Focus sur la section CONSERVATION DU PATRIMOINE (1/​2) : les machines à remonter le temps

Grands formats — Ouverture du pôle patrimoine de Saint-Ouen, gestion du parc technologique, restauration des collections, on imagine mal le travail important de la section conservation du patrimoine, mémoire et traditions (SCPMT). Partons donc à la découverte de ces passionnés qui perpétuent l’image de la Brigade à travers les années.

La rédac­tion Allo18 —  — Modi­fiée le 4 mai 2021 à 05 h 32 

L’OUVERTURE DU PÔLE PATRIMOINE

Par­mi les bonnes nou­velles de 2021, l’ouverture du pôle patri­moine à Saint-Ouen, si les condi­tions sani­taires le per­mettent, réjoui­ra tous les pas­sion­nés d’histoire des sapeurs-pom­piers de Paris. Mais la mise en œuvre est com­plexe. Explications.

Après plu­sieurs années de réflexions, d’études, de concer­ta­tions et de tra­vaux, le pôle patri­moine de la bri­gade de sapeurs-pom­piers de Paris ouvri­ra ses portes en 2021. Basé à Saint-Ouen, il jouxte le centre de secours sous le grand hall du bâti­ment principal.

À tra­vers des col­lec­tions mul­ti­formes dont il assure la pro­tec­tion, la docu­men­ta­tion et le rayon­ne­ment, le pôle patri­moine a plu­sieurs objec­tifs : celui d’expliquer l’originalité du sta­tut de la Bri­gade en met­tant en relief son rap­port avec les ins­ti­tu­tions et la popu­la­tion pari­sienne et fran­ci­lienne ; d’éduquer la popu­la­tion aux valeurs des sapeurs-pom­piers de Paris (cou­rage, dévoue­ment, altruisme, géné­ro­si­té, abné­ga­tion, dis­ci­pline, rigueur…) ; de sen­si­bi­li­ser et de fami­lia­ri­ser les enfants et les ado­les­cents aux ques­tions de sécu­ri­té ; enfin celui de favo­ri­ser les rela­tions inter­gé­né­ra­tion­nelles – en interne – ain­si que celles avec le public exté­rieur afin de rendre la culture et le patri­moine des sapeurs-pom­piers de Paris utiles au pré­sent et pour l’avenir.

Il pour­ra accueillir tant le per­son­nel du Corps que le public exté­rieur pour leur pro­po­ser de décou­vrir de riches col­lec­tions répar­ties sur une super­fi­cie de 1 350 m², espaces d’expositions per­ma­nentes et tem­po­raires confon­dus. Ce seront ain­si plus de deux siècles d’histoire ori­gi­nale des pom­piers de Paris qui seront valo­ri­sés, une his­toire qui accom­pagne la plu­part des étapes impor­tantes de la vie de la capi­tale et l’essentiel des sou­bre­sauts poli­tiques de la France.Dans le grand hall d’exposition, sur une dalle d’une sur­face de 1 066 m², sera pré­sen­tée une ving­taine d’engins, véhi­cules emblé­ma­tiques et maté­riels de lutte contre l’incendie dont cer­tains ont été expo­sés à la caserne Mas­sé­na jusqu’en 2010. L’objectif sera de mon­trer en quoi le corps des sapeurs-pom­piers de Paris a tou­jours été et reste un « lea­der » en matière d’innovation technologique.

La col­lec­tion de véhi­cules de tous types et de toutes époques étant consé­quente et ame­née à s’enrichir à l’avenir, la sec­tion conser­va­tion du patri­moine, mémoire et tra­di­tion (SCPMT), conduite par le capi­taine Émma­nuel Ran­voi­sy, a dû se résoudre à faire des choix en met­tant en regard les carac­té­ris­tiques tech­niques, his­to­riques et patri­mo­niales de chaque véhi­cule avec le pro­jet muséal de Saint-Ouen (voir vidéo ci-des­sous). « Depuis 2014, nous avons mené une ana­lyse métho­dique et minu­tieuse de cette col­lec­tion tech­nique tout en béné­fi­ciant de l’expertise et des conseils avi­sés d’un spé­cia­liste, M. André Horb, ingé­nieur et auteur de nom­breux ouvrages sur les engins de pom­piers » com­mente le capi­taine Ran­voi­sy. « Ce tra­vail est le fruit de l’alliance de la rai­son et de la ratio­na­li­té face à deux grandes pro­blé­ma­tiques. D’une part, nous devons gérer l’espace qui nous est alloué à Saint-Ouen en tenant compte de la dimi­nu­tion dras­tique des capa­ci­tés de sta­tion­ne­ment et de sto­ckage dis­po­nibles pour les véhi­cules et le petit maté­riel non expo­sés, et d’autre part, il nous faut consi­dé­rer le coût de main­te­nance du parc. »
Dans cette optique, une opé­ra­tion de ces­sion à titre gra­tuit de véhi­cules a été lan­cée en mai pour se clore en juillet 2020. Si cette cam­pagne a sus­ci­té de l’émotion, le conser­va­teur nous rap­pelle que l’intérêt patri­mo­nial prime et que « tous les engins ne sont pas égaux devant l’histoire ».

