PREMIER-SECOURS NIVEAU EXPERT : La traque de la dissection aortique

MP Elise Bra­mi —  — Modi­fiée le 22 mars 2023 à 06 h 37 

Les experts BSPP — Pathologie des plus complexes, la dissection aortique est peu fréquente, mais elle est aussi redoutable pour la victime que pour le secouriste. Découvrez pourquoi…

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Tous les chefs d’agrès sur engin, tous les méde­cins sur ambu­lance de réani­ma­tion (AR) ou en coor­di­na­tion, tous les opé­ra­teurs de la coor­di­na­tion médi­cale en témoignent. Quand on diag­nos­tique une dis­sec­tion aor­tique, on s’en sou­vient toute sa vie. On s’auto-congratule, à juste titre, d’avoir un super ins­tinct pour y avoir pen­sé. Quand on loupe une dis­sec­tion aor­tique, on s’en sou­vient aus­si toute sa vie. Car les suites sont sou­vent bru­tales et dramatiques.

Pour­quoi la dis­sec­tion aor­tique est si mar­quante en pré­hos­pi­ta­lier ? L’équation est simple :

Épi­dé­mio­lo­gie

La dis­sec­tion aor­tique reste une mala­die peu fré­quente (< 2% des urgences car­dio­vas­cu­laires pré­hos­pi­ta­lières), mais pro­ba­ble­ment sous-esti­mée car dif­fi­cile à diag­nos­ti­quer. Elle est esti­mée à envi­ron 10 cas pour 100 000 personnes.

Les fac­teurs de risques de dis­sec­tion aor­tique sont les mêmes que les fac­teurs de risques car­dio-vas­cu­laires : hyper­ten­sion arté­rielle, dia­bète, dys­li­pi­dé­mie, taba­gisme, héré­di­té coro­na­rienne, sexe mas­cu­lin. Il existe d’autres fac­teurs de risques, notam­ment les fac­teurs qui modi­fient et fra­gi­lisent au long cours la struc­ture de l’aorte comme la pré­exis­tence d’un ané­vrisme de l’aorte, les mala­dies de la valve aor­tique, les mala­dies inflam­ma­toires chro­niques des artères, ou encore une mala­die du tis­su conjonc­tif des artères comme le syn­drome de Marfan.

Phy­sio­pa­tho­lo­gie :

L’aorte est le vais­seau prin­ci­pal du corps humain. Elle part du cœur et donne nais­sance à plu­sieurs vais­seaux ame­nant l’oxygène à chaque par­tie du corps. Comme tous les vais­seaux, la paroi de l’aorte est com­po­sée de trois couches (interne, moyenne et extérieure).

Lorsque la couche interne de l’aorte se rompt sur une zone de fra­gi­li­té (liée à l’athérosclérose ou à des mala­dies vas­cu­laires pré­exis­tantes), le sang pénètre entre les couches internes et moyennes. Il pro­voque ain­si une déchi­rure due à la pres­sion san­guine (sou­vent asso­ciée à une forte pous­sée hyper­ten­sive). Cette déchi­rure s’appelle la dis­sec­tion aortique.

On dis­tingue deux types de dis­sec­tions en fonc­tion de la localisation :

  • Les dis­sec­tions de la par­tie ascen­dante de l’aorte (enga­geant le pro­nos­tic vital) ;
  • Les dis­sec­tions de la par­tie des­cen­dante de l’aorte.

En fonc­tion de la loca­li­sa­tion de la dis­sec­tion et des vais­seaux tou­chés, les symp­tômes peuvent être dif­fé­rents, et c’est cela qui rend le diag­nos­tic dif­fi­cile à poser.

Source : BSP 200.2

Tableau cli­nique

En méde­cine, et sur­tout avec la dis­sec­tion aor­tique, il n’existe pas de tableau cli­nique « par­fait », où la pré­sen­ta­tion est typique. Seul un fais­ceau d’arguments amène le méde­cin à sus­pec­ter une dis­sec­tion aortique.

Comme dans beau­coup de diag­nos­tics, le méde­cin pèse le pour et le contre en faveur d’une dis­sec­tion aor­tique lors d’un bilan à la coor­di­na­tion ou sur ambu­lance de réani­ma­tion. Il prend alors une déci­sion diag­nos­tique et thérapeutique.

Plu­sieurs signes sont plus fré­quem­ment observés.

  • Une dou­leur tho­ra­cique vio­lente et bru­tale, pou­vant se dépla­cer vers les régions abdo­mi­nales et dor­so-lom­baires, à type de déchi­rure ou de coup de poignard.
  • Malaise avec ou sans perte de connais­sance, sen­sa­tion de mort imminente.
  • Signes de mau­vaise tolé­rance cir­cu­la­toire : hypo­ten­sion arté­rielle, tachy­car­die, sueurs, pâleur, mar­brures, temps de reco­lo­ra­tion > 3s.
  • Signes de mau­vaise tolé­rance res­pi­ra­toire : signes de lutte res­pi­ra­toire, désa­tu­ra­tion, polypnée.

Si la dis­sec­tion s’étend aux autres vais­seaux, le patient peut pré­sen­ter des symp­tômes mul­tiples en fonc­tion des artères et des ter­ri­toires touchés.

Il peut pré­sen­ter par exemple, une asy­mé­trie ten­sion­nelle entre les deux bras ou bien une dimi­nu­tion voire une abo­li­tion d’au moins un pouls péri­phé­rique (radial ou pédieux).

