
Retour d’inter — Jeudi 22 mai, il est 10 heures. Le quartier est calme, les oiseaux sifflent et le soleil se faufile à travers les nuages. Pourtant, derrière cette quiétude apparente, un drame se joue en silence. Dans un appartement traversant couve un incendie. Il sera déjà très développé à l’arrivée des pompiers.
Un homme est assis sur le rebord de la fenêtre au onzième étage, prêt à sauter. Très agité, il est enveloppé par une opaque fumée noire. Les deux fenêtres de l’appartement dégagent d’épais panaches. De l’autre côté de l’immeuble, le balcon est totalement embrasé. « Je me demande comment aller le chercher », commence l’adjudant-chef Cyril Olivier, chef de garde au centre de secours Boulogne. Trois possibilités s’offrent à lui : demander à l’un de ses hommes de grimper les onze étages à l’aide de l’échelle à crochets, utiliser les escaliers jusqu’au dixième étage puis se servir de l’échelle à crochets pour monter jusqu’au onzième étage ou, dernière solution, extraire la victime par les communications existantes. L’utilisation de l’échelle à crochets se révèle beaucoup trop dangereuse. « Là où est la victime, il n’y a que des fenêtres, aucun balcon. Cela est beaucoup trop dangereux d’y engager mes hommes », assure l’adjudant-chef Olivier, premier commandant des opérations de secours (COS).
Une pression d’eau trop faible. Arrivés à bout des onze étages, les secours tombent face à une porte blindée fumante et fermée. « Il y a urgence puisque, pour l’instant, nous avons la notion d’une personne à sauver. Je demande l’établissement d’une lance et on casse la porte », continue le chef de garde de la 16e compagnie. Le feu est trop intense et empêche la sortie des occupants. L’entrée des pompiers dans l’appartement est, elle aussi, bloquée en raison de difficultés d’alimentation d’eau dues à des pertes de charge. Construit sur une dalle en béton, l’immeuble n’est pas accessible aux moyens élévateurs aériens. Les camions sont donc stationnés sur la voie publique, soit quasiment au niveau ‑2, augmentant encore davantage la distance que l’eau doit parcourir dans la colonne sèche. Le conducteur pousse alors la pompe pour augmenter la pression de l’eau 40 mètres plus haut, au onzième étage. « Nous étions à 18⁄20 bars, ce qui est vraiment très élevé. Nous prenions un risque calculé pour que les équipes puissent réaliser les sauvetages et éteindre l’incendie au plus vite. Il fallait juste veiller à ce que la colonne sèche et les tuyaux n’explosent pas », explique le capitaine Clément Molineau, deuxième COS.
« À 40 MÈTRES DU SOL,
NOUS AVIONS D’ÉNORMES PERTES DE CHARGE »
Un moment critique. Un premier binôme progresse dans l’appartement et découvre immédiatement une femme carbonisée dans la cuisine. « Mes hommes continuent de chercher d’éventuelles victimes. Ce n’est pas logique d’avoir vu une personne consciente à la fenêtre quelques minutes plus tôt et qu’elle ait déjà brûlée », analyse le commandant d’unité (CDU) de la 16e compagnie. Mais, difficile d’avancer parmi cet enchevêtrement de détritus faisant penser au syndrome de Diogène. Le potentiel calorifique de l’appartement est très important, la chaleur extrême et l’accessibilité très réduite. Il est difficile d’ouvrir les portes et de se déplacer dans ces 80 m2 tant il y a de choses accumulées. Le feu est en mesure de s’alimenter en continu, allongeant considérablement le temps nécessaire à son extinction. « Si la colonne sèche avait cédé à ce moment-là, cela aurait eu une issue dramatique. Les pompiers auraient été bloqués dans le feu avec les victimes, sans lance donc sans eau, dans un puissant incendie. On était sur le fil du rasoir tout au long de l’intervention, mais la coordination entre les équipes était parfaite », poursuit le capitaine Molineau.
Un binôme tient le feu avec une lance et protège les pompiers chargés de trouver les occupants. Une seconde victime est retrouvée dans sa chambre. Consciente, mais intoxiquée par les fumées et complètement désorientée, elle est équipée d’une cagoule d’évacuation avant d’être extraite par la cage d’escalier. Une fois sortis, les binômes se réengagent et découvrent une troisième victime sur le sol de sa chambre, inconsciente. Au même moment, une division par l’extérieur est établie au dixième étage pour pallier une éventuelle rupture de la colonne sèche. Finalement, seule une deuxième lance sera utilisée. « Les propagations au douzième étage sont rapidement maîtrisées par les pompiers qui descendent ensuite prêter main-forte à ceux de l’étage inférieur. Le but est de gagner du temps et de ne pas établir de troisième lance en optimisant l’utilisation de la seconde », précise le deuxième COS.
Une fois l’incendie éteint, c’est au chef de section du groupe recherche et sauvetage en milieu urbain (RSMU) et à l’architecte de sécurité d’intervenir. La dalle en béton située entre le onzième et le douzième étage s’est affaissée, créant des fêlures sur les murs porteurs du logement. Les cloisons de l’appartement du douzième étage sont en effet suspendues dans le vide. « La chaleur et le potentiel calorifique de l’appartement étaient tel que les fers ont été portés au rouge faisant flancher la dalle », explique le CDU de la 16e compagnie. « Ce sont des phénomènes classiques dans les feux de parc de stationnement couvert, mais très rares dans un appartement. C’est la première fois que je vois cela », ajoute l’adjudant-chef Olivier, fort de 25 ans d’expérience.
Le bon déroulement de l’intervention est la réponse à la préparation opérationnelle réalisée trois jours plus tôt par la compagnie. Une course d’orientation avait été réalisée dans la cité où l’incendie a eu lieu dans l’objectif de mieux connaître ce quartier populaire de Boulogne. « Nous connaissions donc bien le quartier et les bâtiments ainsi que les emplacements des colonnes sèches et des barrages de gaz. Toutes les connaissances étaient fraîches. C’est un atout non négligeable dans la réussite de cette intervention », souligne le premier COS.
Un lourd constat. Désormais sous arrêté, l’immeuble a été évacué puis interdit aux résidents. Un étaiement du huitième au onzième étage a été réalisé en urgence afin de rouvrir l’accès aux 54 familles y habitant. Ce drame a touché une famille de quatre personnes et a coûté la vie à une femme. Les deux autres victimes ont respectivement été évacuées en urgence relative et en urgence absolue. La quatrième personne était absente au moment des faits
« ILS PEUVENT ÊTRE
SATISFAITS DE CE QU’ILS ONT FAIT »