Retour d’inter — Le 25 septembre 2022 vers midi, un incendie se déclare dans les halles Mandar, grossiste en fruits et légumes au marché d’intérêt national (MIN) de Rungis, le plus grand marché de produits frais au monde.
En quelques chiffres, le MIN, c’est plus de 1 200 entreprises réparties sur près de 234 hectares. Nuit et jour, le va-et-vient des camions est incessant. Le MIN dispose même d’un centre de secours privé en son sein. Une de ses particularités est son réseau hydraulique souterrain. Celui-ci dispose d’un Bypass, permettant de maintenir un maximum de débit hydraulique dans les PI-BI sur une zone définie spécifiquement.
Les secours se présentent. Lorsqu’il arrive au péage du MIN de Rungis (94), le sergent-chef Bonhomme découvre un gigantesque panache de fumée noire. Quelques minutes plus tôt, il était au foyer du centre de secours, canette de soda à la main avec l’ensemble de la garde. Il ne croyait pas si bien dire lorsqu’il lança au chef du centre NRBC de Rungis : « Je t’inviterai tout à l’heure sur renfort incendie ! » car à peine vingt secondes plus tard, la sirène se met à hurler !
Le MIN est un site sensible, il fait partie des ETARE (établissements répertoriés). Lorsqu’un feu ou une explosion a lieu dans un tel site, les secours y envoient un groupe ETARE. Ce jour-là, le module d’engins au départ se compose de trois engins-pompes, de l’échelle pivotante automatique et du VSAV NRBC provenant des centres de secours de Rungis et de Bourg-la-Reine. Cet ensemble est commandé par le capitaine Jonathan Abadie, commandant la 22e compagnie et officier de garde du jour.
Tour du feu. Le sergent-chef Bonhomme, chef d’agrès du FA 37 de Rungis, est le premier sur les lieux. À la radio, il apprend qu’en plus du module ETARE, un groupe incendie complète le départ des secours. Il est accueilli par les pompiers du MIN. Lorsqu’il descend de l’engin, il fait face à un immense entrepôt frigorifique de près de 8 000 m². Sur son côté ouest, le bâtiment dispose d’une trentaine de quais de chargement où sont stationnés quelques poids-lourds. Sur le côté est, une extension en forme de U est attenante à l’entrepôt, il s’agit de la partie administrative. La façade est en verre teinté et une épaisse fumée noire sort déjà du toit, « la fumée était très noire et le vent soufflait très fort, nous ne distinguions strictement rien », se souvient alors l’expérimenté chef de garde.
Les pompiers du MIN s’engagent dans l’entrepôt au niveau des quais de livraison. Quant au sergent-chef, il commande à ses équipes d’établir une lance grande puissance pour couper la propagation du feu entre la partie administrative et l’entrepôt. Le sergent-chef suit les pompiers du MIN à l’intérieur de l’entrepôt. « L’ambiance était saine, il n’y avait pas un voile de fumée » relate-t-il. À l’intérieur, il cherche un accès à la partie administrative afin de pouvoir faire une éventuelle part du feu, mais il n’en trouve aucun. Le sous-officier réalise alors son tour du feu par l’extérieur, mais lorsqu’il passe devant la partie administrative, il ressent les effets de l’incendie. « Je me suis pris une vague de chaleur impressionnante, m’obligeant à fermer la visière de mon casque. Je venais juste de retrouver une vision un peu plus claire lorsque toute la partie administrative s’est effondrée et embrasée devant moi ! », explique le sous-officier.
Des renforts. En quelques minutes, les autres engins-pompes du groupe ETARE venant de Bourg-la-Reine arrivent sur les lieux. Le PS a pour mission d’établir une lance grande puissance sur le côté est, pour contrôler l’embrasement de toute la partie administrative.
