RETOUR D'INTER - Feu d'appartement à Épinay-sur-Seine

Harry Couvin
25 août 2020

[tag-adh] Dans la journée du 15 avril 2020, un feu d’appartement se déclare dans une tour d’Epinay-sur-Seine (93). Les intervenants doivent réaliser plusieurs sauvetages mais les contraintes liées au confinement ne facilitent pas la manœuvre.

Maxime Gri­maud —  — Modi­fiée le 28 avril 2021 à 03 h 17 
[social_​warfare ]

13 h 30. Les pom­piers de Saint-Denis (26e com­pa­gnie) quittent leur caserne et longent la Seine en direc­tion des tours d’Epinay-sur-Seine, d’où s’élève un panache. « Nous par­tons pour feu dans un immeuble de 4e famille, explique le lieu­te­nant Thi­bault Mau­blanc, chef de garde (CDG). Nous arri­vons en groupe ETARE, ren­for­cé d’un groupe habi­ta­tion. Ce qui consti­tue un volume d’engins déjà consé­quent ». Une fois sur place, les pri­mo-inter­ve­nants ali­mentent leurs engins et ana­lysent la situation.

Le CDG arrive sur la face oppo­sée du sinistre. Il donne l’ordre à ses équipes de prendre le maté­riel de colonne sèche en recon­nais­sance. « Le centre opé­ra­tion­nel m’informe alors que des gens sont retran­chés, notam­ment dans l’appartement sinis­tré, détaille le lieu­te­nant Mau­blanc. Mes hommes rejoignent la cage d’escalier tan­dis que j’opère mon tour du feu. » Rapi­de­ment, le CDG aper­çoit une fenêtre qui fume sur la face de l’immeuble oppo­sée au sinistre : le risque de pro­pa­ga­tion aux paliers et aux appar­te­ments atte­nants s’avère donc réel.

Des­sin R. Dosne (repro­duc­tion interdite)

URGENCE ET CHAOS

De son côté, le capi­taine Pierre de Bou­vier, offi­cier de garde com­pa­gnie (OGC), arrive sur la face don­nant sur l’appartement en feu. Trois fenêtres laissent échap­per des flammes, des débris tombent, pré­sa­geant une pro­pa­ga­tion en façade. Le sinistre donne par ailleurs sur d’autres tours. Il est l’heure du déjeu­ner et la popu­la­tion est confi­née en rai­son de l’épidémie du Covid-19. « À ce stade, des cen­taines de per­sonnes à leurs fenêtres et au pied des immeubles hurlent et paniquent face au triste spec­tacle, se sou­vient-il. Tout le monde filme la scène et dans cette caco­pho­nie, seul le mot “des­cen­dez” par­vient aux oreilles des habi­tants de la tour sinis­trée. » L’OGC dis­tingue ensuite la tête d’une per­sonne qui sort d’une des fenêtres sous les fumées noires. « On voit la tête ren­trer et sor­tir mais le vacarme ambiant m’empêche de cap­ter son atten­tion, raconte-t-il. J’ordonne à mon conduc­teur de gar­der le contact avec la vic­time au moyen du porte-voix. Je prends ma radio pour trans­mettre l’information : il y a quelqu’un dedans, c’est sûr. »

De son côté, le chef de garde subit les revers de la panique géné­ra­li­sée. « En arri­vant au pied de l’immeuble, je vois envi­ron 200 per­sonnes sor­tir par l’unique cage d’escalier, se sou­vient-il. Mes hommes doivent mon­ter les onze étages à contre-cou­rant de cette marée humaine. J’engage des équipes au-des­sus et en des­sous du niveau sinis­tré afin d’établir une sec­to­ri­sa­tion. » Une femme gra­ve­ment brû­lée est alors prise en charge par le VSAV.

Arri­vé par­mi les pri­mo-inter­ve­nants, le CCH Romain, nous raconte son intervention.

