LISERÉ ROUGE — À la Brigade le futur appartient déjà au passé...

Raphaël Orlando
24 janvier 2025
Damien Gre­nèche —  — Modi­fiée le 27 jan­vier 2025 à 10 h 50 

Histoire – Depuis la création de la « voiture premiers secours » (PS) en 1913, les sapeurs-pompiers ont pu intervenir rapidement grâce à des véhicules adaptés, permettant d’entamer l’extinction des incendies dans des délais réduits. L’arrivée de l’Engin d’intervention du futur (EIF) et son évolution vers le « Premiers secours évacuation » (PSE) redéfinit les standards de la lutte contre les incendies et le secours médical, tout en posant les bases d’une nouvelle génération de véhicules d’intervention.

À la fin des années 1970, face à l’évolution des besoins opé­ra­tion­nels, de nom­breux ser­vices de pom­piers en Europe envi­sagent de moder­ni­ser leurs flottes et équi­pe­ments. En Alle­magne, le pro­jet « ORBIT » voit le jour, visant à créer une nou­velle gamme de véhi­cules d’intervention à la fois poly­va­lents et spé­cia­li­sés. À Paris, les offi­ciers du 3e bureau (ancêtre du BOPE1 ) font un constat simi­laire. Le nombre de mis­sions de secours à vic­times a dou­blé entre 1979 et 1984. Une acti­vi­té qui tend à deve­nir prin­ci­pale. En seule­ment 20 ans, le volume glo­bal des inter­ven­tions a été mul­ti­plié par quatre. Pour répondre à cette pres­sion crois­sante, la néces­si­té de conce­voir un nou­veau type de véhi­cule s’impose. L’objectif est clair : ce futur véhi­cule devra être auto­nome et capable de réa­li­ser la qua­si-tota­li­té des inter­ven­tions au niveau du pre­mier départ sous la direc­tion unique de son chef d’agrès. Tout comme maî­tri­ser 90 % des incen­dies, s’intégrer aux opé­ra­tions de secours et même pro­di­guer des soins aux vic­times. En mars 1979, le Bureau des études géné­rales (BEG) se voit confier la concep­tion de cet « engin du futur », des­ti­né à équi­per la Bri­gade pour le XXIe siècle. Le com­man­de­ment affiche clairement sa volon­té : ce nou­veau camion devra être rapide, léger et mul­ti­fonc­tions. Il sera apte à inter­ve­nir en prio­ri­té avec un mini­mum de moyens, tout en transportant le per­son­nel, le maté­riel et les vic­times. Capable d’effectuer des sau­ve­tages, des manœuvres hydrau­liques et des soins médi­caux, cet Engin d’intervention du futur (EIF) est ain­si pen­sé pour répondre aux besoins des pom­piers de demain.

Créa­tion du départ nor­mal. Les dis­cus­sions se concentrent éga­le­ment sur la stra­té­gie et la doc­trine d’emploi des secours. Au début des années 1980, la majo­ri­té des véhi­cules en ser­vice à la Bri­gade conservent des carac­té­ris­tiques simi­laires à celles des pre­miers modèles du siècle. Les antiques notions de « PS » et de « four­gons » ne cor­res­pondent plus à la réa­li­té opé­ra­tion­nelle. Lorsqu’en 1886, le capi­taine Krebs met en place le départ nor­mal, c’est pour assu­rer une meilleure coor­di­na­tion des secours. Cepen­dant, les dan­gers et les risques urbains ont évo­lué depuis. Pour répondre à cette situa­tion, un nou­vel engin doit voir le jour afin de mettre fin à une « nor­ma­li­sa­tion for­ce­née et sclé­ro­sante »2 . Le BEG, sou­cieux d’optimiser les res­sources et de réduire les coûts liés aux moyens immo­bi­li­sés pour des interventions mineures, intro­duit le concept de « sys­tème futur ». Ce der­nier vise à remé­dier à la répar­ti­tion inégale des moyens d’intervention. Désor­mais, la plu­part des départs devront être pris en charge par les EIF. En cas de sinistre plus impor­tant, la fonc­tion de cou­ver­ture et d’appui sera réa­li­sée par les EAF3. Quant aux moyens spé­ciaux (échelles, FEV, CRAC, CMF, PR,GREP, CMIR), ils sont envi­sa­gés comme des modules spé­cia­li­sés mon­tés sur des trans­por­teurs uni­ver­sels. L’idée de créer un module de base, sur lequel viendront s’ajouter des modules adap­tés à chaque mis­sion, com­mence ain­si à prendre forme, s’inspirant clai­re­ment du pro­jet « ORBIT ».

La véri­table inno­va­tion de ce camion réside dans l’intégration d’une ambu­lance au sein du véhi­cule incen­die. Cela per­met de com­pen­ser l’absence de VSAB4 au sein de la Bri­gade. Cette cel­lule sani­taire, équi­pée d’un brancard esca­mo­table, faci­lite la prise en charge des vic­times tout en les pro­té­geant des intem­pé­ries et des curieux. Avec l’annonce de la fin du ser­vice de « Police-secours » dès le début des années 1980, cette avan­cée prend toute son impor­tance, car ce camion pour­ra désor­mais assurer des éva­cua­tions vers les struc­tures hos­pi­ta­lières. Aupa­ra­vant, le rele­vage des bles­sés ne fai­sait pas par­tie des mis­sions des pom­piers parisiens.

