EXPÉRIMENTATION - Le facteur humain opérationnel : cherchez l'erreur !

Harry Couvin
19 janvier 2023
Nicho­las Bady —  — Modi­fiée le 19 jan­vier 2023 à 23 h 02 

#BrigadeInside – Depuis deux ans, la BSPP expérimente la prise en compte du facteur humain opérationnel. Si certaines petites erreurs ou oublis du quotidien ne portent pas à conséquence, ils peuvent être catastrophiques sur intervention… Allo18.fr fait le point.

L’erreur est humaine… Certes. Fort heu­reu­se­ment, les petites erreurs du quo­ti­dien sont, le plus sou­vent, sans gra­vi­té. Se trom­per de numé­ro de télé­phone, envoyer un email sans sa pièce jointe ou encore oublier de pas­ser à la bou­lan­ge­rie pour ache­ter du pain n’aura géné­ra­le­ment pas d’incidence trop fâcheuse… Mais cer­taines erreurs peuvent avoir des consé­quences bien plus graves. Pre­nons l’exemple d’un pilote d’avion : si le com­man­dant de bord com­met une erreur de pilo­tage ou de juge­ment, une impru­dence, qu’il manque de vigi­lance ou inter­prète un fait de façon erro­née, sa mal­adresse peut entraî­ner la mort de plu­sieurs dizaines de personnes.

Quel est le point com­mun entre toutes les erreurs de notre com­man­dant de bord ? Le fac­teur humain. Dans les exemples cités, il n’est pas ques­tion d’une défaillance tech­nique ni de la sur­ve­nue d’un évé­ne­ment exté­rieur, mais bien d’une erreur humaine. Main­te­nant, posons-nous la ques­tion : une erreur d’un chef d’agrès, d’un com­man­dant des opé­ra­tions de secours ou, plus sim­ple­ment, d’un seul sapeur-pom­pier, peut-elle aus­si avoir de graves consé­quences ? La réponse est oui.

Dans le BSP 200.21…
Bien plus que le citoyen lamb­da, le pom­pier de Paris n’aime pas com­mettre d’erreurs. Encore moins en inter­ven­tion, sur­tout lorsqu’elle engage la sécu­ri­té des inter­ve­nants ou de la popu­la­tion. C’est alors qu’intervient le fac­teur humain. Le BSP 200.21 RETEX le défi­nit comme « l’ensemble des carac­té­ris­tiques du fonc­tion­ne­ment humain (phy­sio­lo­giques, men­tales et sociales) qui influent sur le dérou­le­ment de son acti­vi­té de tra­vail et, de fait, sur la sécu­ri­té et l’efficacité de l’action ». Plus sim­ple­ment, le fac­teur humain vise à com­prendre, recher­cher, ana­ly­ser et pré­ve­nir tout ce qui peut nous induire en erreur lors d’une inter­ven­tion, d’un point de vue « humain ». Par exemple : le manque de com­mu­ni­ca­tion. La fatigue, le stress ou encore une conscience de situa­tion erro­née sont autant de fac­teurs humains avé­rés. Petite pré­ci­sion : une erreur est tou­jours invo­lon­taire, contrai­re­ment à une vio­la­tion du règle­ment, qui est volon­taire, mais à des fins opé­ra­tion­nelles. Tou­jours à la recherche de l’efficacité maxi­mum, la Bri­gade a lan­cé en 2020 une vaste expé­ri­men­ta­tion por­tant sur le fac­teur humain opé­ra­tion­nel, convain­cue par les bons résul­tats obte­nus lors des expé­ri­men­ta­tions de la divi­sion san­té depuis 2018 (lire encadré).

