DANS LE FEU DE L’ACTION — Double peine à Drancy !

Manon Peneaud —  — Modi­fiée le 15 juin 2023 à 02 h 56 

Retour d’inter — Mardi 6 janvier, 4 h 46. Le centre opérationnel de Champerret est prévenu d’un feu de pavillon à Drancy. Une visioconférence est effectuée avec le requérant pour avoir de plus amples renseignements. La toiture est en proie aux flammes. Il s’agit de deux interventions en même temps. Il faut faire vite…

Le départ nor­mal tire du lit les sol­dats du feu de la caserne de Dran­cy. Ils des­cendent rapi­de­ment au poste de veille opé­ra­tion­nelle pour connaître le motif et le lieu de l’intervention. Le feu de pavillon est à l’extrémité de leur sec­teur. Un four­gon pompe tonne léger (FPTL), une échelle pivo­tante auto­ma­tique (EPA), un engin de pre­mier secours (PS) et une VL avec à son bord l’adjudant Antoine Tes­ta, com­man­dant des opé­ra­tions de secours, partent du centre de secours Dran­cy. À mi-par­cours, au détour d’un rond-point, les hommes pré­sents dans le PS aper­çoivent au loin une colonne de fumée cou­plée à des lueurs oran­gées. « Quand nous aper­ce­vons un panache de fumée, il y a tou­jours une part d’excitation, confie le capo­ral-chef Fabien Lefebvre, chef d’équipe du PS. Mais la concen­tra­tion reprend rapi­de­ment le des­sus. Il faut res­ter pro­fes­sion­nel. » L’engin peine à arri­ver à des­ti­na­tion tant le sta­tion­ne­ment est anar­chique dans le quar­tier. Il par­vient fina­le­ment en pre­mier sur les lieux. Les pom­piers ont à peine le temps de des­cendre du camion qu’une fuite de gaz enflam­mée sur­vient. Les flammes atteignent rapi­de­ment le deuxième étage de la façade du pavillon et contrastent avec la pénombre hiver­nale. Au même moment, l’adjudant Tes­ta arrive au rond-point. Le panache de fumée est désor­mais plus intense. Le sous-offi­cier com­prend que le pavillon de 60 m² est tota­le­ment embra­sé et que la toi­ture est sans doute percée…

Le temps de vul­né­ra­bi­li­té. Les flammes ont réveillé les voi­sins. À l’arrivée des pom­piers sur les lieux du sinistre, de nom­breux badauds sont pré­sents. Heu­reu­se­ment, ren­sei­gne­ments pris, il s’avère que le pavillon est, pour l’heure, inha­bi­té. Les sol­dats du feu éta­blissent avec la police un péri­mètre de sécu­ri­té. « Les badauds sont par­ti­cu­liè­re­ment pré­sents et insis­tants, explique l’adjudant Tes­ta. Il faut trou­ver un juste milieu entre les faire recu­ler dans l’intérêt de leur propre sécu­ri­té, sans pour autant les brus­quer, car ils consti­tuent une source d’information impor­tante pour les chefs d’agrès. » Au vu de l’intensité du feu et n’ayant aucun sau­ve­tage à réa­li­ser en urgence à cet ins­tant, les pom­piers attendent l’arrivée des moyens hydrau­liques pour s’engager dans le bâti­ment. En effet, le dan­ger peut être impor­tant. Il ne faut pas prendre de risques infon­dés, ni accor­der une seule seconde au « temps de vul­né­ra­bi­li­té ». Cette période durant laquelle les inter­ve­nants réa­lisent des mis­sions sans qu’un moyen hydrau­lique ne soit en manœuvre. Seules des opé­ra­tions de sau­ve­tage réa­li­sées sur ordre auto­risent l’engagement de pom­piers durant ce laps de temps.

Un feu de pavillon prend feu suite à une fuite de gaz.