DEUX MANŒUVRES VÉLOCES

Le chef de garde et l’OGC se retrouvent ensuite et échangent quelques mots : le lieu­te­nant rend compte au capi­taine de la situa­tion. « Je laisse au CDG l’intérieur de l’immeuble pour gérer l’arrivée des ren­forts et la manœuvre en façade, décrit l’OGC. Si les pre­mière équipes gèrent le sau­ve­tage par les com­mu­ni­ca­tions exis­tantes, je pré­fère anti­ci­per une seconde manœuvre par l’extérieur en cas de dif­fi­cul­tés. » Mal­heu­reu­se­ment, celle-ci s’avère par­ti­cu­liè­re­ment périlleuse. « L’immeuble est posi­tion­né sur une pla­te­forme inac­ces­sible aux engins. Notre échelle pivo­tante aérienne (EPA) est donc sta­tion­née deux étages en des­sous du pre­mier niveau (voir info­gra­phie p.28), explique-t-il. Cette perte de hau­teur nous empêche de ral­lier le onzième étage. Nous anti­ci­pons alors de réa­li­ser les sau­ve­tages poten­tiels au moyen de l’échelle à crochets. »

De son côté, le CDG monte jusqu’au niveau sinis­tré. Le nombre poten­tiel de vic­times, la ges­tion des recon­nais­sances et le dis­po­si­tif néces­saire pour l’attaque du foyer l’incitent à deman­der un ren­fort habi­ta­tion. « Une fois en haut, je découvre que non pas un mais quatre sau­ve­tages viennent d’être réa­li­sés », raconte-t-il (lire enca­dré ci-contre). Par­mi eux, un enfant de deux ans est en arrêt car­dio-res­pi­ra­toire (ACR). Les pom­piers l’évacuent de la zone sinis­trée et démarrent la réani­ma­tion car­dio-pul­mo­naire aux côtés des équipes médi­cales. « Les deux lances sont en eau et l’attaque est en cours. Je rends compte à l’OGC de l’évolution de la situa­tion et passe mon deuxième mes­sage. » En paral­lèle, une dizaine de mises en sécu­ri­té est réa­li­sée au moyen des cagoules d’évacuation.

Par la suite, le capi­taine de Bou­vier prend le com­man­de­ment des opé­ra­tions de secours. « Je per­mets au lieu­te­nant de se concen­trer sur le niveau sinis­tré en confiant les niveaux infé­rieurs et supé­rieurs à des chefs de sec­teurs. » La cage d’escalier étant com­plè­te­ment enfu­mée et encore encom­brée par des habi­tants, de nom­breuses recon­nais­sances et mises en sécu­ri­té doivent être réa­li­sées. « Le poste médi­cal avan­cé a été acti­vé. Des VSAV prennent en charge les pre­miers brû­lés et nous avons déjà quatre urgences abso­lues dont un enfant en arrêt car­diaque, argumente-t-il. »

Dans cette phase, le lieu­te­nant-colo­nel Yann Le Corre se pré­sente sur les lieux. « Je lui rends compte de la situa­tion : le feu sera éteint, ne se pro­pa­ge­ra plus et tous les sau­ve­tages ont été réa­li­sés. » L’officier supé­rieur de garde prend alors le COS (voir enca­dré ci-des­sous) et laisse à l’OGC la ges­tion des opé­ra­tions au niveau sinis­tré. L’enfant en ACR est éva­cué par héli­co­ptère vers l’hôpital.

Une vic­time est éva­cuée vers l’ho­pi­tal à l’aide d’un moyen héliporté.

Les messages radio

13 : 32 : LTN MAUBLANC : JE DEMANDE RENFORT HABITATION 15 RUE DUMAS À ÉPINAY-SUR-SEINE.

13 : 36 : VIOLENT FEU D’APPARTEMENT AU 11e ÉTAGE D’UN IMMEUBLE D’HABITATION R+15 R‑1. NOMBREUX SAUVETAGES EN COURS. BILAN PROVISOIRE 3 URGENCES ABSOLUES DONT UN ENFANT EN ACR. 2 LANCES EN MANOEUVRE, POURSUIVONS RECONNAISSANCES.

13 : 38 : CNE DE BOUVIER : JE PRENDS LE COMMANDEMENT DES OPÉRATIONS DE SECOURS. JE DEMANDE QUATRE ENGINS-POMPES, UN OFFICIER DE GARDE COMPAGNIE, UN GROUPE POSTE MÉDICAL AVANCÉ, UNE TENTE MODULAIRE POLYVALENTE ET UN VÉHICULE DE REMISE EN CONDITION DU PERSONNEL.

13 : 43 : LES SAUVETAGES SE POURSUIVENT PAR LES COMMUNICATIONS EXISTANTES ET PAR LES MOYENS AÉRIENS PROLONGÉS PAR LES ÉCHELLES À MAIN. LA CAGE D’ESCALIER EST COMPLÈTEMENT ENFUMÉE DU 10e AU 15e ÉTAGE. LES EFFORTS SONT PORTÉS SUR LA PRISE EN CHARGE DES VICTIMES ET LES RECONNAISSANCES.