« Je suis convain­cu par la notion de fac­teur humain, annonce d’emblée le capo­ral-chef Nico­las Ber­jon. Au pre­mier grou­pe­ment d’incendie et de secours, nous for­mons les chefs d’agrès au FH depuis la fin de l’année 2020, et les retours sont très majo­ri­tai­re­ment posi­tifs. » D’abord, leur connais­sance aide à pré­ve­nir l’apparition de cer­taines erreurs. Ensuite, l’analyse d’un inci­dent sous l’angle « fac­teur humain » per­met de com­prendre com­ment et pour­quoi nous sommes tous poten­tiel­le­ment sujets aux erreurs. « Au bureau opé­ra­tion ins­truc­tion, indique le capo­ral-chef Ber­jon, nous avons remar­qué que les biais cog­ni­tifs sont de redou­tables sources d’erreurs et sur­tout, que tout le monde est concer­né, sans excep­tion. » En effet, les biais cog­ni­tifs de fré­quence, d’ancrage, d’habitude ou de confor­mi­té au groupe sont des phé­no­mènes bien connus des scien­ti­fiques. « Le biais de confir­ma­tion d’hypothèse, par exem­ple, incite le chef d’agrès à ne tenir compte que des élé­ments qui confirment son rai­son­ne­ment, et à occul­ter com­plè­te­ment les élé­ments qui l’infirment. C’est très dan­ge­reux » pré­vient le capo­ral-chef. Ain­si, l’analyse des faits à la lumière du fac­teur humain apporte une nou­velle dimen­sion au retour d’expérience (RETEX). Au bureau pla­ni­fi­ca­tion opé­ra­tion­nelle (BPO), l’intérêt du fac­teur humain ne fait plus aucun doute.

Fatigue, stress et com­plexi­té
« Le bilan de l’expérimentation est très posi­tif, révèle le com­man­dant Florent Chal­man­drier, adjoint au chef de la sec­tion doc­trine RETEX du BPO. Le fac­teur humain a été expé­ri­men­té au pre­mier grou­pe­ment, mais aus­si au centre opé­ra­tion­nel et au GFIS. Au BMU, pré­cur­seur dans le domaine, tout le monde est for­mé. Les résul­tats, bien que dif­fi­ciles à mesu­rer, sont vrai­ment encou­ra­geants. La prise de conscience par le pom­pier de Paris du fac­teur humain et de ses consé­quences est une plus-value, cela ne fait aucun doute. Bien com­prendre qu’une simple inter­rup­tion de tâche peut mettre en dan­ger des dizaines d’intervenants est for­cé­ment béné­fique pour le bon dérou­le­ment de nos opé­ra­tions… » C’est vrai. Si un sapeur-pom­pier a pour mis­sion de bar­rer le gaz et qu’il est inter­rom­pu dans sa tâche, son cer­veau peut sim­ple­ment « oublier » sa pre­mière mis­sion. Qui ne s’est jamais deman­dé ce qu’il fai­sait ou quel était le sujet d’une dis­cus­sion après avoir été inter­rom­pu ? En inter­ven­tion, si la mémoire ne vous revient pas, les consé­quences peuvent être catas­tro­phiques. Ajou­tez la fatigue, le stress et la com­plexi­té d’une situa­tion et vous obtien­drez tous les élé­ments pro­pices à la sur­ve­nue d’un inci­dent. « C’est pour­quoi le géné­ral a déci­dé d’étendre le fac­teur humain à tous les grou­pe­ments d’incendie et de secours, pour­suit le com­man­dant Chal­man­drier. Mais aus­si de l’intégrer au cur­sus de for­ma­tion des chefs d’agrès VSAV dès sep­tembre 2023, et à la for­ma­tion des chefs de centre et des officiers. »

Le fac­teur humain opé­ra­tion­nel se déve­loppe à la Bri­gade, tou­jours en quête d’efficience. Dans le domaine aéro­nau­tique, il est employé depuis les années 1970, et son inté­rêt n’est plus à démon­trer. À l’aune de ces bons résul­tats, la BSPP compte bien faire siennes les bonnes pra­tiques du fac­teur humain pour réduire le nombre d’erreurs en inter­ven­tion, et pour­quoi pas amé­lio­rer la vie en centre de secours. N’oublions pas : si per­sonne n’est à l’abri d’une erreur, c’est tou­jours mieux quand on n’en fait pas.

MÉDECIN DE CLASSE EXCEPTIONNELLE MARIE PERY

Chef du groupe enseignement spécialisé du bureau médical d’urgence (BMU) et référente « facteur humain » de la BSPP

“L’idée est de faire prendre conscience, aux professionnels, de l’impact des facteurs humains ”

Le doc­teur Marie Pery est pas­sée par la rédac­tion de votre maga­zine pour évo­quer les enjeux du fac­teur humain au sein de l’Institution. Questions-réponses.