1 000 litres de capa­ci­té. Concer­nant la lutte contre les incen­dies, l’EIF doit res­pec­ter la norme NF S61-510 et répondre à un cahier des charges strict. Il doit être équi­pé et suf­fi­sam­ment puis­sant pour éteindre seul un sinistre, qu’il s’agisse d’un feu d’appartement ou d’une cage d’escalier. Ain­si, la pompe doit offrir une pres­sion supé­rieure à 40 bars et les moyens d’attaque doivent être consé­quents. Cela inclut deux dévi­doirs tour­nants posi­tion­nés latéralement, deux dévi­doirs mobiles de plus de 200 mètres, une capa­ci­té d’eau (800 à 1000 litres), un géné­ra­teur de mousse, une réserve d’émulseur et une petite uni­té de poudre. Étant don­né que la concep­tion du véhi­cule n’est pas encore fina­li­sée et qu’il doit être poly­va­lent, les offi­ciers du BEG envi­sagent éga­le­ment d’équiper l’engin d’appareils de détec­tion et de maté­riel de péné­tra­tion. L’idée d’inclure un parc échelle a été dis­cu­tée, mais n’a pas abouti.

Avec cet engin du futur, les offi­ciers de la Bri­gade sai­sissent l’opportunité de mettre un terme à une période où les retards tech­no­lo­giques ont éloi­gné les pom­piers de Paris de leur sta­tut his­to­rique de précurseurs. Ils cherchent éga­le­ment à anti­ci­per les dan­gers de l’an 2000 et à repen­ser la pro­tec­tion et l’ergonomie du véhi­cule de pom­pier. D’une part, une nou­velle signalisation est en cours d’étude ; d’autre part, un sys­tème de navi­ga­tion assis­tée avec un « sys­tème de visua­li­sa­tion de l’itinéraire à emprun­ter » est pré­vu. En outre, un redé­ploie­ment de la cou­ver­ture opé­ra­tion­nelle est projeté, après celui de 1978.

Sans modi­fier l’organisation sacrée du « DN », l’armement des casernes sera ajus­té. Les postes de commandement ayant enre­gis­tré plus de 4 300 inter­ven­tions rece­vront deux EIF et un EAF ; les centres de secours de Paris, quant à eux, auront deux voire trois EIF. En ban­lieue, un EIF et un EAF seront attri­bués au-delà des 1 500 inter­ven­tions, tan­dis que les autres centres ne dis­po­se­ront que d’un EIF. Cepen­dant, ce plan implique la ges­tion de 25 véhi­cules sup­plé­men­taires, ce qui entraîne des coûts signi­fi­ca­tifs5.

Vue arrière du pro­to­type A2

Un gain de temps en inter­ven­tion. En 1982, un accord est conclu avec la socié­té SICLI pour finan­cer un pro­to­type de l’engin de l’EIF, déve­lop­pé par SIDES. Bien que sa livrai­son ait été ini­tia­le­ment pré­vue pour le congrès natio­nal des sapeurs-pom­piers de France en sep­tembre 1983, elle a pris du retard. Au final, deux pro­to­types ont été construits et prê­tés gra­tui­te­ment : l’un sur châs­sis IVECO, équi­pé par BIRO (A2), et l’autre sur châs­sis RENAULT, équi­pé par SAIREP (B2). La sil­houette du pre­mier se dis­tingue par un rideau arrière en lieu et place du hayon pré­sent sur le deuxième. Après des tests à la sta­tion d’essai de Volu­ceau, une expé­ri­men­ta­tion a été réa­li­sée entre le 30 jan­vier et le 7 février 1984 au sein des 5e et 9e com­pa­gnies, pour éva­luer l’efficacité et la robus­tesse de l’EIF. Cette étude com­pa­ra­tive a révé­lé un gain de temps lors des opé­ra­tions de secours, bien que cer­taines cri­tiques aient été émises concer­nant l’accessibilité et l’agencement du matériel.

Concer­nant les opé­ra­tions d’extinction, bien que la fia­bi­li­té et l’accès aux moyens hydrau­liques aient été remis en ques­tion, l’EIF s’est avé­ré plus effi­cace que les anciens véhi­cules tels que les PS ou FPTL. En résu­mé, ce véhi­cule rem­plit effi­ca­ce­ment les mis­sions essen­tielles du métier, mais son uti­li­sa­tion pour­rait être opti­mi­sée par des amé­lio­ra­tions techniques. Le pro­to­type A2 a reçu des retours glo­ba­le­ment posi­tifs pour les mis­sions d’incendie, tan­dis que le pro­to­type B2 a été par­ti­cu­liè­re­ment salué pour son effi­ca­ci­té lors des inter­ven­tions médi­cales. La combinaison de ces deux pro­to­types a don­né nais­sance, en mai 1985, au Pre­miers secours éva­cua­tion (PSE) de pre­mière géné­ra­tion6.

1 : BOPE : bureau opé­ra­tions, ancêtre du BPO et du BOPO.
2 : Compte ren­du du lieu­te­nant-colo­nel Legendre le 16 octobre 1980.
3 : L’Engin d’appui du futur (EAF) est l’engin de syn­thèse entre les FP/​FM et les GDP, char­gé d’assurer la fonc­tion cou­ver­ture et d’appui au sein du « sys­tème futur ». Celui-ci sera renom­mé Four­gon d’appui (FA) en 1985.
4 : Le Véhi­cule de secours aux asphyxiés et aux bles­sés (VSAB) est armé par un conduc­teur et un infir­mier.
5 : En 1983, la BSPP pos­sède 63 PS, 57 four­gons et 7 GPD ; tan­dis que le sys­tème futur com­prend 117 EIF et 36 EAF.
6 : La BSPP opta phy­si­que­ment pour le pro­to­type IVECO

texte Lieutenant Damien Grenèche — photographies Droits réservés

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