14 : 03 : LCL LE CORRE : JE PRENDS LE COMMANDEMENT DES OPÉRATIONS DE SECOURS.

14 : 28 : JE DEMANDE UN GROUPE INTERVENTION EN MILIEU PÉRILLEUX ET UN HÉLICOPTÈRE.

14 : 39 : MAÎTRE DU FEU. IL INTÉRESSE UN APPARTEMENT DE 80 m², UNE CIRCULATION HORIZONTALE SUR 50 m² ET UNE FAÇADE DU 11e JUSQU’AU 13e ÉTAGE. 2 LANCES SUR COLONNE SÈCHE ET VENTILATION OPÉRATIONNELLE EN MANOEUVRE. 4 SAUVETAGES ET 10 MISES EN SÉCURITÉ RÉALISÉS PAR LES COMMUNICATIONS EXISTANTES. BILAN PROVISOIRE 4 URGENCES ABSOLUES DONT UN ENFANT ET 11 URGENCES RELATIVES. POSTE MÉDICAL AVANCÉ ACTIVÉ.

15 : 28 : FEU ÉTEINT. 1 ENFANT URGENCE ABSOLUE PRIS EN CHARGE PAR DRAGON 75 ET 9 URGENCES RELATIVES ÉVACUÉES PAR LES MOYENS DE TRANSPORTS NON MÉDICALISÉS. DÉBLAIS DÉGARNISSAGE EN COURS.

Trois questions au lieutenant-colonel Yann L.C officier supérieur de garde

À votre arri­vée, quels élé­ments vous poussent à prendre le COS ?

À mon arri­vée sur les lieux de l’intervention, le sinistre est en passe d’être mai­tri­sé grâce à l’action du départ nor­mal et des pre­miers engins en ren­fort. En revanche, l’ensemble des recon­nais­sances n’est pas ter­mi­né et, en cette période de confi­ne­ment, de nom­breuses per­sonnes se trouvent chez elles. Enfin, le poste médi­cal avan­cé (PMA) à ciel ouvert a déjà reçu une dou­zaine de vic­times dont un enfant en urgence abso­lue. Dans le contexte de crise sani­taire, la pré­sence d’élus locaux et du sous-pré­fet d’arrondissement, le volume de moyens déployés et les actions qui res­tent à mener sont autant d’éléments qui m’invitent à prendre le COS.

Quelles sont vos prio­ri­tés au cours de l’intervention ?

Deux prio­ri­tés appa­raissent immé­dia­te­ment. Tout d’abord, la prise en charge des vic­times et leurs éva­cua­tions, puis les recon­nais­sances dans l’ensemble de l’immeuble. Une sec­to­ri­sa­tion, en dis­tin­guant le PMA sous les ordres du DSM d’une part, et d’autre part l’immeuble d’habitation en lui-même sous la res­pon­sa­bi­li­té de l’OGC qui a déjà déployé une sec­to­ri­sa­tion, découle de ces enjeux. Cette orga­ni­sa­tion per­met ain­si de dis­po­ser d’une chaîne de com­man­de­ment simple avec des remon­tées d’informations rapides et syn­thé­tiques au pro­fit de l’officier poste de com­man­de­ment (OPC). Ce der­nier se trouve ain­si avec un nombre res­treint d’interlocuteurs au béné­fice de la ges­tion du ren­sei­gne­ment et de l’optimisation des moyens sur place. Il importe de sou­li­gner la pré­sence du CMO SAN[1] dont l’action dans la ges­tion des vic­times consti­tue une plus-value dans la conduite de l’opération.

Quels moyens avez-vous mis en œuvre et pourquoi ?

Les demandes de moyens suc­ces­sives du chef de garde et de l’officier de garde per­mettent de cou­vrir l’ensemble des mis­sions. Tou­te­fois, la situa­tion d’une des vic­times néces­site un trans­port par voie aérienne et la demande de Dra­gon 75. Les pro­pa­ga­tions à la façade néces­sitent un dégar­nis­sage pous­sé afin d’éviter toute reprise de feu dans l’isolant de façade. Les capa­ci­tés du GRIMP sont par­ti­cu­liè­re­ment adap­tées à cette mis­sion. Ils évo­luent en sécu­ri­té et per­mettent de dégar­nir lar­ge­ment et de lever tout doute.

[1] CMO SAN : centre de mise en œuvre santé


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Credits

Photos : BSPP

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