Besoin de ren­forts. À cinq heures, le com­man­dant des opé­ra­tions de secours requiert plus de moyens pour com­plé­ter le dis­po­si­tif hydrau­lique : « Je demande un engin pompe, une camion­nette de réserve d’air com­pri­mé et ren­for­ce­ment gaz de France d’urgence ». Les deux lances en ren­fort per­mettent de lut­ter contre la pro­pa­ga­tion du sinistre aux bâti­ments voi­sins et d’assurer la pro­tec­tion des sapeurs-pom­piers.
Pour le capo­ral-chef Lefebvre, sa pre­mière mis­sion est d’établir une lance afin d’enrayer les pro­pa­ga­tions liées à la fuite de gaz enflam­mée. Cette der­nière est inter­ve­nue suite au feu à l’intérieur du pavillon. Le rayon­ne­ment de la cha­leur a fait fondre la cana­li­sa­tion de gaz et le cof­fret de gaz situé devant la mai­son, ce qui a pro­vo­qué la fuite. « C’est plu­tôt une inter­ven­tion aty­pique, car en temps nor­mal, les fuites de gaz enflam­mées inter­viennent suite à un feu de véhi­cule en façade ou de pou­belles » com­mente l’adjudant Tes­ta. Les sol­dats du feu doivent faire face à deux inter­ven­tions en une : la fuite de gaz enflam­mée et le feu de pavillon qui com­porte un risque de pro­pa­ga­tion aux bâti­ments voisins.

Assu­rer la sécu­ri­té. En tant que chef d’équipe, le capo­ral-chef Lefebvre doit garan­tir la sécu­ri­té de son ser­vant : « Il y avait des fils élec­triques fon­dus sur la chaus­sée. Je me dois de pas­ser des consignes à mon ser­vant concer­nant les risques élec­triques ». Du côté de l’adjudant Tes­ta, la dif­fi­cul­té réside dans la fuite de gaz enflam­mée. Il faut lut­ter contre les pro­pa­ga­tions sans souf­fler la fuite. En effet, cela per­met d’éviter de répandre des poches de gaz et, par consé­quent, de limi­ter le risque d’explosion. Pour arrê­ter la fuite, deux pom­piers munis de lances entourent un employé GRDF. Ce der­nier, une fois le bar­rage loca­li­sé, coupe le gaz et attend que la flamme soit bien dimi­nuée pour la souf­fler à l’aide d’un extinc­teur, puis la col­mate. Grâce à cette pro­cé­dure, la fuite de gaz enflam­mée est rapi­de­ment maî­tri­sée. À l’intérieur du pavillon, l’incendie a pro­vo­qué l’effondrement du pre­mier étage. Les pom­piers uti­lisent des gaffes pour pro­gres­ser en sécu­ri­té et atta­quer le feu. Dif­fi­cile pour eux de se repé­rer, tant la fumée est intense. Pour le com­man­dant des opé­ra­tions de secours, la sécu­ri­té de ses hommes est pri­mor­diale. Des rota­tions ont été mises en place, dans une zone défi­nie, pour que les pom­piers puissent se recon­di­tion­ner, chan­ger les bou­teilles d’air ou se réhy­dra­ter. « Si on laisse quelqu’un se repo­ser un peu et se réhy­dra­ter, il y a moins de chance qu’il lui arrive quelque chose après », exprime l’adjudant Tes­ta. Une idée très répan­due au 1er grou­pe­ment d’incendie et de secours. Depuis deux ans, des for­ma­tions sur le fac­teur humain opé­ra­tion­nel sont dis­pen­sées. L’adjudant fait d’ailleurs par­tie des ani­ma­teurs, tout comme le chef d’agrès du PS.

Déblai et dégar­nis­sage. À 6 h 22, le feu est éteint et la fuite de gaz est arrê­tée. La phase de déblai et dégar­nis­sage peut débu­ter. Il s’agit tou­jours de la par­tie la plus longue lors d’une inter­ven­tion de cette enver­gure. C’est lors de cette période qu’il faut redou­bler de vigi­lance. En effet, la phase active étant ter­mi­née après l’extinction, une baisse d’attention peut se faire res­sen­tir. « Ce n’est pas parce que le feu est éteint que le risque d’accident n’existe pas », nous rap­pelle l’adjudant Tes­ta. Pen­dant le déblaie­ment, la camé­ra ther­mique per­met de sur­veiller les points chauds. Cer­taines tuiles sont dégar­nies pour véri­fier qu’il n’y ait pas de nou­veaux foyers. Durant plus de trois heures, les pom­piers vont ratis­ser le pavillon pour être cer­tains qu’aucune reprise de feu n’est pos­sible. À l’issue de cette phase, l’adjudant Tes­ta et ses hommes peuvent souf­fler. Le com­man­dant des opé­ra­tions de secours prend une der­nière fois sa radio à 9 h 21 : « Péri­mètre de sécu­ri­té lais­sé à la dis­po­si­tion de la police. Mon­sieur l’adjoint au maire de la ville de Dran­cy et offi­cier de police judi­ciaire pré­sen­tés à 8 heures. Déblai, dégar­nis­sage, recon­nais­sances et inter­ven­tion terminés » .

