LA RÉVOLUTION DIPHASIQUE (ép. 6) — De l’air, moins d’eau : cette nouvelle technologie va bouleverser le métier de pompier !

Mathieu Giroir —  — Modi­fiée le 8 juin 2023 à 03 h 06 

#BrigadeInside — Moins d’eau, de l’air, le système diphasique offre des perspectives inédites qui vont changer totalement le point de vue opérationnel. Une toute nouvelle façon d’éteindre les feux, mais pas que…

Un exemple : l’électrification du parc engins de la BSPP implique de pou­voir rechar­ger les bat­te­ries, mais sup­pose éga­le­ment à moyen terme la sup­pres­sion des soutes à car­bu­rant, la fin des contrats pour les cartes car­bu­rant, etc… Dès lors, com­ment main­te­nir l’activité opé­ra­tion­nelle en cas de rup­ture d’alimentation en élec­tri­ci­té ?
Dans ses réflexions autour du pro­jet DELTAE, le BEP a essayé d’être le plus exhaus­tif pos­sible sur les consé­quences poten­tielles offertes.
Outre la réduc­tion dras­tique de la consom­ma­tion d’eau et l’impact direct sur la DECI, DELTAE offre de manière évi­dente ou inat­ten­due de nom­breuses pers­pec­tives.
Pour les com­prendre, consi­dé­rons les chan­ge­ments tech­no­lo­giques qui per­mettent le fonc­tion­ne­ment des sys­tèmes d’extinction diphasique.

La ver­sion opé­ra­tion­nelle per­met un maxi­mum de 8 000 l/​min à 7 bars

De l’apport de l’air… Ce n’est un secret pour per­sonne : DELTAE uti­lise de l’air, beau­coup d’air. Pour pro­duire les quelques 2 000 l/​min dévo­rés par la lance, un com­pres­seur est inté­gré au véhi­cule. La ver­sion opé­ra­tion­nelle per­met de déli­vrer au maxi­mum (avec un com­pres­seur débri­dé) 8 000 l/​min à 7 bars, bien plus qu’il n’en faut.
À tel point, que la pers­pec­tive la plus évi­dente du pro­jet DELTAE est de se ser­vir de cet excé­dent pour ali­men­ter en air les sapeurs-pom­piers à la lance, voire ceux qui pour­raient être en attente à proxi­mi­té du tuyau, comme une équipe de sécu­ri­té par exemple.
C’est notam­ment pour cette oppor­tu­ni­té que nos cama­rades du BMPM qua­li­fient le sys­tème dipha­sique de révo­lu­tion­naire. En effet, la pro­tec­tion res­pi­ra­toire des sapeurs-pom­piers enga­gés sur un feu d’espace natu­rel est qua­si­ment inexis­tante. Ce ne sera plus vrai demain avec le déploie­ment des sys­tèmes dipha­siques.
Par exten­sion, il est per­mis d’imaginer des phases de déblai lors des­quelles l’ensemble du per­son­nel enga­gé dis­po­se­rait d’un masque ARI relié aux tuyaux du sys­tème.
Mais s’arrêter à cette seule oppor­tu­ni­té n’est pas suf­fi­sant. Si le sapeur-pom­pier enga­gé en recon­nais­sances dis­pose d’une lance dipha­sique, quel est l’intérêt de son appa­reil res­pi­ra­toire iso­lant en cir­cuit ouvert (ARICO) ?
L’ARICO pour­rait ain­si deve­nir un moyen d’auto-sauvetage ou de sau­ve­tage annexe, utile sur un temps très court et de manière ponc­tuelle. Aus­si, com­ment ne pas pen­ser à réduire le volume d’air dis­po­nible et, de fait, le poids et l’encombrement de notre pré­cieux ARI ? L’impact sur le phy­sique du sapeur-pom­pier de Paris est immédiat.

