RETOUR D’INTER’ — Feu d’appartement au onzième étage

You­na Lan­dron —  — Modi­fiée le 26 août 2025 à 05 h 09 

Retour d’inter — Jeudi 22 mai, il est 10 heures. Le quartier est calme, les oiseaux sifflent et le soleil se faufile à travers les nuages. Pourtant, derrière cette quiétude apparente, un drame se joue en silence. Dans un appartement traversant couve un incendie. Il sera déjà très développé à l’arrivée des pompiers.

Un homme est assis sur le rebord de la fenêtre au onzième étage, prêt à sau­ter. Très agi­té, il est enve­lop­pé par une opaque fumée noire. Les deux fenêtres de l’appartement dégagent d’épais panaches. De l’autre côté de l’immeuble, le bal­con est tota­le­ment embra­sé. « Je me demande com­ment aller le cher­cher », com­mence l’adjudant-chef Cyril Oli­vier, chef de garde au centre de secours Bou­logne. Trois pos­si­bi­li­tés s’offrent à lui : deman­der à l’un de ses hommes de grim­per les onze étages à l’aide de l’échelle à cro­chets, uti­li­ser les esca­liers jusqu’au dixième étage puis se ser­vir de l’échelle à cro­chets pour mon­ter jusqu’au onzième étage ou, der­nière solu­tion, extraire la vic­time par les com­mu­ni­ca­tions exis­tantes. L’utilisation de l’échelle à cro­chets se révèle beau­coup trop dan­ge­reuse. « Là où est la vic­time, il n’y a que des fenêtres, aucun bal­con. Cela est beau­coup trop dan­ge­reux d’y enga­ger mes hommes », assure l’adjudant-chef Oli­vier, pre­mier com­man­dant des opé­ra­tions de secours (COS).

Une pres­sion d’eau trop faible. Arri­vés à bout des onze étages, les secours tombent face à une porte blin­dée fumante et fer­mée. « Il y a urgence puisque, pour l’instant, nous avons la notion d’une per­sonne à sau­ver. Je demande l’établissement d’une lance et on casse la porte », conti­nue le chef de garde de la 16e com­pa­gnie. Le feu est trop intense et empêche la sor­tie des occu­pants. L’entrée des pom­piers dans l’appartement est, elle aus­si, blo­quée en rai­son de dif­fi­cul­tés d’alimentation d’eau dues à des pertes de charge. Construit sur une dalle en béton, l’immeuble n’est pas acces­sible aux moyens élé­va­teurs aériens. Les camions sont donc sta­tion­nés sur la voie publique, soit qua­si­ment au niveau ‑2, aug­men­tant encore davan­tage la dis­tance que l’eau doit par­cou­rir dans la colonne sèche. Le conduc­teur pousse alors la pompe pour aug­men­ter la pres­sion de l’eau 40 mètres plus haut, au onzième étage. « Nous étions à 1820 bars, ce qui est vrai­ment très éle­vé. Nous pre­nions un risque cal­cu­lé pour que les équipes puissent réa­li­ser les sau­ve­tages et éteindre l’incendie au plus vite. Il fal­lait juste veiller à ce que la colonne sèche et les tuyaux n’explosent pas », explique le capi­taine Clé­ment Moli­neau, deuxième COS.

« À 40 MÈTRES DU SOL,
NOUS AVIONS D’ÉNORMES PERTES DE CHARGE »

Un moment cri­tique. Un pre­mier binôme pro­gresse dans l’appartement et découvre immé­dia­te­ment une femme car­bo­ni­sée dans la cui­sine. « Mes hommes conti­nuent de cher­cher d’éventuelles vic­times. Ce n’est pas logique d’avoir vu une per­sonne consciente à la fenêtre quelques minutes plus tôt et qu’elle ait déjà brû­lée », ana­lyse le com­man­dant d’unité (CDU) de la 16e com­pa­gnie. Mais, dif­fi­cile d’avancer par­mi cet enche­vê­tre­ment de détri­tus fai­sant pen­ser au syn­drome de Dio­gène. Le poten­tiel calo­ri­fique de l’appartement est très impor­tant, la cha­leur extrême et l’accessibilité très réduite. Il est dif­fi­cile d’ouvrir les portes et de se dépla­cer dans ces 80 m2 tant il y a de choses accu­mu­lées. Le feu est en mesure de s’alimenter en conti­nu, allon­geant consi­dé­ra­ble­ment le temps néces­saire à son extinc­tion. « Si la colonne sèche avait cédé à ce moment-là, cela aurait eu une issue dra­ma­tique. Les pom­piers auraient été blo­qués dans le feu avec les vic­times, sans lance donc sans eau, dans un puis­sant incen­die. On était sur le fil du rasoir tout au long de l’intervention, mais la coor­di­na­tion entre les équipes était par­faite », pour­suit le capi­taine Moli­neau.
 
