CAMION DE POMPIERS — PSM 27, la résurrection du “Belphégor”

Maxime Gri­maud —  — Modi­fiée le 9 décembre 2021 à 04 h 35 

#BrigadeInside — Durant quatre ans, les techniciens de la compagnie de maintenance (CMAI) et le musée de la BSPP ont mis à profit tout leur savoir-faire afin de restaurer l’un des engins les plus emblématiques de la Brigade : le premier secours mousse. Entre un travail acharné et une ingéniosité à toute épreuve, retour sur cette aventure qui remonte le temps.

Ce véhi­cule de 1970, appar­tient à la lignée des engins dits pre­miers-secours, dont le concept fut inven­té par les sapeurs-pom­piers de Paris à la fin du XIXe siècle, aux pré­mices de la trac­tion élec­trique. Véri­tables cou­teaux suisses, ils sont tou­jours en mesure de réa­li­ser 80 % des inter­ven­tions sur le sec­teur Bri­gade.
Le PSM est en fait la 5e géné­ra­tion de PS. Il sera rapi­de­ment sur­nom­mé « le Bel­phé­gor », en rai­son de ses gros hublots sur la face, lui don­nant un air de res­sem­blance avec le per­son­nage de la popu­laire série télé­vi­sée « le fan­tôme du Louvre » de 1965. 
L’option mousse est inté­grée, avec le déve­lop­pe­ment des feux de matières plas­tiques et d’hydrocarbures, dès 1940. Avec le temps, la mousse devient inhé­rente au concept, puis une nou­velle option « Éva­cua­tion » la rem­place dans les années 80. Aujourd’hui, le PSE 5G cor­res­pond donc à la 10e géné­ra­tion de PS.

En l’espace d’une dizaine d’années, le musée des pom­piers de Paris s’est gran­de­ment pro­fes­sion­na­li­sé, cher­chant à faire vivre et revivre son patri­moine au tra­vers de trois grands pré­ceptes : col­lec­ter, conser­ver et com­mu­ni­quer. Une grande par­tie de ce tra­vail s’est orga­ni­sée au béné­fice du nou­veau musée de Saint-Ouen (93). Le prin­ci­pal défi : réper­to­rier et sélec­tion­ner les 90 engins his­to­riques, dis­pat­chés sur 17 sites dif­fé­rents. « Nous ne pou­vions gar­der l’ensemble de la col­lec­tion, un tri s’avérait donc néces­saire, raconte le capo­ral-chef Etienne Jac­que­lin, res­pon­sable du parc tech­no­lo­gique du musée. Des ques­tions fon­da­men­tales guident alors nos choix : quels engins méritent d’être sau­ve­gar­dés et les­quels cor­res­pondent réel­le­ment à l’identité et à l’histoire du pom­pier de Paris. » Par­mi tous ces engins, le pre­mier secours mousse s’impose rapi­de­ment, telle une évi­dence, comme l’un des véri­tables camions « MADE IN BSPP » (voir encadré).

En 2017, après deux ten­ta­tives inter­rom­pues, le musée de la BSPP reprend à bras-le-corps ce pro­jet et décide de consa­crer ses efforts à la res­tau­ra­tion du PSM n°27. Presque en ruines, et dans un état de cor­ro­sion très avan­cé, ce petit poids lourd urbain est alors confié à la 32e com­pa­gnie de main­te­nance (CMAI).

UN PROJET TITANESQUE
C’est le capo­ral-chef Rudy Mou­lard, seul tech­ni­cien tou­jours en acti­vi­té sur le pre­mier pro­jet du PSM, qui reprend le flam­beau. « Sur le moment, je me suis ren­du compte que la charge de tra­vail serait tita­nesque, se remé­more le car­ros­sier-peintre. De nom­breuses pièces de car­ros­se­rie man­quaient et le moteur ne fonc­tion­nait plus. Mal­gré l’ampleur du défi, notre moti­va­tion a pris le des­sus sur tout le reste .» Dans ce grand pro­jet, Rudy est accom­pa­gné d’une véri­table équipe de choc. En pre­mière ligne : le 1re classe Franck Por­tel­li, char­gé de la méca­nique et de l’électricité, le capo­ral Enrik Jar­net-Nomede, pour la chau­dron­ne­rie et la sou­dure, et enfin le 1re classe Antoine Saint-Mar­tin, sel­lier et garnisseur.

En sep­tembre 2017, ils ini­tient le démon­tage inté­gral de l’engin, élé­ment par élé­ment, afin d’analyser l’ampleur du chan­tier. « Sur deux semaines, nous tri­ons, démon­tons et remi­sons l’ensemble dans des caisses. C’est déjà un pre­mier moyen de visua­li­ser les élé­ments qui nous manquent : gar­ni­ture de porte, manettes de vitre, pro­jec­teurs, gyro­phares, échelles ou encore poi­gnées de portes, décrit Rudy. C’est un tra­vail très long et minu­tieux qui démarre. » Une fois mis à nu, l’équipe envoie le PSM dans une entre­prise pri­vée pour un sablage com­plet. Cette étape, la seule qui sera réa­li­sée en dehors des murs de Volu­ceau, per­met aux tech­ni­ciens de repar­tir d’une base saine. Le pro­cé­dé insis­tant tel­le­ment en pro­fon­deur qu’il net­toie et enlève l’ensemble des par­ties irrécupérables.

