
Retour d’inter — Un incendie complexe et difficile d’accès. La face avant du bâtiment sinistré est accessible par un unique chemin. Pour atteindre la face arrière, il est nécessaire de contourner le feu via deux rues adjacentes. Le tour du feu s’étend sur une longueur de près de 500 mètres…
ça ronfle. Les flammes sont hautes, le risque de propagation aux entrepôts mitoyens est très important. L’intensité du sinistre n’a pas été anticipée en raison du peu d’informations dont disposait le centre opérationnel. Le départ normal de Charonne se retrouve donc seul sur les lieux de l’intervention. Les accès au sinistre sur ce bâtiment très enclavé sont très compliqués. Le chef de garde incendie du centre de secours Charonne, le sergent-chef Christophe Jamonneau, doit prendre d’emblée une décision capitale : faire le tour du feu complet, mais laisser les flammes gagner du terrain pendant encore de longues minutes, ou s’occuper en priorité de la face avant. Le choix est fait. « Je ne peux pas me permettre de faire le tour complet du feu. On perdrait de précieuses minutes », commence le chef Jamonneau, premier arrivé sur les lieux.
Instantanément, les conducteurs d’engins-pompes s’activent pour alimenter leurs camions en eau. Seuls deux hydrants sont marqués comme disponibles dans cette avenue : un à chaque extrémité. Dans le doute, un des conducteurs teste l’hydrant le plus accessible inventorié « indisponible ». Bonne surprise : il est finalement alimenté. Cette manoeuvre a permis une utilisation rapide des lances. Les deux premières lances, une grande puissance et une petite, tenues par les équipes du premier secours Charonne, ont une action déterminante sur le feu. « La lance grande puissance abat les flammes sur le foyer principal et la petite lance enraye les propagations vers un bâtiment connexe, un ancien pavillon squatté », décrit le chef Jamonneau. Très vite, le renfort incendie arrive, accompagné de l’officier de garde compagnie.
Une situation défavorable. « Nous avons rencontré quelques difficultés pour comprendre la nature de l’incendie. Au départ, nous partions pour feu d’entrepôt. Finalement, il y avait des installations précaires, un marché de ferraille avec différents stands et des entrepôts non touchés par les flammes sur les côtés », enchaîne le lieutenant Sébastien Chouquet, deuxième commandant des opérations de secours (COS). L’entrepôt le plus menacé, au sud, est protégé par un mur en béton, un véritable coupe-feu. De plus, à cette heure avancée de la nuit, les entrepôts mitoyens sont vides… mais les rideaux de fer baissés compliquent les reconnaissances.
À cela s’ajoute le froid, laissant les fumées et les gaz chauds au ras du sol. Les températures très basses, voire négatives, gèlent le matériel des pompiers et les pales du drone. « On se serait presque cru au Canada ! Certaines bouteilles d’ARI ont gelé, alors pour réchauffer notre matériel, une zone de remise en condition du personnel chauffée a été mise en place », racontent conjointement le lieutenant Chouquet et le sergent-chef Jamonneau.
Les fumées en partie basse laissaient croire à d’autres propagations rajoutant de la complexité à l’intervention. « Les bâtiments sont désaffectés, il y a beaucoup de gravats. Il faut réussir à se situer parce que le feu est en forme de L. Une réserve de magasin a brûlé, directement mitoyenne avec les stands, eux aussi réduits en cendres. Des constructions qui ne nous aident pas, car le feu a vite fait de grignoter ces constructions insalubres », explique le chef Jamonneau.
Une montée en puissance indispensable. La face arrière du bâtiment préoccupe tout le monde. Très vite, le lieutenant Chouquet décide de rediriger un engin-pompe et une échelle arrivant bientôt sur les lieux, afin de l’aider à avoir une vision complète du feu. Ils seront ses yeux. « On sait que le feu avance. Nous devons impérativement savoir où il est, afin de mettre en place les moyens nécessaires pour l’arrêter », continue le second COS. L’utilisation d’un fourgon mousse grande puissance n’est pas possible en raison de l’imbrication des bâtiments, tandis qu’un bras élévateur aérien essaye, pendant une trentaine de minutes, d’éteindre l’incendie. « Au début, les lances ne sont pas efficaces, car nos secteurs ne sont pas armés à 100 %. La baisse du foyer principal n’est donc pas encore significative, mais on sait que la montée en puissance du dispositif va abattre les flammes », complète le lieutenant Chouquet. Des secteurs sont alors créés de manière à coordonner le volume conséquent d’engins à venir. Au total, trois secteurs. Un sur chaque face à l’exception du côté sud protégé par l’épais mur de béton. Le chef Jamonneau est repositionné chef de secteur de la face qu’il connaît le mieux, la façade principale, avenue Gallieni. Côté nord, les pompiers réussissent à entrer dans une cour leur donnant accès au front de flammes sur l’arrière.
« Une fois que les secteurs sont créés, le dispositif de moyens hydrauliques monte en puissance », explique le lieutenant Chouquet. Des établissements de longue distance sont rapidement créés en complément du robot d’extinction. Utilisé au niveau de la face avant, « il nous a grandement aidés en allant au cœur du foyer. Son action, associée à sa lance canon, a été une vraie plus-value sur cette intervention, commente le chef Jamonneau. Il nous a permis de moins exposer nos porte-lances aux explosions de bouteilles de gaz ». Au contact des flammes, le robot a réalisé une grande partie de l’extinction avant de laisser sa place. « En raison de l’enchevêtrement de pièces métalliques, il n’était plus aussi efficace qu’au départ, alors il a été remplacé par quatre lances à main pour améliorer la maniabilité et aller chercher les petits foyers résiduels », précise le chef.
Des lignes d’arrêt ont également été créées sur les faces non visibles depuis l’accès principal. « Nous avons placé des lances sur le secteur « courette » et sur la face arrière. Elles ont permis d’enrayer les propagations et de réellement stopper les flammes », rapporte le deuxième COS.
Le dispositif, bien articulé, n’a pas eu besoin d’être réorganisé, faisant ainsi gagner du temps aux pompiers sur place. Les points d’attaque, le robot et les lances ont été efficaces, limitant ainsi le feu à la partie marché. En revanche, « les fumées maintenues en partie basse nous ont obligés à réarticuler notre dispositif au poste de commandement. Nous avons dû mettre des masques FFP2 à proximité, notamment du véhicule poste de commandement, pour limiter la respiration des fumées stagnantes en raison d’un taux de particules élevées », lance le lieutenant Chouquet.