Les membres de la com­mis­sion fédé­rale his­toire, musées et musique de la FNSPF en ont été infor­més en pre­mière ins­tance et ce ne sont pas moins de dix-sept asso­cia­tions ou musées qui se sont por­tés acqué­reurs des véhi­cules cédés. Pour for­ma­li­ser ce trans­fert de pro­prié­té, des conven­tions de ces­sion ont été éta­blies avec le BAJCP.

Enfin, « huit véhi­cules de marques Dela­haye, Renault et Ber­liet ont été dis­tin­gués pour consti­tuer l’offre d’une future vente aux enchères. Les fonds récol­tés ser­vi­ront à entre­te­nir le reste de la col­lec­tion gérée par la sec­tion », pré­cise le capi­taine Ranvoisy.


Mis­sion de la sec­tion, trans­fert du parc tech­no­lo­gique, notion de col­lec­tion, cam­pagne de ces­sion et vente aux enchères, le capi­taine Emma­nuel Ran­voi­sy nous relate l’ac­tua­li­té de la sec­tion conser­va­tion du patri­moine, mémoire et tra­di­tions (SCPMT).


LES MISSIONS DE LA SCPMT

Pour le capi­taine Emma­nuel Ran­voi­sy, res­pon­sable de la SCPMT : « il est essen­tiel de se sou­ve­nir du pas­sé, tout en avan­çant grâce à l’innovation. Les mis­sions de la sec­tion, qui œuvre au déve­lop­pe­ment et à la démo­cra­ti­sa­tion du patri­moine cultu­rel et his­to­rique des sapeurs-pom­piers de Paris, portent sur les points sui­vants : la conser­va­tion, la ges­tion, l’enrichissement et enfin le rayon­ne­ment des collections ».


Pre­mière mis­sion : assu­rer la conser­va­tion pré­ven­tive et la ges­tion admi­nis­tra­tive des col­lec­tions patri­mo­niales. Il est capi­tal en effet d’assurer la péren­ni­té des col­lec­tions consti­tuées d’une grande diver­si­té d’objets, d’œuvres ain­si que d’un fonds d’archives (papiers et pho­to­gra­phiques). À ce titre, des actions (trai­te­ment, res­tau­ra­tion, contrôle du cli­mat, condi­tions d’exposition, de trans­port, de sto­ckage…) sont mises en œuvre pour pré­ve­nir et limi­ter leurs dégradations.

Seconde mis­sion : conduire et suivre la poli­tique d’enrichissement des col­lec­tions par l’acquisition rai­son­née de dons, de ces­sions, d’achats voire de legs.
Enfin, la troi­sième mis­sion du musée, aus­si évi­dente que majeure : contri­buer au rayon­ne­ment du patri­moine cultu­rel et his­to­rique au tra­vers d’expositions per­ma­nentes et tem­po­raires. La scé­no­gra­phie tien­dra ici un rôle essen­tiel. À Saint-Ouen, le par­cours de visite, à la fois clair, dépouillé, didac­tique et péda­go­gique, sera construit sur une base chro­no-thé­ma­tique. À cette mis­sion s’ajoute le fait qu’il faut pro­mou­voir et faci­li­ter la connais­sance de l’histoire du Corps en offrant, à terme, la pos­si­bi­li­té tant au per­son­nel de la Bri­gade qu’au public exté­rieur (cher­cheurs, uni­ver­si­taires….) de consul­ter les archives.


UNE STAR RENAÎT

Ce véhi­cule construit en un seul exem­plaire par Laf­fly, pour les pom­piers de Paris en 1938, a été la vedette de l’émission Vin­tage Meca­nic, dif­fu­sée sur la chaîne RMC Décou­verte en octobre der­nier. ALLO DIX-HUIT vous raconte la res­tau­ra­tion de cet engin, par­tie inté­grante des col­lec­tions du musée de la Brigade.