Un binôme tient le feu avec une lance et pro­tège les pom­piers char­gés de trou­ver les occu­pants. Une seconde vic­time est retrou­vée dans sa chambre. Consciente, mais intoxi­quée par les fumées et com­plè­te­ment déso­rien­tée, elle est équi­pée d’une cagoule d’évacuation avant d’être extraite par la cage d’escalier. Une fois sor­tis, les binômes se réen­gagent et découvrent une troi­sième vic­time sur le sol de sa chambre, incons­ciente. Au même moment, une divi­sion par l’extérieur est éta­blie au dixième étage pour pal­lier une éven­tuelle rup­ture de la colonne sèche. Fina­le­ment, seule une deuxième lance sera uti­li­sée. « Les pro­pa­ga­tions au dou­zième étage sont rapi­de­ment maî­tri­sées par les pom­piers qui des­cendent ensuite prê­ter main-forte à ceux de l’étage infé­rieur. Le but est de gagner du temps et de ne pas éta­blir de troi­sième lance en opti­mi­sant l’utilisation de la seconde », pré­cise le deuxième COS.
 
Une fois l’incendie éteint, c’est au chef de sec­tion du groupe recherche et sau­ve­tage en milieu urbain (RSMU) et à l’architecte de sécu­ri­té d’intervenir. La dalle en béton située entre le onzième et le dou­zième étage s’est affais­sée, créant des fêlures sur les murs por­teurs du loge­ment. Les cloi­sons de l’appartement du dou­zième étage sont en effet sus­pen­dues dans le vide. « La cha­leur et le poten­tiel calo­ri­fique de l’appartement étaient tel que les fers ont été por­tés au rouge fai­sant flan­cher la dalle », explique le CDU de la 16e com­pa­gnie. « Ce sont des phé­no­mènes clas­siques dans les feux de parc de sta­tion­ne­ment cou­vert, mais très rares dans un appar­te­ment. C’est la pre­mière fois que je vois cela », ajoute l’adjudant-chef Oli­vier, fort de 25 ans d’expérience.

Le bon dérou­le­ment de l’intervention est la réponse à la pré­pa­ra­tion opé­ra­tion­nelle réa­li­sée trois jours plus tôt par la com­pa­gnie. Une course d’orientation avait été réa­li­sée dans la cité où l’incendie a eu lieu dans l’objectif de mieux connaître ce quar­tier popu­laire de Bou­logne. « Nous connais­sions donc bien le quar­tier et les bâti­ments ain­si que les empla­ce­ments des colonnes sèches et des bar­rages de gaz. Toutes les connais­sances étaient fraîches. C’est un atout non négli­geable dans la réus­site de cette inter­ven­tion », sou­ligne le pre­mier COS.
 
Un lourd constat. Désor­mais sous arrê­té, l’immeuble a été éva­cué puis inter­dit aux rési­dents. Un étaie­ment du hui­tième au onzième étage a été réa­li­sé en urgence afin de rou­vrir l’accès aux 54 familles y habi­tant. Ce drame a tou­ché une famille de quatre per­sonnes et a coû­té la vie à une femme. Les deux autres vic­times ont res­pec­ti­ve­ment été éva­cuées en urgence rela­tive et en urgence abso­lue. La qua­trième per­sonne était absente au moment des faits

« ILS PEUVENT ÊTRE
SATISFAITS DE CE QU’ILS ONT FAIT »

Photos CCH Marc Loukachine

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