DIVISION NUMÉRIQUE — Retour vers le futur

 — Modi­fiée le 19 décembre 2023 à 05 h 02 

Grands formats — Il n’y a pas si longtemps, le stationnaire appuyait sur les touches ALT et F2, puis deux fois sur Entrée pour valider un ordre de départ. Aujourd’hui, le data est partout. D’un côté, trois informaticiens chevronnés nous rafraîchissent la mémoire… vive. De l’autre la nouvelle génération arrive en force.

Ils ont, tous les trois œuvré dans les service informatiques de la Brigade dans les années 90… CTRL+Z sur cette époque.

À votre incor­po­ra­tion, com­ment fonc­tion­nait la Bri­gade sur le plan numérique ?

Major Cédric Patte : Dans les années 1990, l’accès à l’outil infor­ma­tique se déve­lop­pait, mais res­tait rela­ti­ve­ment confi­den­tiel, des­ti­né essen­tiel­le­ment au chef de centre ou à l’adjudant d’unité pour la par­tie admi­nis­tra­tive et aux ser­vices cen­traux pour la ges­tion des per­son­nels, des biens et des maté­riels. Les ordi­na­teurs étaient à l’époque des Intel 486, bien loin des stan­dards actuels et le réseau intra­net n’existait pas encore.

Major Étienne Bocage : En 1997, SYNTIA est le Sys­tème d’information opé­ra­tion­nelle et de com­man­de­ment (SIOC) : un cla­vier, un écran catho­dique mono­chrome de moins de 15 pouces, une impri­mante, et c’est tout. La connexion entre sites se fait sur le réseau des lignes télé­pho­niques ana­lo­giques via des modems dont il faut régler les fré­quences et inten­si­tés pour qu’ils « s’accrochent ». On parle de trans­mis­sion de débit filaire de 56Kb/​s, au mieux, soit 18 000 fois moins rapide que la fibre optique à plus d’1Gb/s… 1 Mo est télé­char­gé en plus de deux minutes !

Adju­dant-chef Mickaël Per­rin : C’était déjà le temps de l’adaptation, de la remise en cause et de la débrouillar­dise. On répa­rait même les télé­phones, les télé­vi­sions et les radios avec des pièces déta­chées récu­pé­rées ici ou là. D’ailleurs, c’était sou­vent le tra­vail des appe­lés. Il n’y avait pas de smart­phone… Les bilans étaient pas­sés depuis le télé­phone du domi­cile du requé­rant ou depuis la cabine télé­pho­nique de la rue…
Major Étienne Bocage : Le télé­phone por­table est encore trop oné­reux pour être géné­ra­li­sé, les smart­phones n’existent pas, Inter­net n’a pas inté­gré les foyers, et c’est tout juste si les PC sont abor­dables, sous Win­dows 95… Le wifi n’existe pas, les réseaux IP sont anec­do­tiques, donc pas de trans­mis­sion de data sur les radios ou les télé­phones, juste de la pho­nie sur des sup­ports en cuivre. Pas d’Internet, donc encore moins d’intranet : les bureaux foyer ou ordi­naire réa­lisent les « fins de mois » sur les quelques ordi­na­teurs dis­po­nibles et enre­gistrent le tra­vail sur des dis­quettes de 5,25 pouces avant de les envoyer par por­te­feuille au ser­vice cen­tra­li­sant la gestion !

Quelles sont, selon vous, les évo­lu­tions les plus impor­tantes et/​ou remar­quables de ces der­nières années ?

Major Cédric Patte : Il est tout à fait remar­quable que la BSPP ait su culti­ver sa capa­ci­té interne de créa­tion logi­cielle et d’administration de ses sys­tèmes, alors que le mou­ve­ment natu­rel des entre­prises, voire des admi­nis­tra­tions, tend à confier cette capa­ci­té à des édi­teurs du sec­teur pri­vé. La plu­part de nos gros sys­tèmes infor­ma­tiques ont été réa­li­sés par des pom­piers de Paris pour des pom­piers de Paris et nous en gar­dons encore aujourd’hui la maîtrise.