Si la dis­sec­tion touche les vais­seaux de la tête, les signes neu­ro­lo­giques d’AVC, cépha­lées et troubles de la conscience, pour­ront aller jusqu’au coma.

S’il s’agit des vais­seaux des membres, les signes d’ischémie d’un membre (membre froid, moins colo­ré et sans pouls) seront un fac­teur d’inquiétude.

Dans le cas des vais­seaux du cœur, le tableau d’infarctus avec signes à l’ECG, dans celui des vais­seaux lom­baires, le tableau de para­plé­gie des deux membres infé­rieurs et pour les vais­seaux abdo­mi­naux, dou­leurs abdo­mi­nales intenses, troubles du tran­sit, hémor­ra­gie abdo­mi­nale exté­rio­ri­sée seront autant de critères.

Une dis­sec­tion aor­tique peut aus­si être res­pon­sable d’un arrêt car­dio­res­pi­ra­toire d’emblée.

Source : BSP 200.2

Diag­nos­tic

Le diag­nos­tic est radio­lo­gique, c’est-à-dire que seule une ima­ge­rie peut poser spé­ci­fi­que­ment le diag­nos­tic de dis­sec­tion aor­tique. Cette ima­ge­rie spé­ci­fique est un scan­ner de l’aorte.

https://www.resuval.com/wp-content/uploads/2019/11/PMU-2012 – 5‑SAACPmai2012.01.pdf

Sur ambu­lance de réani­ma­tion, on peut sus­pec­ter une dis­sec­tion sur les élé­ments cli­niques, et éga­le­ment sur l’échographie faite au lit du patient sur inter­ven­tion. On recherche essen­tiel­le­ment un épan­che­ment péri­car­dique, c’est-à-dire du liquide dans le péri­carde (enve­loppe conte­nant le cœur et qui est nor­ma­le­ment vide).

Source : https://www.action-groupe.org

En cas de dis­sec­tion de l’aorte ascen­dante, cette enve­loppe se rem­plit de sang, et est visible à l’échographie. C’est un signe qui indique que le cœur est en train de souf­frir et qu’il a du mal à se contrac­ter. C’est pour cette rai­son que les équipes doivent aller vite au scan­ner afin de poser le diag­nos­tic et situer la dissection.

Par­fois, quand la sus­pi­cion est forte et que le patient est trop instable pour tenir sur une table de scan­ner, on l’emmène direc­te­ment au bloc opé­ra­toire pour un trai­te­ment chi­rur­gi­cal en urgence.

Trai­te­ment d’une dis­sec­tion aortique

Le trai­te­ment de la majo­ri­té des dis­sec­tions aor­tiques est chi­rur­gi­cal, d’où la néces­si­té d’amener, au plus vite, le patient dans un bloc opé­ra­toire adapté.

Dans un pre­mier temps en pré­hos­pi­ta­lier, on s’efforcera de sta­bi­li­ser rapi­de­ment le patient, de trai­ter une hyper­ten­sion qui pour­rait majo­rer la dis­sec­tion, et de sou­la­ger la dou­leur. Puis, une fois le patient ame­né au bloc opé­ra­toire, le trai­te­ment spé­ci­fique consiste à rem­pla­cer la par­tie de l’aorte endom­ma­gée par une pro­thèse lors d’une chi­rur­gie sous cir­cu­la­tion extra-corporelle.

https://www.chirvtt.fr/chirurgie-vaisseaux/traitement-endoprothese-aaot

Par­fois, quand le patient est extrê­me­ment instable, voire en arrêt car­dio-res­pi­ra­toire, le der­nier geste de sau­ve­tage ultime pos­sible est de ponc­tion­ner le liquide accu­mu­lé dans le péri­carde à l’aide d’une aiguille, afin que le cœur puisse retrou­ver une contrac­ti­li­té effi­cace. Ce geste reste excep­tion­nel en préhospitalier.

https://www.resuval.com/wp-content/uploads/2019/11/PMU-2012 – 5‑SAACPmai2012.01.pdf

Et en prompts secours, com­ment ça se passe ?

Le plus sou­vent, l’ordre de départ est édi­té pour dou­leur tho­ra­cique ou malaise, plus rare­ment pour sus­pi­cion de dis­sec­tion tho­ra­cique. Les élé­ments récu­pé­rés lors du bilan sont essen­tiels pour l’opérateur et le méde­cin coordinateur.

Par­fois le pri­mo-inter­ve­nant donne le diag­nos­tic de lui-même, ou bien le méde­cin l’évoque sur les élé­ments rapportés. 

Le méde­cin peut alors deman­der des élé­ments com­plé­men­taires pour pou­voir étof­fer sa sus­pi­cion : une ten­sion arté­rielle aux deux bras, la recherche des quatre pouls, une carac­té­ri­sa­tion pré­cise de la dou­leur, la pré­sence de signes de mau­vaise tolé­rance, la réa­li­sa­tion d’un ECG, …

L’instinct joue aus­si beau­coup. Il n’existe pas de tableau cli­nique par­fait d’une dis­sec­tion aor­tique. Quand vous ne « sen­tez pas un patient », par­ta­gez vos impres­sions avec l’opérateur ou le méde­cin coor­di­na­teur. Y pen­sez, c’est déjà une grande par­tie du tra­vail de réflexion qui est faite.

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