RETOUR D'INTER - Feu d'entrepôt, un incendie peut en cacher un autre

Harry Couvin
3 juillet 2020

[tag-adh] À l’aube du dimanche 9 février 2020, les sapeurs-pompiers sont appelés pour un feu d’entrepôt de 1 200m² sur le secteur de La Courneuve (93). Ils rencontrent sur place de nombreuses difficultés. Notamment, la propagation rapide du sinistre à un immeuble mitoyen à usage d’habitation. Au total, plus de 200 soldats du feu seront mobilisés pour venir à bout de l’incendie.

Maxime Gri­maud —  — Modi­fiée le 21 juillet 2024 à 09 h 58 

Ana­lyse d’une inter­ven­tion singulière.

Il est quatre heures du matin lorsque le ron­fleur gronde dans la caserne de La Cour­neuve. Les pom­piers s’éveillent et iden­ti­fient la son­ne­rie : celle du départ nor­mal, soit deux engins-pompe et une échelle aérienne. Qua­torze hommes quittent alors les cham­brées, s’habillent rapi­de­ment, courent vers la remise et démarrent les engins. Par­mi eux, le ser­gent-chef Loïc Guer­re­ro passe au poste de veille opé­ra­tion­nelle (PVO) pour récu­pé­rer des infor­ma­tions. « J’apprends qu’une cin­quan­taine de per­sonnes serait en cours d’évacuation, aux abords d’un entre­pôt en flammes, explique-il. Un groupe incen­die est envoyé en anti­ci­pa­tion, ce qui laisse pré­sa­ger d’une inter­ven­tion consé­quente. » Les portes de la caserne s’ouvrent et les engins foncent dans la nuit : ça décale pour feu d’entrepôt.

Dans l’engin-pompe du ser­gent-chef, c’est l’effervescence. À l’arrière, les deux binômes s’équipent de leurs appa­reils res­pi­ra­toires iso­lants (ARI). À l’avant, le chef de garde et le conduc­teur consultent leurs par­cel­laires. « Je connais cette par­tie de la ville. Il y a déjà eu des feux dans des entre­pôts à proxi­mi­té. Face à un incen­die de cette ampleur, le réseau d’eau est sous dimen­sion­né, sou­ligne-il. Par ailleurs, sa loca­li­sa­tion, à che­val sur deux sec­teurs, ne faci­lite pas la ges­tion des points d’eau incen­die (PEI). » Afin d’anticiper le pro­blème du réseau d’eau, le ser­gent-chef Guer­re­ro pré­voit une zone de déploie­ment ini­tiale (ZDI) à proxi­mi­té du sinistre, garan­tis­sant une ali­men­ta­tion effi­cace. En sor­tant du véhi­cule, les pom­piers longent le com­plexe bâti­men­taire et aper­çoivent au loin les flammes. Deux immeubles à usage d’habitation, un R+2 et un R+3, avoi­sinent l’entrepôt. « Je découvre les habi­tants du R+2 atten­dant dans la rue : les poli­ciers viennent de les éva­cuer, explique le sous-offi­cier. Je remarque que cet immeuble a été rehaus­sé d’un étage en bois. » Une allée, située entre les deux immeubles, remonte jusqu’à l’entrepôt mais celle-ci s’avère impra­ti­cable pour les engins. En pour­sui­vant leur route, les pom­piers res­sentent de fortes bour­rasques de vent. « La tem­pête Cia­ra est atten­due dans l’après-midi avec des vents à 150 km/​h, décrit le chef de garde. Le souffle ali­mente déjà l’incendie et favo­rise les pro­pa­ga­tions. La météo joue contre nous. »

Le ser­gent-chef Guer­re­ro et ses hommes remontent la rue et tournent à l’angle pour rejoindre l’adresse de l’entrepôt. Ils longent le R+3 qui donne sur la chaus­sée. « Le chef d’agrès du 1er engin-pompe sort de l’immeuble par la cage d’escalier la plus proche de l’entrepôt. Il me rend compte qu’une des habi­tantes les a conduits dans les étages. Les par­ties com­munes dis­posent de fenêtres don­nant sur la jonc­tion entre l’entrepôt et le R+2. Les équipes du PS ont pré­pa­ré par anti­ci­pa­tion une lance grande puis­sance (LGP) par cet accès. Je valide ce point d’attaque et pré­cise l’objectif : lut­ter contre la pro­pa­ga­tion des flammes en toi­ture. » Mal­gré cette ini­tia­tive, le chef de garde anti­cipe une évo­lu­tion défa­vo­rable et demande un ren­fort incen­die par radio. Alors qu’il rejoint l’adresse, là aus­si, une cin­quan­taine de per­sonnes sta­tionne sur la route. Ce groupe orga­ni­sait une célé­bra­tion reli­gieuse dans un petit local, mitoyen du sinistre. Après s’être assu­rés de son éva­cua­tion com­plète, les pom­piers remontent l’allée et atteignent l’entrepôt encla­vé pour avoir un aper­çu glo­bal du sinistre et de ses risques de propagation.

