HISTOIRE - Les audacieuses innovations des pompiers de Paris

Harry Couvin
25 septembre 2020
LAT n°2, premiere lance-robot de la BSPP

[tag-adh] En avril 2019, lors du tragique incendie de Notre-Dame, la France entière s’est enthousiasmée devant le robot Colossus, moyen d’extinction moderne. Cependant, le commun des mortels ignore l’existence d’un robot dans les années 70 ! Cette décennie est marquée par les essais de matériels nouveaux, qui ont parfois fait des petits.

Damien Gre­nèche —  — Modi­fiée le 25 juillet 2024 à 08 h 29 

La LAT, ancêtre du Colossus

Face aux incen­dies de grande ampleur, les sapeurs-pom­piers de Paris n’ont pas tou­jours dis­po­sé de moyens d’attaque capables d’approcher au plus près le foyer tout en n’engageant pas la sécu­ri­té des hommes. Par exemple, lors de l’incendie des entre­pôts pétro­liers de Saint-Denis en 1968, les équipes ont dû « battre en retraite » à plu­sieurs reprises sous l’effet écra­sant du rayon­ne­ment des flammes.

Sur l’initiative du colo­nel Géry, la socié­té PONS est sol­li­ci­tée afin d’élaborer une lance grande-puis­sance sur un petit châs­sis moto­ri­sé et pilo­table à dis­tance. C’est ain­si que, le 8 mai 1970, est pré­sen­té à la presse un étrange maté­riel dans la cour de l’état-major de Cham­per­ret : la lance auto-télé­gui­dée (LAT). C’est une lance-canon moni­tor mon­tée sur un train tri­cycle. Pour­tant, l’engin n’est pas assez mobile et le balayage de la lance restreint.

Après coup, le cahier des charges d’un nou­veau robot est rédi­gé par le chef de bataillon Many. Le pro­duit est déve­lop­pé par la socié­té SPARFEU. La LAT n°2 est pré­sen­tée le 29 sep­tembre 1971 au salon Euro­pro­tec­tion. Cette fois-ci, la lance moni­tor est mon­tée sur un cha­riot à quatre roues motrices.

Pesant pas moins de 500 kg, cette lance ali­men­tée par deux tuyaux de 110mm, pos­sède une por­tée de 80m. L’engin est éga­le­ment doté d’un sys­tème d’auto-refroidissement per­met­tant sa pro­tec­tion. Il peut être manœu­vré par une com­mande élec­trique jusqu’à une cen­taine de mètres.

Mise en ser­vice au centre de secours Leval­lois le 19 sep­tembre 1972, La LAT n°2 est deman­dée pour chaque « feu très intense ou très éten­du dont l’approche sera inter­dite par la cha­leur, les risques d’explosion, l’émanation de gaz toxiques ou les risques d’effondrement. »

Elle est trans­por­tée par un véhi­cule spé­cial, imma­tri­cu­lé SP 49, un por­teur d’échelle châs­sis SIPREL. Ain­si, l’échelle Hot­ch­kiss n°54 est rem­pla­cée par ce por­teur, et le per­son­nel est for­mé pour manœu­vrer cet engin révolutionnaire.

La LAT n°2 offre de nom­breux avan­tages : sécu­ri­té du per­son­nel, grande mania­bi­li­té, mise en œuvre simple et rapide, sta­bi­li­té, inter­ven­tion par tout ter­rain, entre­tien mini­mum. Cepen­dant, ne pos­sé­dant aucune camé­ra embar­quée, elle doit être impé­ra­ti­ve­ment gui­dée à vue, ce qui limi­te­ra son utilisation.

Vous sou­ve­nez-vous ? Elle a été expo­sée en mars 2017 lors de l’exposition à l’Hôtel de Ville !