En décembre, l’équipe récu­père le PSM net­toyé et le chan­tier peut com­men­cer. « À cette période, un évé­ne­ment tra­gique bou­le­verse ma vie per­son­nelle, confesse Rudy avec pudeur. À mes yeux ce pro­jet devient donc bien plus qu’une simple res­tau­ra­tion, presque une thé­ra­pie inté­rieure. Je plonge dans ce tra­vail où le temps pas­sé à l’ouvrage com­pense et atté­nue cette perte très difficile. »

Cette situa­tion inat­ten­due devient un nou­veau moteur pour le pro­jet. Rudy res­taure entiè­re­ment les élé­ments de la car­ros­se­rie en fai­sant sou­vent preuve d’ingéniosité pour répa­rer, sou­der, redres­ser, apla­nir et pon­cer les ensembles. « Dans ce type de pro­jet, il faut impé­ra­ti­ve­ment être métho­dique, tra­vailler élé­ment par élé­ment, pré­cise-t-il. Nous avons d’abord com­men­cé par la cabine, puis le toit, l’arrière et enfin les côtés ». En ren­fort, le capo­ral Jar­net-Nomede, le chau­dron­nier, éla­bore les par­ties man­quantes ou endom­ma­gées. Il confec­tionne les élé­ments man­quants, jusqu’à recréer des pièces dans leur inté­gra­li­té tels que les garde-boues, éla­bo­rés sans aucun plan à par­tir d’une simple feuille blanche ! « Dans ce type de situa­tion, il fabri­quait la pièce et je l’installais, un véri­table tra­vail de binôme, atteste Rudy. Plan­chers, ailes avant, coffres arrières, nous avons créé et pla­cé beau­coup de par­ties nous-mêmes. » Pour­tant, le 14 juillet arrive à grands pas et annonce une lourde charge de tra­vail pour les tech­ni­ciens.
« Afin d’empêcher l’oxydation et la rouille, j’achève le mon­tage à blanc et appose un « apprêt » pour remi­ser en toute sécu­ri­té le PSM en atten­dant de pour­suivre le tra­vail. » À ce stade, c’est au 1re classe Frank Por­tel­li de démar­rer la par­tie moteur.

DES PROBLÈMES DE PIÈCES
Un pro­blème majeur va sérieu­se­ment han­di­ca­per le tra­vail de res­tau­ra­tion : la grande dif­fi­cul­té pour se pro­cu­rer les pièces man­quantes, le plus sou­vent introu­vables. Le méca­ni­cien iden­ti­fie rapi­de­ment leur absence en dres­sant un inven­taire détaillé, mais il s’avère très dif­fi­cile d’en trou­ver de nou­velles. Un véri­table tra­vail de recherche s’organise au cours des deux années sui­vantes. Le musée et les tech­ni­ciens se rendent à de mul­tiples salons, ren­contrent des asso­cia­tions et activent leur réseau au tra­vers de deux branches prin­ci­pales, celle des pro­fes­sion­nels et celle des pom­piers de France. Le capo­ral-chef Jac­que­lin entre notam­ment en contact avec une figure du milieu : André Horb, rap­por­teur de la com­mis­sion his­toire, musée et musique au sein de la fédé­ra­tion natio­nale des sapeurs-pom­piers de France.

Pas à pas, dans un véri­table tra­vail de four­mis, les acteurs du pro­jet récu­pèrent les pièces déta­chées. D’abord grâce à une entre­prise spé­cia­li­sée dans ce type de besoins et loca­li­sée en Alle­magne. Ensuite, grâce aux pièces déta­chées récu­pé­rées sur le site mili­taire de Montl­hé­ry. « Avec son œil d’expert, Franck a même trou­vé l’embrayage du PSM com­plè­te­ment par hasard. Dans ce tra­vail de fouille, il faut beau­coup de recherches, de patience et aus­si, un peu de chance » s’amuse Rudy. En paral­lèle, le musée de la Bri­gade obtient un don de la part du musée des sapeurs-pom­piers du Val‑d’Oise (95). Cet échange a pu s’opérer grâce à une rela­tion de confiance entre­te­nue depuis de longues années entre les deux enti­tés. Celui-ci offre un PSM qua­si­ment iden­tique aux tech­ni­ciens pour une greffe des pièces d’origine. Un apport pré­cieux, qui per­met­tra à Rudy de pio­cher à volon­té dans ce second engin notam­ment pour les petits élé­ments. D’autres musées ou asso­cia­tions effec­tue­ront des dons de petits maté­riels d’époque. L’atelier des Che­vrons, avec lequel la BSPP a réno­vé son emblé­ma­tique camion-grue dans l’émission “Vin­tage Meca­nic”, appro­vi­sionne l’équipe en pièces Citroën. Le res­pon­sable du parc tech­no­lo­gique par­vient même à retrou­ver des pneus d’origine dont le modèle a pour­tant dis­pa­ru depuis des décennies.