Si la pre­mière LGP tente de sau­ve­gar­der le R+2, d’autres zones sont expo­sées. « Pour le moment, seuls deux-tiers de l’entrepôt brûlent. J’en déduis qu’un mur de sépa­ra­tion en béton doit cou­per l’avancée des flammes, explique le ser­gent-chef. La par­tie saine de l’entrepôt est mitoyenne au R+3, l’immeuble par lequel mes équipes attaquent déjà. Il faut pro­té­ger cette zone au risque de voir le sinistre s’étendre éga­le­ment à cet immeuble. » À l‘opposé, l’incendie menace d’autres entre­pôts mitoyens et ses fumées brû­lantes jalonnent un troi­sième bâti­ment à usage d’habitation. « J’ordonne à mes équipes d’installer une seconde LGP de plain-pied afin de pro­té­ger les autres entre­pôts. À ce stade, impos­sible de connaître les maté­riaux qu’ils hébergent. » En remon­tant l’allée, le sous-offi­cier croise son conduc­teur d’échelle pivo­tante à nacelle (EPAN). « Je lui ordonne d’effectuer une marche arrière et de ren­trer dans l’allée en pré­vi­sion d’une ali­men­ta­tion pour une attaque de l’entrepôt », raconte-il.

Du feu d’entrepôt au feu d’immeuble

Le sous-offi­cier retourne devant l’adresse, rejoint par l’officier de garde com­pa­gnie (OGC), le capi­taine Jean Bal­mit­gère, qui récu­père les infor­ma­tions et prend le com­man­de­ment des opé­ra­tions de secours (COS). Mal­heu­reu­se­ment, l’action de la pre­mière LGP ne peut conte­nir les flammes : la toi­ture prend feu. Le capi­taine décide de divi­ser l’intervention en trois sec­teurs. Le pre­mier cor­res­pond à l’entrepôt et au bâti­ment R+3. Le second, au bâti­ment R+2, et un der­nier pour les bâti­ments d’habitation plus éloi­gnés mais don­nant éga­le­ment sur l’entrepôt. « L’effort se concentre prio­ri­tai­re­ment sur l’immeuble R+2, assure le capi­taine. Je demande des ren­forts afin de péné­trer dans les cages d’escalier pour effec­tuer des recon­nais­sances et éta­blir des lances. Une deuxième lance 1 000 est pla­cée sur l’immeuble d’habitation R+ 3 afin de consti­tuer une ligne d’arrêt au niveau de la toiture. »

Au niveau de l’immeuble d’habitation R+2, les équipes pour­suivent les recon­nais­sances et cherchent à conte­nir le sinistre. Le groupe recherche et sau­ve­tage en milieu urbain (RSMU) est déployé. Accé­dant au toit par les BEA sta­tion­nées dans la rue, ils essaient de créer une ligne d’arrêt pour empê­cher le feu de toi­ture de s’étendre sur la tota­li­té de l’immeuble. L’action cumu­lée des lances et des dis­queuses ne peut néan­moins empê­cher la pro­pa­ga­tion due aux combles non recou­pés, aux vents vio­lents et aux maté­riaux inflam­mables. Rapi­de­ment, l’ensemble du deuxième étage est en feu. Les pom­piers doivent com­bi­ner les attaques par l’extérieur et par l’intérieur pour éteindre le sinistre.

Après presque six heures de lutte, le feu est fina­le­ment éteint. Pour­tant, une der­nière action doit être impé­ra­ti­ve­ment entre­prise : « La toi­ture, brû­lée et par­tiel­le­ment déta­chée, doit être déblayée avant l’arrivée de la tem­pête pré­vue dans l’après-midi, conclut le colo­nel Baillé. Le risque de chute de maté­riaux entraî­nant des acci­dents s’avèrant bien trop grand ». Le groupe RSMU est réen­ga­gé afin de pro­cé­der à la découpe et à la dépose de la toi­ture. Un tra­vail long et fas­ti­dieux qui se pro­longe toute la jour­née. Le groupe de recon­nais­sance et d’intervention en milieux périlleux (GRIMP) ain­si que les pom­piers encore sur place viennent leur prê­ter main forte. Après huit heures de tra­vail, la toi­ture est mise à nue. L’entrepôt est lui aus­si déblayé grâce aux inter­ve­nants et à l’emploi d’une pelleteuse.


Chiffres clés :

  • Nombre de SP : 219
  • Nombre d’engins : 93
  • Moyens hydrau­liques : 7 LGP + 10 LA
  • Vic­times : 4 UR
  • Durée de l’extinction : 7 h
  • Durée totale de l’opération : 14 h

Points positifs /​points négatifs

Points posi­tifs :

  • Une par­tie de l’entrepôt sinis­tré est pro­té­gée par un mur en béton.
  • Le R+3, paral­lèle au R+2, pro­pose des points d’attaque en hau­teur via les cages d’escalier.

Points néga­tifs :

  • Les vents vio­lents annoncent l’arrivée de la tem­pête Cia­ra dans la journée.
  • Le réseau d’eau est sous-dimensionné.
  • Le R+2, mitoyen à l’entrepôt, dis­pose d’un étage en bois et de combles non recoupés.
  • La voie lon­geant les immeubles est impra­ti­cable pour les engins.
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