DANS LE FEU DE L’ACTION — Panique chez les voisins !

Jean Flye —  — Modi­fiée le 27 avril 2023 à 02 h 41 

Retour d’inter — Le 28 décembre 2022 à Aulnay-sous-Bois, un départ de feu a lieu dans un foyer ADOMA a quelques pas du centre de secours. Sans cette proximité immédiate et sans l’intervention précoce et salvatrice de l’équipage du VSAV, le bilan aurait pu être bien pire.

Faites par­tir les secours. Il est envi­ron 22 h 20 lorsque le capo­ral-chef Pierre, mili­taire du rang expé­ri­men­té du centre de secours Aul­nay, décale avec son équi­page au VSAV pour une urgence. Il témoigne. « Nous sor­tons de la caserne et tour­nons à droite. Lorsque je tourne la tête, j’aperçois le foyer ADOMA, voi­sin direct du centre de secours. Au niveau du troi­sième étage, une fumée noire sort d’une dizaine de fenêtres. On voit bien que le feu est déjà déve­lop­pé ». Le chef d’agrès du VSAV fait sta­tion­ner son engin à une cin­quan­taine de mètres du bâti­ment et demande à son équi­page de le suivre. Tout en rejoi­gnant la zone il passe son mes­sage, « du capo­ral-chef Pierre. Faites par­tir les secours pour feu au 158, route de Mitry à Aul­nay-sous-Bois ». Il demande éga­le­ment le com­plé­ment de départ pour feu dans un éta­blis­se­ment réper­to­rié. Il se sou­vient. « Lorsque j’arrive devant la façade, il y a un homme au troi­sième étage qui vient de pas­ser par la fenêtre et qui est sus­pen­du par les mains. Il a les pieds posés sur un rebord en plas­tique très fin. La cha­leur lui brûle les mains, les flammes com­mencent à sor­tir et les badauds en bas lui conseillent de sau­ter. Moi, je lui dis tout de suite de ne pas le faire. J’indique à l’un de mes équi­piers de gar­der un contact visuel avec lui et de l’empêcher de sau­ter autant qu’il peut. » Ce jour-là, l’équipage du VSAV com­prend un qua­trième homme, l’aspirant Leconte qui est en fin de for­ma­tion en tant que chef d’agrès VSAV, une aubaine quand ce type d’événement survient.

Tour du feu. Le capo­ral-chef connaît le bâti­ment, il sait à peu près com­ment il est confi­gu­ré. Un immeuble de quatre étages en forme d’étoile à trois branches avec, au centre, une cage d’escalier encloi­son­née en coli­ma­çon. Le centre de sui­vi opé­ra­tion­nel lui rend compte par télé­phone que le départ nor­mal d’Aulnay vient d’être son­né. Il réa­lise alors un tour du feu en lon­geant le bâti­ment du côté oppo­sé au centre de secours tout en loca­li­sant les organes de cou­pure de gaz. Ce soir-là, il y a un fort vent qui pousse les fumées le long de la façade. Le capo­ral-chef Pierre s’engouffre dans le bâti­ment « Quand j’entre dans la cage d’escalier cen­trale, une cen­taine de per­sonnes est en train d’évacuer, valises à la main. J’essaie de gérer le flux, puis je monte au deuxième étage qui est déjà très enfu­mé. Je conti­nue jusqu’au troi­sième, là, la porte palière est entrou­verte, toute la fumée s’engouffre dans la cage d’escalier. N’ayant aucune visi­bi­li­té, je redes­cends. » Le capo­ral-chef Pierre entend les ren­forts qui arrivent, il leur ouvre l’accès à la pro­prié­té. « J’interpelle le chef d’agrès de l’échelle aérienne et je lui signi­fie qu’il y a un sau­ve­tage à réa­li­ser au troi­sième étage. » En un rien de temps, l’échelle se déploie. La per­sonne sus­pen­due se jette de déses­poir sur le der­nier éche­lon, le chef d’agrès vient à son secours et l’aide à des­cendre. Elle est tout de suite prise en charge par les deux équi­piers du capo­ral-chef Pierre.

« un homme au troi­sième étage vient de pas­ser par la fenêtre et est sus­pen­du par les mains »