Le capitaine Abadie n’en n’est pas à son premier feu d’entrepôt, le secteur qu’il commande est malheureusement propice à ce genre d’événement. « Lorsque j’arrive, il y a énormément de retombées de cendres dans l’air, on aurait dit qu’un volcan entrait en éruption », se rappelle-t-il. Sa première idée de manœuvre, en arrivant, est d’engager les hommes du FPTL de Bourg-la-Reine à l’intérieur de l’entrepôt dans la partie frigorifique. Lorsque ceux-ci rentrent à l’intérieur, il y a déjà un « bon voile de fumée », relate le chef d’agrès. Dans la partie nord, ils aperçoivent un nombre important de bouteilles de gaz qu’ils décident d’évacuer afin de sécuriser les lieux. À peine eurent-ils fini que le plafond de fumée s’embrasa juste au-dessus de leur tête. La vitesse de propagation du feu est impressionnante et la situation risque de devenir difficilement maîtrisable.
Le capitaine décide alors de réaliser son tour du feu, mais arrivé sur la partie nord-est de l’entrepôt, la situation se complique. Le rayonnement est trop fort et la grille empêche l’officier de faire le tour. Il rebrousse chemin.
Quelques poids-lourds stationnés sur les quais de chargement présentent un risque élevé en cas d’embrasement total de l’entrepôt. Le capitaine Abadie demande alors aux chauffeurs-livreurs présents à proximité de les sortir afin de ne pas empirer la situation et de dégager la partie logistique.
Point de situation. « Je me concerte avec le capitaine Abadie. On se parle, on ne crie pas, on se parle calmement ! C’est essentiel ! », se remémore le sergent-chef Bonhomme. À la radio, le sous-officier demande « Renfort Incendie » puis, le capitaine prend le commandement des opérations de secours et demande le renfort de cinq engins-pompes pour anticiper la relève des équipes à l’attaque.
Pour explorer la partie nord-est, il décide de compléter son tour du feu. Un moment bloqué par des câbles, il sort son couteau pour se frayer un chemin. Dans cette zone le grillage délimitant le MIN est tangent à l’entrepôt, il va falloir le couper sur plusieurs zones pour faciliter l’engagement de soldats du feu dans l’entrepôt. Le feu prend de l’ampleur, les flammes sont virulentes et commencent à passer par les interstices du toit, « ça dégueule noir », se souvient le capitaine. Dans son esprit, l’entrepôt ne va pas être sauvé…
De son côté, le sergent-chef Bonhomme engage l’une de ses équipes à l’entrée côté sud de l’entrepôt, mais lorsque la porte métallique s’ouvre, les deux hommes se retrouvent violemment percutés par un gigantesque bouchon de fumée. « À ce moment-là je comprends que le feu est passé de la partie administrative à la partie frigorifique », relate-t-il.
Un ensemble (très) grande puissance. Élément-clé du renfort incendie, l’ensemble grande puissance (EGP) permet au COS de disposer d’un débit maximal de 6 000 litres d’eau par minute. La grande puissance hydraulique du FMOGP permet d’alimenter deux lances canon sur BEA. L’EGP est commandé par un chef de garde. Il s’agit de la réponse opérationnelle, à disposition du COS pour les grands feux. Son arrivée doit être préparée bien en amont car, composé d’une dizaine de véhicules, il demande un espace logistique très important.
D’un COS à un autre. 12 h 54. Le véhicule poste de commandement tactique du deuxième groupement se présente au MIN. Pour le lieutenant-colonel Angeneau, officier supérieur de garde groupement, la situation est défavorable. « Lorsque j’arrive sur l’intervention, l’entrepôt est condamné, ma priorité est donc la sécurité des hommes qui s’engagent et l’établissement d’un axe logistique pour optimiser l’EGP. Deux problématiques s’ajoutent à la manœuvre : l’incendie bloque complètement l’activité économique du MIN et l’aéroport d’Orly, voisin, a fermé une piste. Le nuage de fumée réduit significativement la visibilité des. pilotes. »
Le feu a percé le toit de l’entrepôt. L’enjeu est maintenant de disposer d’un important dispositif hydraulique. Le lieutenant-colonel Angeneau prend le COS et demande le renfort d’un deuxième ensemble grande puissance. Pour le moment six lances grandes puissances sont en action, dont deux sur les BEA. Le groupe ELD du centre de secours du Blanc-Mesnil est arrivé avec le groupe incendie. Le robot REX est aussi à la manœuvre avec sa lance grande puissance.