Doc­teur, qu’est-ce que le fac­teur humain ? Et avec quel orga­nisme déve­lop­pez-vous ces notions ?
Les fac­teurs humains opé­ra­tion­nels sont tous les élé­ments liés à la propre nature de l’homme et son cer­veau qui vont influen­cer le cours d’une inter­ven­tion, que ce soit de manière posi­tive ou délé­tère. Il n’y a pas un fac­teur, mais une mul­ti­tude de fac­teurs humains : fatigue, stress, émo­tions, trai­te­ment céré­bral de l’information… Ils agissent à des degrés dif­fé­rents sur chaque pro­fes­sion­nel, selon l’intervention, l’heure, le contexte et peuvent, ou non, par­ti­ci­per à la pro­duc­tion d’er­reurs. Ils ont éga­le­ment un rôle impor­tant dans le tra­vail en équipe. La com­mu­ni­ca­tion, la ges­tion des conflits ou les inter­rup­tions de tâches sont une grande source d’er­reurs. Les fac­teurs humains sont éga­le­ment des élé­ments de per­for­mance. À la dif­fé­rence d’une machine, si fiable et éla­bo­rée soit-elle, l’humain a une capa­ci­té d’adaptation, de réso­lu­tion de pro­blèmes com­plexes, néces­saire à notre métier exi­geant et sous pres­sion de temps, comme dans une indus­trie à risque.
Depuis de très nom­breuses années, les indus­tries à risque comme le nucléaire ou l’aviation ont mis en place ces for­ma­tions dans leur démarche de ges­tion des risques. L’Institut de recherche bio­mé­di­cale des armées (IRBA) avait l’expérience de ces for­ma­tions auprès de per­son­nels de l’armée de l’air et de sous-mari­niers. Avec cette uni­té, nous avons éla­bo­ré un pro­duit de for­ma­tion adap­té à notre envi­ron­ne­ment de tra­vail, et ils ont for­mé un cer­tain nombre d’entre nous à l’animation des for­ma­tions en FH.


Quels sont les objec­tifs de la prise en compte du fac­teur humain à la Bri­gade ?
La prise en compte du FH est née de l’analyse entre les inter­ven­tions des ambu­lances de réani­ma­tion et de la coor­di­na­tion médi­cale, et de l’observation de la for­ma­tion des équipes médi­cales en simu­la­tion. Alors que les connais­sances, les com­pé­tences tech­niques et le maté­riel adap­té étaient satis­fai­sants, un nombre non négli­geable d’erreurs exis­tait, et en grande par­tie, liées à des élé­ments non tech­niques.
Tout le monde fait des erreurs. En revanche, la maî­trise de la tech­nique et le res­pect des règle­ments et des pro­cé­dures sont des condi­tions néces­saires, mais non suf­fi­santes pour pré­ve­nir l’erreur et amé­lio­rer la per­for­mance, indi­vi­duelle et col­lec­tive. La connais­sance de ces fac­teurs humains, et la ges­tion de ces phé­no­mènes en inter­ven­tion, per­son­nel­le­ment et en équipe, sont les « com­pé­tences non tech­niques » indis­pen­sables au tra­vail dans des uni­tés à risque, comme la BSPP.
L’idée est de faire prendre conscience, aux pro­fes­sion­nels, de l’impact des fac­teurs humains en situa­tion opé­ra­tion­nelle. L’objectif est de pré­ve­nir en amont, amé­lio­rer la recon­nais­sance en opé­ra­tion de ces phé­no­mènes et apprendre à les gérer en équipe. Enfin, le RETEX met en lumière les amé­lio­ra­tions et le tra­vail qu’il reste encore à accomplir.

Existe-il des béné­fices secon­daires à la prise en compte du fac­teur humain par les pom­piers de Paris ?
Effec­ti­ve­ment, si l’objectif est opé­ra­tion­nel, la prise en compte du fac­teur humain dans le tra­vail peut avoir des béné­fices secon­daires dans le ser­vice inté­rieur ou dans la vie per­son­nelle. Apprendre à inter­rompre quelqu’un dans son tra­vail au bon moment et de la bonne manière opti­mise l’efficacité du ser­vice (les inter­rup­tions de tâches, c’est 25 % de perte de temps de tra­vail) et dimi­nue le risque d’erreur dans l’exécution d’une tâche. Apprendre à mieux com­mu­ni­quer peut amé­lio­rer les rela­tions, y com­pris fami­liales, ain­si que la cohé­sion. La ges­tion de la fatigue a des effets per­son­nels et sur l’Institution à long terme. Les appli­ca­tions sont très nombreuses.


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