… com­pri­mé ! Le com­pres­seur du sys­tème d’extinction dipha­sique délivre un air com­pri­mé à 7 bars. L’air com­pri­mé, ce n’est pas que de l’air. C’est aus­si de l’énergie pneu­ma­tique.
Un cas d’usage évident de cette éner­gie est la mise en œuvre d’outils pneu­ma­tiques pour réa­li­ser diverses opé­ra­tions (ven­ti­la­tion, levage, effrac­tion froide, etc.).
Mais pour­quoi s’arrêter à des évi­dences ?
Par exemple, un ARICO givre lors des manœuvres ou encore l’air de la bou­teille d’oxygène sort à une tem­pé­ra­ture d’une quin­zaine de degré dans le masque à haute concen­tra­tion. Phé­no­mène par­fai­te­ment nor­mal, plus connu comme la détente d’un gaz par­fait (ndlr : PV=nRT pour les ini­tiés !). Pour faire très simple : quand la pres­sion du gaz chute bru­ta­le­ment, cela s’accompagne d’une baisse de la tem­pé­ra­ture du gaz. Le phé­no­mène inverse existe d’ailleurs. Lors du gon­flage des bou­teilles d’air, elles sortent chaudes du com­pres­seur.
Le sys­tème dipha­sique per­met donc de dis­po­ser d’une source impor­tante d’air froid. Il n’en fal­lait pas plus au BEP pour ini­tier le pro­jet bliz­zard polaire qui vise à déve­lop­per une tenue de feu refroi­die qui uti­li­se­ra cet air froid pour pro­té­ger le sapeur-pom­pier de Paris. Et ça fonc­tionne ! Des essais ont été réa­li­sés en 2017 et 2018 et ont démon­tré l’efficacité du concept. De nou­veaux tests vont être conduits à par­tir d’avril 2023.
Si ce pro­jet abou­tit, il est rai­son­nable d’imaginer que les équipes incen­dies pour­ront être éga­le­ment main­te­nues au frais durant le trans­port vers le lieu d’intervention, pré­ser­vant ain­si leur poten­tiel d’engagement au feu.

le pro­jet bliz­zard polaire vise à déve­lop­per une tenue de feu refroidie

De l’intérêt d’une faible uti­li­sa­tion de l’eau. Un sys­tème d’extinction dipha­sique, c’est en moyenne cinq fois moins d’eau pour la même effi­ca­ci­té de lutte contre les calo­ries déve­lop­pées par la com­bus­tion.
L’eau est syno­nyme de poids pour nos tuyaux qui sont ain­si très dif­fi­ci­le­ment mobiles et l’intérêt de l’allègement est immé­dia­te­ment per­cep­tible.
Mais l’eau c’est sur­tout une part impor­tante du poids de nos engins-pompes. La citerne d’un FA c’est près de 20 % de son poids. De plus, le débit d’une pompe d’engin de lutte contre l’incendie est nor­ma­li­sé à 2 000 l/​min à une pres­sion de 15 bar (excep­tion faite des PSE qui ne répondent à aucune norme « engins »). Pour dis­po­ser d’une puis­sance équi­va­lente en dipha­sique, il fau­drait uni­que­ment une pompe de 500 l/​min.
La réduc­tion de la consom­ma­tion hydrau­lique se révèle être une clé de la dimi­nu­tion de la taille de nos engins-pompes, de leur coût d’acquisition et de leur coût glo­bal de pos­ses­sion (moins de consom­ma­tion, moins d’usure des pièces méca­niques…). Aus­si, il est per­mis de rêver à un ave­nir fait de petits engins-pompes élec­triques sur des châs­sis de 7,5 T, grâce aux­quels les ensembles modu­laires ver­ront les PSE dis­pa­raître et les FA deve­nir FPTL.
Pour­quoi ne pas aller jusqu’à repen­ser une réponse opé­ra­tion­nelle scin­dée en four­gon d’attaque et four­gon de reconnaissances ?

Pour décon­ta­mi­ner. Dans le cadre de la décon­ta­mi­na­tion NRBC, une faible uti­li­sa­tion de l’eau pré­sente un inté­rêt majeur. Moins d’eau, c’est moins d’effluents à sto­cker et à trai­ter.
L’efficacité des sys­tèmes dipha­siques pour la décon­ta­mi­na­tion des sur­faces est en cours d’évaluation et pour­rait être une nou­velle pers­pec­tive posi­tive de ce sys­tème. En com­plé­ment, si l’efficacité est avé­rée, il pour­ra être per­ti­nent de se poser la ques­tion du dipha­sique dans le cadre des pro­to­coles HPI mis en place à la BSPP.
En syn­thèse, les pers­pec­tives offertes sont nom­breuses et ne sont pro­ba­ble­ment pas encore toutes révé­lées. L’avenir est plein de pro­messes et beau­coup d’entre elles seront diphasiques. 

La réduc­tion de la consom­ma­tion hydrau­lique est une clé de la dimi­nu­tion de la taille de nos engins-pompes

Photographie Caporal-chef Nicolas Breiner
LA RÉVOLUTION DIPHASIQUE (épi­sode 1) — Com­ment ça marche ?

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