L’ANECDOTE HISTORIQUE 

Dans les pre­mières années de sa mise en ser­vice, le PSM fut plu­tôt mal per­çu par les hommes du Régi­ment. Pre­mier engin-pompe à béné­fi­cier d’une cabine, le spec­tacle des pom­piers de Paris par­tant au feu et s’habillant à la va-vite dans leur déca­po­table « Tor­pe­do », dis­pa­raît défi­ni­ti­ve­ment. Moins facile, désor­mais, de saluer les pas­sants et de faire du charme aux jolies filles. Mais ce pre­mier aper­çu maus­sade se dis­si­pe­ra après quelques inter­ven­tions sous la pluie, le vent et la neige !

Fin 2019, le chan­tier peut reprendre avec l’ensemble des pièces trou­vées. Franck, le méca­ni­cien, ouvre le moteur et com­mence un tra­vail d’orfèvre pour redon­ner au camion son ron­ron­ne­ment. Devant cet immense puzzle, l’expert reprend abso­lu­ment tout. Après de longs mois de tra­vail, le moteur redé­marre enfin. Le méca­ni­cien de talent s’occupe éga­le­ment de la tota­li­té des fais­ceaux électriques.

En paral­lèle, Rudy redé­monte la cabine. Un pro­blème per­siste avant la phase de la pein­ture : com­ment retrou­ver la cou­leur d’origine du PSM, le rouge ini­tial ? « À force de sabler de petites pièces, j’ai fini par iden­ti­fier, dans la trappe à côté d’un filtre à air, une teinte très légère, c’était for­cé­ment celle d’origine, explique le car­ros­sier-peintre. En la net­toyant et la fla­shant avec un spec­tro­mètre, pour l’analyser, j’ai réus­si à éla­bo­rer le mélange. » Une fois cette étape effec­tuée, la mise en pein­ture de chaque élé­ment peut démar­rer. « J’ai tra­vaillé étape par étape : d’abord les petits élé­ments comme les rétro­vi­seurs puis les grosses par­ties telle que la pompe, le dévi­doir et la citerne. Il fal­lait vrai­ment tout clas­ser métho­di­que­ment pour ne pas se perdre dans le tra­vail. », Antoine Saint-Mar­tin, sel­lier et gar­nis­seur, s’emploie de son côté à res­tau­rer les deux sièges, la ban­quette arrière, les gar­ni­tures de portes et le ciel de toit en res­pec­tant scru­pu­leu­se­ment les élé­ments d’ambiance de l’époque. Durant deux ans, les quatre tech­ni­ciens tra­vaillent d’arrache-pied sur le PSM, en paral­lèle de leurs mis­sions opé­ra­tion­nelles. La crise de la Covid-19 vien­dra, elle aus­si, ralen­tir l’avancée du projet.

UN RÉSULTAT EXCEPTIONNEL
En jan­vier 2021, le remon­tage de la cabine est lan­cé. « Ce fut très agréable pour nous de réunir enfin le fruit de nos tra­vaux res­pec­tifs, se sou­vient Rudy. Avec Enrick, je ter­mine l’habillage inté­rieur et les fini­tions. Nous créons même un réser­voir adap­ta­tif pour le moteur. » Dans cette der­nière phase, les petits détails sont les élé­ments les plus longs à réa­li­ser : rétro­vi­seurs, vis, pro­blèmes de file­tage, etc. Après les der­niers mois de retouches, l’entreprise pri­vée Trans­de­co réa­lise l’impression des bla­sons de por­tière. Par­te­naire de la BSPP depuis plus de 50 ans, cette socié­té va se mon­trer par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace et réac­tive. Au terme de quatre années de dur labeur, la res­tau­ra­tion du PSM s’achève.

L’engin, refait à neuf, quitte Volu­ceau pour rejoindre le musée de Saint-Ouen. Il fait un détour à l’état-major de Cham­per­ret et est expo­sé dans la cour d’honneur durant le wee­kend du 18 sep­tembre en pré­sence de tous les acteurs du pro­jet. À cette occa­sion, les quatre tech­ni­ciens sont récom­pen­sés pour le tra­vail four­ni, « un lien vrai­ment très fort s’est créé entre toute l’équipe et ce véhi­cule. Nous sommes à la fois très fiers et un peu tristes qu’il nous quitte, confesse Rudy. Mais il trô­ne­ra fiè­re­ment au musée et immor­ta­li­se­ra l’ensemble de nos efforts. »

Pré­sen­ta­tion du PSM 27 Citroën Type C350 res­tau­ré par le CCH P. Mou­lard , CPL E. Jar­net-Nomede , 1CL F. Por­tel­li et 1CL A. Saint Mar­tin. Cette res­tau­ra­tion débute en Juillet 2017 et se ter­mine quatre ans plus tard en Juillet 2021. A cette occa­sion, les quatre pom­piers ont reçu une lettre de féli­ci­ta­tions par le Colo­nel d’As­torg, com­man­dant le Grou­pe­ment de Sou­tiens et de Secours.

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