L’ŒIL DE LA SECTION DOCTRINE RETEX

Neutraliser une fuite de gaz enflammée

La fuite de gaz enflammée sur le réseau de distribution est une intervention particulière qui implique une très bonne coordination entre les sapeurs-pompiers de Paris et GRDF, notre partenaire opérationnel principal sur ce type d’opération.

La col­la­bo­ra­tion, dès l’appel des secours, par la mise en œuvre de la Pro­cé­dure Gaz Ren­for­cée (PGR), puis sur le ter­rain afin de neu­tra­li­ser le risque gaz, est par­ti­cu­liè­re­ment impor­tante. C’est un tra­vail « inter­ser­vices » qui est abor­dé dans la doc­trine opé­ra­tion­nelle, mais éga­le­ment lors des dif­fé­rentes for­ma­tions et des séances de main­tien des acquis orga­ni­sées au pro­fit des centres de secours. La Bri­gade réa­lise envi­ron une dizaine d’opérations de ce type par an, prin­ci­pa­le­ment occa­sion­nées par des feux sur la voie publique (véhi­cules ou pou­belles) et plus excep­tion­nel­le­ment par des acci­dents ou des travaux.

Sur inter­ven­tion pour fuite de gaz enflam­mée, la res­pon­sa­bi­li­té géné­rale et plus par­ti­cu­liè­re­ment la pro­tec­tion des per­sonnes, des biens et de l’environnement (immeubles, pavillons, caves…) appar­tient aux sapeurs-pom­piers (COS). L’effort est alors por­té sur la lutte contre la pro­pa­ga­tion engen­drée par la flamme et le rayon­ne­ment ther­mique. En prin­cipe, il n’y a pas de risque d’explosion tant que le gaz brûle, mais le COS met en œuvre toutes les mesures de sau­ve­garde appli­cables aux inter­ven­tions pour fuite de gaz.
Sauf en cas d’absolue néces­si­té, la fuite enflam­mée ne doit pas être éteinte. Par consé­quent, il convient de prendre garde à ne pas souf­fler la flamme en manœu­vrant les moyens hydrau­liques jusqu’à ce que la conduite soit neu­tra­li­sée. Dans cer­tains cas excep­tion­nels, et sous réserve de condi­tions bien défi­nies, il peut être néces­saire de pro­cé­der à l’extinction de la fuite alors même que cette der­nière n’est pas encore arrê­tée. Il s’agira alors d’accompagner l’agent GRDF en l’encadrant de sapeurs-pom­piers munis de lances en jet dif­fu­sé de pro­tec­tion jusqu’à ce qu’il soit suf­fi­sam­ment près de la flamme pour la souf­fler afin de neu­tra­li­ser la fuite.
Les contraintes aux­quelles ont été confron­tés les secours de la Bri­gade lors de l’intervention à Dran­cy ont été par­ti­cu­lières puisque c’est le feu de pavillon qui a engen­dré la fuite de gaz enflam­mée. Ain­si, dans un pre­mier temps, les sapeurs-pom­piers de Paris ont lut­té contre le feu de pavillon tout en pro­té­geant la flamme de la fuite de gaz enflam­mée afin de ne pas l’éteindre. Puis, dans un second temps, la pro­cé­dure com­bi­née per­met­tant à l’agent GRDF de souf­fler la flamme et de pro­cé­der au col­ma­tage a été appliquée. 

texte Commandant Patrick Parayre — photographie Caporal Cyrille Nicolas

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