Le nouveau COS sectorise l’entrepôt en trois parties et y place à leur tête un chef de secteur. Le secteur nord est commandé par le capitaine Valentin Faucon, le secteur sud par le capitaine Abadie et le secteur administratif, à l’est, par le capitaine Pierre Le Pape.
Le début de la fin. Il est près de 14 heures lorsque la totalité des engins du second EGP est au MIN. Il faut un petit moment avant qu’il ne soit complètement opérationnel. Les quatre BEA sont positionnés de façon stratégique. Le premier se situe sur le côté ouest, lui permettant de diriger sa lance canon sur toute la longueur de l’entrepôt, du nord au sud. Les autres sont stationnés sur le côté sud et à l’est, à proximité de la partie administrative. Les quatre lances canon sur BEA ainsi que les quatre lances grande puissance réparties sur toute la longueur de l’entrepôt font leur effet. Des milliers de mètres cubes d’eau sont projetés sur le brasier, l’intensité baisse. À 16 heures, le lieutenant-colonel Angeneau passe son message, « Maître du feu — cinq lances canon dont quatre sur BEA et une sur robot d’extinction — quatre lances grandes puissances, trois lances en manœuvre — huit lignes de 110 mm établies. Risque d’effondrement non écarté. L’extinction sera de longue durée ». Ce n’est que vers 17 heures que le feu est déclaré éteint.
L’ŒIL DE LA SECTION DOCTRINE RETEX
Le risque « feu d’entrepôt » dans le MIN de Rungis fait partie de l’environnement opérationnel de la 22e CIS et constitue même l’ADN du PC de CIS car le centre de secours Rungis a été construit en même temps que le MIN.
Texte Commandant Patrick Parayre — Photographie Sap. de première classe Paul Millet
La préparation des cadres à ce type de feu doit être un des objectifs de la préparation opérationnelle de la compagnie car l’impact économique et médiatique d’un incendie dans le MIN n’est jamais anodin. Il est important d’en maitriser le concept, de connaître l’ensemble du MIN et d’avoir une réflexion opérationnelle rapide au départ des secours sur les points d’eau d’incendie.
Ce jour-là, le sinistre est déjà pleinement développé avant l’arrivée des secours et se propage très rapidement à l’intérieur du bâtiment avec un stockage à fort potentiel calorifique.
Les premiers COS sont immédiatement confrontés à la difficulté de déterminer les recoupements dans le bâtiment concerné. Le tour du feu est long à réaliser mais cet incontournable de la marche générale des opérations va permettre de confirmer que la totalité du bâtiment est en passe d’être la proie des flammes sur une surface d’environ 7 000 m² et de déterminer l’effort à réaliser afin de protéger les moteurs du groupe froid.
Des enjeux apparaissent clairement sur ce type de situation. La préservation du potentiel hydraulique, la conservation des axes logistiques et l’ouverture des accès sont des enjeux primordiaux, tout comme l’évacuation des véhicules en stationnement, la sectorisation adaptée à la géographie des secteurs au fur et à mesure de la montée en puissance et évidemment la préservation de la sécurité des sapeurs-pompiers de Paris.
L’élément particulièrement favorable réside dans le fait que cet entrepôt de grande surface, malgré des flammes et un panache de fumées toujours très impressionnants, est isolé sur ses quatre faces. Le COS ne se laisse pas « attirer par les flammes », il réalise le tour du feu et concentre son effort sur un point à protéger absolument : les moteurs du groupe froid pour cette intervention.
PHOTOS : 1CL Paul Millet