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Expo­sé depuis 1984 dans les sous-sols de Mas­sé­na, le camion-grue prend en 2012, au moment du démé­na­ge­ment du parc tech­no­lo­gique vers les réserves tem­po­raires de Montl­hé­ry, la direc­tion du CS Ples­sis-Cla­mart. Puis, en sep­tembre 2014, c’est au tour du CS Ivry, nou­vel­le­ment construit, d’accueillir ce monu­ment dans ses remises. En mai 2018, il est trans­fé­ré aux ser­vices tech­niques de Volu­ceau afin d’être remis en état.

D’emblée appa­raît une grosse dif­fi­cul­té : il faut rem­pla­cer un demi arbre de roue. La fabri­ca­tion sur-mesure sera inévi­table, puisqu’aucune pièce de ce type n’existe aujourd’hui.

Lors de l’édition 2020 de Rétro­mo­bile à Paris, évè­ne­ment natio­nal dans le monde des « vieilles voi­tures », la sec­tion patri­moine et l’Atelier des Che­vrons, res­tau­ra­teurs auto­mo­biles à Limeil-Bre­vannes (94), se ren­contrent sur le stand Vin­tage Meca­nic tenu par Fran­çois Allain. Une pas­sion com­mune anime tout ce joli monde : la valo­ri­sa­tion du patri­moine automobile.

Suite à cette pre­mière ren­contre, une visite des réserves du musée de la Bri­gade est orga­ni­sée, et les res­tau­ra­teurs sont rapi­de­ment conquis par le pro­jet. Jehef et Gab, séduits par le tra­vail fait en interne sur la res­tau­ra­tion d’un pre­mier-secours mousse Citroën C350, pro­posent de prendre contact avec Vin­tage Meca­nic pour une restauration.

Dès lors, une sélec­tion de plu­sieurs engins est rapi­de­ment éta­blie. Lorsque l’émission annonce que sa sai­son 6 por­te­ra sur les véhi­cules XXL, l’évidence désigne le CG1 !

Voi­là un beau chal­lenge qui plaît à nos deux garagistes-restaurateurs.

À par­tir du mois de juillet com­mence la phase dite « scien­ti­fique ». Il est néces­saire pour l’émission de consti­tuer un dos­sier spé­ci­fique : docu­men­ta­tion tech­nique et ico­no­gra­phie. Ce docu­ment per­met­tra d’ailleurs de conser­ver dans les archives BSPP tous les détails de cet engin. André Horb, spé­cia­liste natio­nal sur l’histoire des véhi­cules d’incendie en Europe, sera un consul­tant incon­tour­nable. À la fin de l’été, le dos­sier est dépo­sé, et dans les pre­mières pages on y retrouve le cahier des charges rédi­gé en 1938, décou­vert par hasard dans un don d’objets d’un ancien cadre des ser­vices techniques.

Entre-temps, à la mi-juillet, a lieu le pre­mier jour de tour­nage avec l’épisode dit « du contai­ner ». Ins­tant mémo­rable où s’impose le gaba­rit impres­sion­nant du camion-grue : 7 m de long, 2,60 m de large, 3 m de haut et 8,5 tonnes ! Autre­ment dit : il ne rentre pas dans le contai­ner où nor­ma­le­ment se trouve le véhi­cule à restaurer.

Face à deux autres garages, l’Atelier des Che­vrons rem­porte le mar­ché qui va leur per­mettre d’attaquer la bête. Trois grosses mis­sions : redé­mar­rer le moteur, redon­ner au camion son aspect exté­rieur d’origine et se pen­cher sur la par­tie équi­pe­ment (la grue).

Mi-sep­tembre, le moteur est répa­ré, le camion redé­marre. Le sys­tème hydrau­lique de la grue est en revanche tou­jours hors ser­vice : il fuit. Il faut chan­ger les joints d’un des deux vérins prin­ci­paux… La ques­tion se pose : com­ment trou­ver des joints en cuir de cette époque ?

Autre pro­blème : le cabes­tan ne fonc­tionne pas. Et pour le répa­rer, il faut accé­der à des méca­nismes pla­cés sous le monstre. Il faut alors trou­ver une solu­tion pour sou­le­ver 8,5 tonnes sans fosse, ni pont.

