un VSC faire les TIG, on ira « gronder » à la fois un sapeur, censé faire cette tâche, ainsi que le caporal de jour qui supervise l’ensemble des missions et TIG.
Et le caporal de jour se trouve être en l’occurrence, ce jour- là : le petit Romain ! En fait, si l’on préfère que je n’aide pas aux tâches quotidiennes, c’est dans le but d’éviter que les sapeurs se fassent reprendre par des gradés. Mais dans les faits, tous ne pensent pas ainsi… et beaucoup sont bien contents quand tout le monde met la main à la pâte !
COMME UNE HORLOGE
Le quotidien à Saint-Maur est très bien huilé.
6 h 30 : réveil. Même si certains sont déjà levés pour le petit-déjeuner.
Jusqu’à 7 h 30 : TIG du matin.
7 h 15 — 7 h 30 : relève du piquet de la veille par le piquet ascendant (si le ronfleur retentit).
7 h 45 : rassemblement de la garde ascendante.
8 h 00 — 8 h 30 – 45 : vérification des engins, de leur matériel et de leur opérabilité.
8 h 45 — 10 h 00 : sport ou running.
10 h 00 — 11 h‑11 h 30 (il peut y avoir un rassemblement à 10h15 mais c’est peu courant, tout du moins à Saint-Maur) : instruction ou manœuvre du jour.
11 h 30 à 13 h 00 : MANGER !
L’après-midi est consacré aux travaux dans la caserne ou aux missions en cours (ex : réaménagement, réparations etc.).
17 h 00 à 18 h‑18 h 30 : sport. Puis, vers 20 h 00 : MANGER !
Il y a généralement des instructions dans la soirée entre 21 et 22 heures, plus tard parfois. Puis l’extinction des feux se fait vers 23 heures. Les journées passent vite, très vite…
Durant les heures où le VSAV 1 ne décale pas, j’ai tendance à aller voir au PVO si il y a quelque chose à faire, ou encore discuter avec ceux qui y s’y trouve. En y réfléchissant bien…c’est dans cette pièce, juste à l’entrée de la caserne, que les discussions les plus intéressantes ont eu lieu ! Véritable centre névralgique de Saint-Maur, tout le monde dans la caserne y passe au moins une fois par jour pour venir aux nouvelles, ou pour rendre compte de quelque chose. On m’y a notamment présenté et expliqué les rouages et le fonctionnement de suivi, en direct, des interventions en cours sur le secteur et ceux limitrophes.
CHEF D’AGRÈS ?!
Lors de mon avant-dernière garde, le rayonnant sergent M., nous a permis, au 1CL L. et moi, de tenir le rôle du chef d’agrès durant une intervention ! J’ai été « aux commandes » l’espace d’un instant, suis entrée la première dans les résidences, ai été en première ligne lors du contact avec les victimes, ai délégué les responsabilités tout en évaluant la situation etc. Un exercice extrêmement stressant sur le coup, mais vraiment galvanisant !
Chacun son tour donc, du début à la fin (le tout sous la supervision, la bienveillance et les conseils du sergent) le 1CL L. et moi avons pu expérimenter les différents moments auquel un chef d’agrès est confronté. Entre autres : analyse des bilans circonstanciels et primaires instantanée et simultanée, réactivité, réflexion, intelligence de situation, solvabilité possible et envisageable du problème et de l’extraction de la victime, surveillance et même méfiance si celle-ci n’est pas dans son état normal (notamment vis à vis de la sécurité des deux équipiers). Tout cela demande une connaissance pointue des pathologies, de leurs symptômes ou de leurs signes annonciateurs.
Cette expérience fut incontestablement un moment fort de mon service civique à la brigade de sapeurs-pompiers de Paris.
Je n’avais pas aucune envie que mon service civique se termine.
Je n’ai littéralement pas vu mes gardes passer… Le temps semble s’être joué de moi tout du long. Le temps… le plus grand médecin du monde, et, paradoxalement, l’entité la plus vicieuse qui soit. Chaque jour, même si je pouvais être fatiguée ou un peu stressée, j’étais heureuse d’aller à Saint-Maur-des-Fossés. À la « Grande 23 ».
J’ai énormément appris. Sur moi-même, sur cette vie. Sur ces héros du quotidien, ordinaires, invisibles et anonymisés, et pourtant si omniprésents au travers de leurs camions rouges. J’ai pu développer ma patience, ma retenue et mes connaissances. J’ai dû apprendre à lutter contre la fatigue et le sommeil, à aimer le son du ronfleur plutôt qu’à le haïr. J’ai compris l’utilité de puiser aussi bien dans sa force mentale que sa force physique. Comprendre, et se dire, que si ces soldats parviennent à être sur le pied de guerre pendant 48, 72 heures ou parfois plus, alors ce ne sont pas mes 24 heures de garde qui sont à plaindre.
Avoir ressenti cet engouement, cette joie, cette exaltation à chacune de mes gardes grâce à eux, grâce à leur mémorable compagnie. S’éveiller ces matins-là, lors du réveil à 6 h 30, en réalisant que j’enfilais un uniforme prestigieux symbole d’une action humble et à la fois d’une vie hors-norme, à la fois merveilleuse et difficile. Une chose que j’ai tenté avec l’appréhension au ventre, une chose qui fait rêver petits et grands.
Je tiens donc à remercier, profondément, l’ensemble des sapeurs-pompiers de la caserne de Saint-Maur pour leur accueil, leurs conseils, leur bonne humeur, leur patience, leur bienveillance.
A lire aussi…
WEB-SERIE – Le Journal d’une VSC (épisode 1⁄3) : Première garde
WEB-SERIE – Le journal d’une VSC (épisode 2⁄3) : Premiers secours