Adju­dant-chef Mickaël Per­rin : La plus grande évo­lu­tion, c’est la place qu’il occupe. Qui peut main­te­nant se pas­ser du numé­rique ? Un des exemples les plus fla­grants, c’est la mise en place du télé­tra­vail pen­dant la période COVID. Cette place pré­do­mi­nante néces­site une inter­opé­ra­bi­li­té des sys­tèmes. Tout se concentre doré­na­vant autour du réseau. Aujourd’hui, une prise réseau peut accueillir soit de la télé­pho­nie, soit un PC, voire la radio et les son­ne­ries de feu. Nous sommes pas­sés de la télé­pho­nie « à papa », à la télé­pho­nie sous IP (Inter­net Pro­to­col) et bien­tôt,
à la virtualisation.

Major Cédric Patte : L’expérience uti­li­sa­teur du sapeur-pom­pier est deve­nue le cœur des pré­oc­cu­pa­tions. Il s’agit de ratio­na­li­ser les pro­ces­sus et de sim­pli­fier les pro­cé­dures admi­nis­tra­tives afin d’améliorer notre effi­cience col­lec­tive. Le pro­jet de gui­chet unique, dont la voca­tion est de cen­tra­li­ser les demandes, va dans ce sens. De même, la Fabrique Digi­tale conti­nue à démon­trer sa capa­ci­té à répondre rapi­de­ment aux nom­breuses attentes opé­ra­tion­nelles et admi­nis­tra­tives de nos enti­tés. Les tech­no­lo­gies employées sont des der­nières géné­ra­tions, notre réseau est rapide, notre infra­struc­ture est sécu­ri­sée et nos tech­ni­ciens res­tent moti­vés à répondre aux chal­lenges qui se présentent.

Com­ment voyez-vous le futur de la Bri­gade sur le plan numérique ?

Major Cédric Patte : Une nou­velle étape arrive bien­tôt avec l’adoption de NEXSIS, qui doit suc­cé­der à ADAGIO. Ce sys­tème n’étant pas déve­lop­pé par ses équipes internes, après les 30 années de maî­trise com­plète de son outil infor­ma­tique opé­ra­tion­nelle, la BSPP fait un peu un saut dans l’inconnu. Cepen­dant, les enjeux res­tent les mêmes et les impacts sur notre orga­ni­sa­tion, s’ils sont inévi­tables, démon­tre­ront une fois de plus, notre capa­ci­té d’adaptation.

Major Étienne Bocage : Le futur proche pour­rait voir l’avènement de vidéo­con­fé­rences entre le requé­rant et l’opérateur pour mieux éva­luer la situa­tion et conseiller le deman­deur. La prise en compte de l’intelligence arti­fi­cielle est aus­si incon­tour­nable. Je vois quelques exemples de ce que l’IA pour­rait appor­ter ou conso­li­der. En télé­pho­nie, le débrui­tage des appels 18112 acci­den­tels ou la tra­duc­tion d’un dis­cours en langue étran­gère ou peu audible…

Adju­dant-chef Mickaël Per­rin : Le futur sur le plan numé­rique, c’est la sim­pli­fi­ca­tion et de la sou­plesse pour l’utilisateur et par consé­quent, encore plus d’interopérabilité et tou­jours plus d’innovation. Inter­opé­rable : c’est la trans­mis­sion des infor­ma­tions avec chaque acteur de la sécu­ri­té civile : pom­piers, SAMU, police. En résu­mé : le pro­jet NEXSIS. Sou­plesse, sim­pli­fi­ca­tion : c’est le noma­disme, un PC por­table, une tablette et depuis n’importe où, nous avons accès à notre espace de tra­vail et aux appli­ca­tions métiers. Inno­va­tion : nous sommes, comme nos cama­rades de l’armée de Terre, dans la NEB, la numé­ri­sa­tion de l’espace de bataille !