Si Colos­sus existe aujourd’hui, c’est parce que la LAT a été conser­vée dans les col­lec­tions du musée de la BSPP. La sec­tion conser­va­tion du patri­moine, mémoire et tra­di­tions (CPMT) de la BSPP ayant le rôle de pré­ser­ver, d’entretenir et de valo­ri­ser notre patri­moine « pom­piers de Paris », a été en mesure de répondre à la demande du com­man­de­ment en lui four­nis­sant une docu­men­ta­tion inédite qui a per­mis de conce­voir le robot d’aujourd’hui !

La LAT n°2 sort de sa remise pour un exercice.
Véhi­cule por­teur de la LAT

Les CLIPS avant les MIR

Depuis deux siècles, les sol­dats du feu luttent contre le temps. Leur effi­ca­ci­té opé­ra­tion­nelle repose sur la rapi­di­té d’intervention. La ville de Paris ne cesse de se déve­lop­per mais reste confi­née dans ses fron­tières de 1860, déli­mi­tées par l’enceinte de Thiers. Avant l’inauguration du périph’ en 1973, les rues de la capi­tale sont sur­char­gées ; les véhi­cules de secours sont ain­si for­te­ment ralentis.

La Bri­gade déve­loppe, en s’inspirant des expé­riences réa­li­sées au bataillon des marins-pom­piers de Mar­seille, le concept des com­man­dos légers d’intervention et de pre­miers-secours (CLIPS). C’est-à-dire : uti­li­ser des motos pour contrer les effets de la cir­cu­la­tion for­te­ment encom­brée. Le CLIPS est créé le 26 novembre 1970.

L’état-major décide alors « de mettre en expé­ri­men­ta­tion un ensemble de moyens d’intervention qui, grâce à sa mania­bi­li­té et à son faible encom­bre­ment, échap­pe­rait aux aléas de la cir­cu­la­tion aux­quels les engins clas­siques demeurent rela­ti­ve­ment sou­mis. »

Le com­man­do est for­mé par deux binômes. Une équipe « d’attaque » (SPM 141) com­po­sée d’un ser­gent et d’un sapeur ; et une équipe « d’alimentation » (SPM 140) com­po­sée d’un capo­ral et d’un sapeur. Chaque moto est équi­pée de sacoches conte­nant le maté­riel de pre­miers-secours et des extinc­teurs. Le com­man­do inter­vient aus­si bien pour feu que pour sau­ve­tage à personne.

Les pre­mières équipes sont affec­tées à la caserne Rous­seau, au cœur de Paris. L’expérience dure trois mois. Le 11 décembre 1970, une démons­tra­tion télé­vi­sée est enre­gis­trée. Un feu est allu­mé dans un immeuble en construc­tion bou­le­vard Saint-Mar­tin (XXe), au nord du quar­tier des Halles.

C’est une réus­site sans être une sur­prise : le com­man­do moto­ri­sé est arri­vé six minutes avant le PS. N’oublions pas que le CLIPS n’est qu’un élé­ment pré­cur­seur du départ nor­mal, il devance le pre­miers-secours et, une fois arri­vé sur les lieux, la prio­ri­té est don­née au(x) sauvetage(s). Dès l’arrivée du PS, le com­man­do est désen­ga­gé et retourne à la caserne.

Le 27 mai 1971, une deuxième géné­ra­tion est mise en ser­vice à la 9e com­pa­gnie (Mont­martre).

Mais des chan­ge­ments inter­viennent : les motos tractent des remorques, dévi­doir tour­nant et lance de 45 mm pour l’équipe « d’attaque » (SPM 153), et des tuyaux pour l’équipe « d’alimentation » (SPM 153). L’emploi du CLIPS est limi­té aux heures de pointe (11h-14h /​17h-20h) et situa­tions excep­tion­nelles comme les manifestations.

