[tag-adh] À 84 ans, Claude Adell est en pleine forme. En 1980, il était chef de centre à Puteaux lorsqu’il s’est porté volontaire pour une opération un peu spéciale à Mururoa en Polynésie française. Sur cet atoll, il a assisté pendant un an aux essais nucléaires français au rythme d’une garde tous les trois jours.
Nous avons rencontré Claude, il y a quelques mois au Foyer du sapeur-pompier de Paris, siège de l’ADOSSPP.
« Je m’appelle Claude Adell, Alpha Delta Echo Lima, deux fois (ndlr : précise-t-il de sa voix rauque).Je suis né le 28 février 1941 à Toulouse. J’ai passé ma jeunesse à Carmaux, dans le Tarn, une cité minière. À l’époque, si vous ne travailliez pas à la mine, vous ne faisiez rien. Je me suis donc engagé au régiment de sapeurs-pompiers de Paris, que j’ai rejoint le 5 septembre 1960.
J’arrivais avec mes gros sabots à Champerret, un peu paumé, un peu perdu. Les pompiers m’ont très bien accueilli et ça s’est bien passé. L’instruction a eu lieu à Grenelle, 6e compagnie, si je me souviens bien. Six mois d’instruction, puisqu’il fallait faire 100 jours pleins.
Ensuite, le centre de secours (CS) Auteuil, en fin d’année 61 et début d’année 62, puis le peloton Champerret, avec un sergent célèbre, le sergent Jerkins, réputé pour ses moustaches, « une bête ». Fin de peloton, retour au CS Auteuil. Je suis devenu caporal le 1er novembre 1962.
J’ai été muté à la 28e compagnie, CS Nanterre : la zone, la peur de ma vie. Je venais du CS Auteuil, avenue Mozart, pour arriver à Nanterre, rue de la Garenne, avec les bidonvilles et le pont de Rouen. Ça jette un froid.
Carrière à la Brigade
J’ai servi au CS Nanterre du 1er novembre 1962 jusqu’à fin 67.
Fin 67, début 68, je suis passé sergent, muté à la 6e compagnie, car, en 67, la Brigade s’était étendue sur toute la petite couronne. J’ai été muté à Rueil, avec des gardes à Saint-Cloud, Sèvres, Garches, Meudon, Ville‑d’Avray. Les pompiers communaux sur place nous faisaient un peu la « gueule », entre guillemets, parce qu’on prenait leur boulot. On n’a pas été très bien accueillis.
Mars 68, retour à la 28e, Nanterre. Puis, de mars à juin 68, j’étais à Courbevoie pour l’instruction. C’était la première instruction d’appelés, jusqu’en septembre 72. Le 1er septembre 72, j’ai été muté à Puteaux, sous-chef de centre jusqu’à 79 – 80. C’est à ce moment que je me suis porté volontaire pour aller à Mururoa.
Mission à Mururoa
Début 80, la Brigade recherchait des volontaires pour le Centre d’essais du Pacifique (CEP) à Mururoa. C’était une chose qui m’intéressait. Comme c’était la première fois, je voulais laisser mon empreinte. J’ai été choisi pour des raisons que j’ignore. À l’époque, j’étais titulaire d’un diplôme de directeur plongeur, j’avais mon brevet de prévention et j’étais moniteur national de secourisme. Peut-être que cela a joué.
Nous sommes partis le 5 mai 1980, avec deux hommes : un caporal-chef qui s’appelait Galernes et un caporal qui s’appelait Prud’homme. Nous partions pour ce que j’appellerai l’aventure polynésienne.
Nous avons débarqué à l’aéroport de Papeete, Tahiti. Nous avons été reçus par des légionnaires, dont l’adjudant Paulette ou Colette, dont je me rappelle (presque) le nom parce que c’était le premier légionnaire qui a posé le pied sur le sol de Kolwezi. Nous avons été bien reçus à l’aéroport, selon la coutume, avec un collier de fleurs de tiaré (il faut prononcer toutes les syllabes). La fleur de tiaré vous « empoisonne » en fait, parce que c’est très dur à respirer, mais bon, c’est agréable.
Après une journée à Tahiti, nous avons pris un avion, une Caravelle pour Mururoa. Il devait y avoir trois, quatre heures de vol, je pense.
Sur l’atoll
Arrivée à Mururoa. Le casernement pour sous-officiers est en chambre individuelle et dortoir pour les hommes du rang. Le site s’étendait sur une largeur de 400 mètres et une longueur de 2 km, depuis le nord jusqu’au sud. On se déplaçait en Solex, à pied ou en Méhari. En tant que chef de section, j’avais droit à mon Solex.
J’ai reçu les sergents, j’ai reçu les légionnaires, et, avec le caporal-chef et le caporal, nous avons formé des équipes. Nous avons décidé d’établir un service de garde, réserve et repos. Nous nous sommes aperçus que le repos, chez les légionnaires, ça n’existe pas. Un légionnaire n’est jamais de repos. Donc, ils étaient de garde dite « permanence, deuxième jour ». Nous faisions quelques séances d’instruction, un minimum.
Sur place, à l’endroit prévu pour la caserne, il y avait juste un sol en béton antisismique, et un fourgon mixte avec deux caisses de matériel, des haches et des extincteurs.