Pour finir, l’ensemble du cir­cuit d’éclairage est remis à neuf (phare de tra­vail inclus).

Avant la fin du chan­tier, les sept pneus sont chan­gés. C’est une tâche de plu­sieurs heures par uni­té ! Il faut un spé­cia­liste che­vron­né pour cette manœuvre. Le risque est impor­tant car le cer­clage peut explo­ser à tout moment.

Fran­çois Allain demande alors l’appui logis­tique de la Bri­gade et c’est la réac­ti­vi­té des sapeurs-pom­piers de Paris qui va sau­ver la situa­tion. Les spé­cia­listes du grou­pe­ment de sou­tien et secours (GSS) sont enga­gés. La com­pa­gnie de main­te­nance envoie des spé­cia­listes, notam­ment ceux de l’atelier échelle. Des colonnes de levages sont prê­tées. Pour chan­ger les joints, il faut sou­le­ver la grue avec des moyens lourds. Seule la com­pa­gnie des sou­tiens com­muns (CSC) peut offrir une solu­tion avec le camion benne n°8 et sa puis­sante grue.

Avec beau­coup de pers­pi­ca­ci­té, les joints de cuir sont trou­vés en région lyon­naise, dans une entre­prise viti­cole spé­cia­li­sée dans la fabri­ca­tion tra­di­tion­nelle de joints de pres­soirs. Une fois les joints rem­pla­cés et lubri­fiés à l’huile de pied de bœuf, la chaîne ciné­ma­tique du cabes­tan est répa­rée. Les res­tau­ra­teurs peuvent s’attaquer au reste du chan­tier : l’apparence extérieure.

Toute la car­ros­se­rie de l’avant train (ailes, calandre, capot) est à res­tau­rer. Des retouches sont appor­tées sur les flancs, les plaques en grain d’orges situées à l’arrière du camion, rem­pla­cées, et tous les insignes Laf­fly ain­si que les ins­crip­tions man­quantes et/​ou dété­rio­rées re-fabri­quées à l’identique.

Afin de vali­der cette res­tau­ra­tion, Fran­çois Allain de Vin­tage Meca­nic pro­pose de tes­ter la grue en condi­tion réelle : le CG1 doit sou­le­ver une Jeep Willis. C’est un succès.

Le temps passe vite. 1er octobre, le monu­ment quitte l’Atelier des Che­vrons sur sa plate-forme. Direc­tion Paris et l’état-major de la BSPP.

Direc­tion état-major

Les res­tau­ra­teurs au volant du camion-grue fran­chissent la voûte aux côtés de Fran­çois Allain : comme en 1939, lorsque ce der­nier est livré au Régi­ment et pré­sen­té au commandement.

« Ce camion sym­bo­lise l’innovation, et l’innovation chez les pom­piers-pom­piers de Paris, c’est notre culture »

LCL d’Astorg

L’équipe s’arrête au milieu de la cour. Ils sont accueillis par le lieu­te­nant-colo­nel Oli­vier d’Astorg, chef de corps du GSS, le capo­ral-chef Etienne Jac­que­lin et un déta­che­ment de sapeurs-pom­piers. Ému, Jehef remet les clés au lieu­te­nant-colo­nel, tout en rap­pe­lant son pas­sé à la Brigade *.

Ce magni­fique pro­jet de valo­ri­sa­tion du patri­moine des pom­piers de Paris prend fin. Depuis, le camion grue n°1 a réin­té­gré les réserves du musée, en atten­dant son expo­si­tion sur la dalle de Saint-Ouen.

* Incor­po­ré en mars 1987, il intègre le centre de secours de Vil­le­neuve-Saint-Georges, avant de rejoindre le ser­vice géné­ral à Mas­sé­na où il découvre le musée tech­no­lo­gique ! C’est après 15 ans de bottes qu’il quitte la Bri­gade en sep­tembre 2001.

L’Association des Amis du Musée des Sapeurs-pompiers de Paris

Depuis 2011, l’AAM­SPP apporte son concours à l’ac­com­plis­se­ment des mis­sions du musée, notam­ment sur le plan des col­lec­tions (enri­chis­se­ment et res­tau­ra­tions). Dans ce but, l’association recherche et col­lecte des finan­ce­ments (sub­ven­tions et mécé­nat). L’adhé­sion est ouverte à tous : per­son­nels d’ac­tive, retrai­tés et civils exté­rieurs à la Bri­gade, pas­sion­nés par l’his­toire et le patri­moine de celle-ci.

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