Quoi qu’il en soit, l’aventure sur deux-roues prend fin en 1973. De nom­breux pro­blèmes sont mis en évi­dence. La sur­charge (195 kg) rend la moto peu maniable et dan­ge­reuse. Un pre­mier acci­dent cor­po­rel se pro­duit d’ailleurs le 5 jan­vier 1971, deux mili­taires du corps sont blessés.

Depuis 2011, la moto est de nou­veau pré­sente dans la chaîne de secours : les motos d’intervention rapide (MIR) sont employées comme pri­mo-inter­ve­nants sur des inci­dents nais­sants lors de grands ras­sem­ble­ments publics.

Les CLIPS arrivent sur les lieux de l’intervention.
Déta­che­ment de CLIPS prêt à décaler

Du VLIS de 71 à la Soupirette de 93…

Pour assu­rer la sécu­ri­té des visi­teurs sur des lieux d’exposition, les pom­piers de Paris conçoivent une « petite voi­ture pom­pier » : le véhi­cule léger d’intervention et de secours (VLIS). C’est en 1971 que ce pre­mier véhi­cule est réa­li­sé sur la base d’une Renault Toun­dra (n°31). Puis la Bri­gade per­çoit deux Renault Rodéo (n°58 et 59) en 1974.

Par la suite, en 1993, le musée du Louvre offre un VLIS à pro­pul­sion élec­trique, sur­nom­mé « la sou­pi­rette », au déta­che­ment des pom­piers de Paris.

Les premiers sur le véhicule électrique

Les sapeurs-pom­piers de Paris, à tra­vers les nom­breuses inno­va­tions menées, ont tou­jours cher­ché la pré­émi­nence tech­no­lo­gique. Alors, quand la trac­tion hip­po­mo­bile est aban­don­née pour la trac­tion méca­nique, pen­dant une courte période (1899 – 1907), les véhi­cules du Régi­ment roulent… à l’électricité. Aujourd’hui se pose la ques­tion de renou­ve­ler le parc de la BSPP avec des camions élec­triques ; sauf que le corps de sapeurs-pom­piers de Paris l’a déjà fait il y a un siècle !

En 1898, les pom­piers de Paris innovent et uti­lisent des véhi­cules de secours électriques.

A lire aussi…

HISTOIRE – Il y a un an, Notre-Dame de Paris…

RETEX – Mars 58, l’incroyable entraî­ne­ment des pom­piers de Paris…

WEB-SERIE : L’aventure des engins à la BSPP (épi­sode 1)

WEB-SERIE : L’aventure des engins à la BSPP (épi­sode 2)

WEB-SERIE : L’aventure des engins à la BSPP (épi­sode 3)

Credits

Archives BSPP

share Partager

1 réaction

Yannick
11 août 2023

Bon­jour,
Ayant été au CS Leval­lois de 86 à 91. Je garde un sou­ve­nir affec­tueux de la LAT et de son por­teur. En tant que remi­sard, nous la manœu­vrions de temps en temps même si je ne l’ai jamais vu décaler.
Par contre pour nous à l’é­poque LAT était l’a­cro­nyme de “Lance Auto­mou­vante Télé­com­man­dée”. A t‑elle chan­gé de nom ?

Son por­teur, un J7 adap­té, les anciens doivent se sou­ve­nir de son petit nom (le Ser­gent Ciprelle). Il avait un rayon de bra­quage cala­mi­teux et sans direc­tion assis­tée. Manœu­vrer dans les rues étroites était tout un art.
Les 6 roues arrière, les excrois­sances que for­maient les pan­neaux qui ser­vaient de car­ros­se­rie et de part-boue étaient une dif­fi­cul­té sup­plé­men­taire car cela élar­gis­sait énor­mé­ment la lar­geur du véhicule.
À cette période l’ar­rière était recou­vert d’un toit bâche fixe. Sinon pour le reste il était comme sur la photo.
Mer­ci à vous d’a­voir par­ta­gé ce moment d’histoire.
Bonne continuation

Votre réaction
Nom
Adresse de messagerie
Site internet

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.