L’ossature métallique pour la « caserne » est arrivée en juillet-août. Pendant deux jours, nous n’avons rien fait. Le colonel m’a convoqué pour me demander pourquoi je ne montais pas l’ossature métallique. Il était persuadé qu’en étant du génie, j’étais passé par l’école du génie et que je savais donc construire. Je lui ai expliqué que j’avais commencé sapeur, que j’étais monté avec le rang, et que je ne savais pas construire. Il m’a donc alloué un sergent-chef espagnol, qui s’est occupé de la construction de la caserne. Pour « l’inauguration », nous avons fait un feu avec une cabane en feuilles de cocotiers séchées en présence de l’amiral Lienhart. Tout se passe bien.
Les tirs et la sécurité
Pour les tirs, on recevait une séance d’information pour nous expliquer ce qui se passait. La « bombe » faisait un trou suffisamment grand pour y mettre la cathédrale Notre-Dame de Paris. Mais, avec la température, c’est immédiatement cristallisé, donc il n’y a pas de fuites de radioactivité, car tout le monde en a peur. C’est pour ça que personne ne se baignait dans le lagon.
Les tirs dans la partie terrestre ont eu lieu jusqu’à fin 80, début 81, puis il y a eu des tirs offshore dans le lagon. Avant le tir, tous le personnel se réunissait sur des plateformes qui avaient été montées pour éviter un éventuel tsunami.
Les tirs dans le lagon se faisait à une profondeur de 54 mètres, je crois, au fond d’un puits foré, suivant la charge à 100 mètres, ou 200 mètres. Mais, on n’était pas tellement au courant. Toutes les autorités se réunissaient dans le PC, appelé PC GOEM. La plateforme tremblait et on voyait, à environ 1 km, 1,5 km, un geyser d’eau sortir. C’est toujours impressionnant. Finalement, c’est tout l’atoll qui bouge. On n’est pas tranquille pendant au moins 3, 4, 5 minutes. Puis, tout se calme. Fin de tir.
À l’époque, tous les tirs étaient suivis d’une dégustation de langouste. On ne mangeait que des langoustes qui pullulaient dans le lagon. Après le tir, rien de particulier ; cela concernait surtout les gens du CEA, puisqu’il y avait une section pompier au Commissariat à l’énergie atomique.
Pour nous, c’était la permanence : monter les gardes de 24 heures dans un abri antiatomique avec un téléphone et un homme en permanence. On avait inventé le numéro, le 18, comme par hasard. Il n’a jamais sonné. Je n’ai pas fait d’intervention en un an.
Communication et congé
Je communiquais avec mon épouse par courrier, en lui envoyant une lettre tous les jours. J’ai retrouvé 365 lettres à mon retour. Elle m’écrivait au Secteur postal 91608. En cas d’urgence, on pouvait appeler par téléphone, mais il fallait se rendre à Tahiti, donc il valait mieux ne pas avoir d’urgences. Personnellement, tout s’est fait par courrier.
Je suis arrivé sur l’atoll au mois de mai. Ma première permission, entre guillemets, puisqu’à l’époque on parlait « d’aération », a eu lieu à Tahiti au mois de novembre. J’ai été bloqué 15 jours à Tahiti à cause d’une tempête tropicale, on ne pouvait pas rentrer sur l’atoll. C’était une vie d’« Américain », au camp de Taoné, réservé aux personnels militaires des atolls. Tout était gratuit au camp. Si on allait dans les hôtels de Tahiti, on avait 50 % de réduction pour le personnel des atolls.
Événements sur l’atoll
Décembre 80 : premier Noël avec les légionnaires, concours de crèche. Les hommes avaient fait un avertisseur. Quand on ouvrait la porte, ils avaient enregistré une bande qui disait : « Vous avez demandé les pompiers, ne quittez pas. Vous avez demandé les pompiers, on vous écoute. » Au concours de crèche, on a dû finir 4e ou 5e, ce qui n’était pas si mal.
Après Noël, à la Légion, fin avril, c’est Camerone. La section intervention incendie, qui comptait du personnel chinois dans ses équipes, a monté un restaurant chinois, menu chinois. Ça a duré deux jours et ça a bien fonctionné.
La promotion
Le colonel m’a convoqué après Camerone et m’a dit qu’il allait me nommer adjudant-chef. La demande avait été faite à la Brigade. La Brigade a dit « OK », mais « hors budget Brigade ». J’ai donc été nommé adjudant-chef par les légionnaires, hors budget Brigade. Quand je suis rentré à la Brigade au mois de mai 81, elle a accepté ma nomination. Je suis parti comme adjudant et je suis revenu comme adjudant-chef. L’avantage d’être adjudant-chef, c’est que, sur le site, on gagne un peu plus d’argent. C’est toujours appréciable.
Retour et décontamination
Pour le retour, vous passez à la décontamination. Le gars qui fait les passages s’amuse avec vous et, quand vous sortez de la machine, il vous dit : « Faut refaire un tour. » Donc, là, pas tranquille. Au deuxième tour, en règle générale, ça se passe bien. Vous êtes totalement décontaminé.
Faut savoir que, quand vous rentrez, escale à Los Angeles, vous ne touchez pas le sol des États-Unis. Vous descendez de l’avion [vous passez par un] tunnel avec tapis, un gros hangar, isolé de l’extérieur. Vous remontez dans l’avion, tunnel avec tapis. Vous ne touchez pas le sol américain au sens propre du terme.
Los Angeles, Montréal. Montréal, Paris Charles de Gaulle.
Fin de l’aventure.
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