À 23 ans seulement, le sapeur de première classe Williams a déjà fait un long chemin, de sa Guadeloupe natale aux arcanes numériques de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Portrait.

J’ai gran­di à Petit-Bourg, en Gua­de­loupe, confie le sapeur de pre­mière classe Williams. J’ai pas­sé toute ma vie en outre-mer : l’école, le sport, les amis, la famille… Tout. Mais j’ai été très bien reçu à la Bri­gade et en métropole. »

En Gua­de­loupe, Williams se pas­sionne pour le foot­ball et l’informatique, obtient son Bre­vet de tech­ni­cien supé­rieur (BTS) en Ser­vices infor­ma­tiques aux orga­ni­sa­tions (SIO) et se spé­cia­lise en réseau. « Je n’avais jamais pen­sé à deve­nir pom­pier, admet Williams. Un jour, j’ai vu une annonce de la Bri­gade sur le réseau social Ins­ta­gram et je me suis dit : pour­quoi pas ? J’ai vu que la Bri­gade recru­tait des infor­ma­ti­ciens, avec mon BTS comme mini­mum requis, alors j’ai pos­tu­lé… Et ils m’ont rap­pe­lé le len­de­main ! » Le mois sui­vant, Williams était sapeur-pom­pier de Paris. « Tout a été très vite ! Le CIRFA [1] m’a pris en charge à l’aéroport des Abymes en Gua­de­loupe, et les for­ma­teurs de la BSPP m’ont récep­tion­nés à l’aéroport, à Paris. J’avais de l’appréhension, mais j’ai été très bien accompagné. »

Le sapeur est incor­po­ré en juin 2022 en tant que spé­cia­liste Sys­tèmes infor­ma­tion et com­mu­ni­ca­tion dans la filière télé­com­mu­ni­ca­tion et réseaux. Infor­ma­ti­cien, le jeune a logi­que­ment été affec­té à la Com­pa­gnie de télé­com­mu­ni­ca­tions et infor­ma­tique (CTI). « Je suis au groupe Sou­tien des maté­riels infor­ma­tiques (SMI) de la sec­tion sou­tien infor­ma­tique de la CTI, annonce fiè­re­ment Williams.
J’ai com­men­cé par des petits dépan­nages, des ins­tal­la­tions d’unité cen­trale ou d’imprimante, ou encore de la mas­te­ri­sa­tion. C’est-à-dire la pré­pa­ra­tion des postes infor­ma­tiques, en fonc­tion des séquences de tâches liées au déploie­ment des logi­ciels… » Aucun doute, c’est un métier. Récem­ment, le sapeur de pre­mière classe a été affec­té à la cel­lule admi­nis­tra­tion du parc de la SMI. Il super­vise les ser­veurs d’impressions, les PC SINUS et depuis peu, les PC nomades. « Mon métier me plaît parce que je fais ce que j’aime : l’informatique. Et sur­tout, j’ai le sen­ti­ment d’être utile. » Aucun doute non plus : nos infor­ma­ti­ciens sont essen­tiels au bon fonc­tion­ne­ment de la Bri­gade et de toute la chaîne de départ des secours.

À l’heure où nous écri­vons ces lignes, Williams est à Agen, en for­ma­tion d’adaptation com­plé­men­taire qua­li­fiante (FACQ), afin d’obtenir son Cer­ti­fi­cat tech­nique élé­men­taire (CTE). Asso­cié au Cer­ti­fi­cat mili­taire élé­men­taire (CME), son CTE lui per­met­tra d’obtenir le grade de capo­ral, puis de capo­ral-chef.
« Pour l’instant, j’avance », confie Williams. Nous lui sou­hai­tons d’aller le plus loin possible 

1 : Centre d’information et de recru­te­ment des forces armées.

Textes et photographies : SCH Nicholas Bady

DIVISION NUMÉRIQUE — La Bri­gade ren­force son empreinte digitale

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