Ren­fort habi­ta­tion. Il part à la ren­contre de l’adjudant Leguillon, chef de garde incen­die du jour au centre de secours d’Aulnay. « Je rends compte à l’adjudant Leguillon que je suis arri­vé le pre­mier, qu’il s’agit d’un feu de niveau au troi­sième étage et qu’un sau­ve­tage a déjà été réa­li­sé au moyen de l’échelle pivo­tante auto­ma­tique. » L’adjudant Leguillon lui demande de lui mon­trer où se trouve le sinistre. Le capo­ral-chef l’emmène avec l’équipage du pre­mier secours jusque dans la cage d’escalier cen­trale. À son tour, l’adjudant Leguillon relate les faits. « Je demande à mon sous-offi­cier chef d’agrès du pre­mier secours de prendre à son compte l’attaque du feu à par­tir du troi­sième étage. Le feu est par­ti d’une chambre du foyer, les flammes sont sor­ties du volume et se pro­pagent dans les cir­cu­la­tions hori­zon­tales sur une qua­ran­taine de mètres par des gaines situées au-des­sus du faux pla­fond en bois ». Il est tout juste 22 h 29 lorsque le chef de garde redes­cend puis demande « ren­fort habi­ta­tion » à la radio. À peine arri­vé en bas, le capo­ral-chef Pierre l’interpelle pour un second sau­ve­tage à entre­prendre. En effet, de l’autre côté de la façade, une autre per­sonne est aper­çue à la fenêtre du troi­sième étage. Elle est com­plè­te­ment blo­quée par les fumées et ne peut en aucun cas éva­cuer les lieux. Le capo­ral-chef Pierre revient alors cher­cher l’EPA et guide le conduc­teur. Le chef d’agrès de l’échelle pivo­tante auto­ma­tique sta­bi­lise son engin et déploie son agrès le long de la façade. La vic­time est loca­li­sée, puis éva­cuée. Le sau­ve­tage se ter­mine lorsque des voix venant du haut de la tour d’instruction du centre de secours se font entendre. Des mili­taires de garde et de repos observent la scène. Ils aper­çoivent une autre vic­time qui se mani­feste par la fenêtre d’une autre chambre. Ni une ni deux, le troi­sième sau­ve­tage est réa­li­sé au moyen de l’EPA. La vic­time com­plè­te­ment intoxi­quée par les fumées est extraite in extremis.

« Je prends le COS ». Le capi­taine Leduc, offi­cier de garde du jour, arrive très rapi­de­ment sur l’intervention. Il effec­tue le tour du feu puis fait un rapide point de situa­tion avec l’adjudant Leguillon. Le capi­taine prend le com­man­de­ment des opé­ra­tions de secours puis demande le ren­fort de quatre engins-pompes sup­plé­men­taires et d’un groupe médi­cal pour prendre en charge les vic­times intoxi­quées. Le bâti­ment compte plus de 300 chambres, les vic­times pour­raient être nom­breuses. Le capi­taine Leduc sec­to­rise le bâti­ment en quatre zones. La pre­mière com­prend le pre­mier et deuxième étage. La seconde zone se situe au troi­sième étage, la troi­sième zone gère le qua­trième étage et la der­nière zone est le sec­teur sani­taire. Les ren­forts arrivent au fur et à mesure, le capi­taine Leduc engage en recon­nais­sance ou à l’attaque du feu, les engins qui se pré­sentent un à un sur l’intervention.

Une remise comme PMA. « L’adjudant Leguillon me donne l’ordre de recher­cher un point de regrou­pe­ment des vic­times, nous raconte le capo­ral-chef Pierre. Après une rapide ana­lyse de l’environnement, j’estime que l’endroit le plus judi­cieux serait la remise du centre de secours. » Dans la caserne, les mili­taires sur place, qu’ils soient de repos ou de garde, pré­parent la remise. Ils ins­tallent des bancs, des chaises et tout ce qu’il faut pour prendre en charge les vic­times. Une chaîne humaine est mise en place pour l’évacuation des per­sonnes du foyer et pour les diri­ger vers le centre de secours. Le capo­ral-chef Pierre reste en charge de cette logis­tique jusqu’à la fin de l’intervention.

Feu éteint. L’extinction est longue et dif­fi­cile. Les porte-lances se retrouvent confron­tés très régu­liè­re­ment à de nou­velles reprises de feu. Les flammes se pro­pagent même jusqu’à l’étage supé­rieur mais sont rapi­de­ment éteintes par deux lances au qua­trième étage. À 23 h 20, le lieu­te­nant-colo­nel Dela­forge, offi­cier supé­rieur de garde du jour, prend à son tour le COS. Le feu ne sera décla­ré éteint qu’à 4 h 25.
Cet incen­die-là s’est révé­lé plu­tôt tech­nique. La dis­po­si­tion des chambres, les maté­riaux de construc­tion et le nombre éle­vé d’habitants (envi­ron 300) a com­pli­qué l’intervention. Néan­moins, la proxi­mi­té du foyer avec le centre de secours a été un réel avan­tage pour mener cette opé­ra­tion du mieux pos­sible et limi­ter le bilan 

L’ŒIL DE LA SECTION DOCTRINE RETEX

ENGAGEMENT TOTAL

Les loge­ments-foyers pour tra­vailleurs font par­tie de l’environnement opé­ra­tion­nel de la Bri­gade. Notre lan­gage com­mun opé­ra­tion­nel a même adop­té les noms de ces éta­blis­se­ments. De foyer SONACOTRAL en 1956 (SOcié­té NAtio­nale de COnstruc­tion de loge­ments pour les TRA­vailleurs Algé­riens), puis de foyer SONACOTRA à par­tir de 1960, ils ont été renom­més ADOMA depuis 2006. Ces bâti­ments sont consti­tués de locaux assu­jet­tis à la régle­men­ta­tion habi­ta­tion (des loge­ments, des uni­tés de vie assi­mi­lées à des loge­ments, des par­ties com­munes et des locaux de ser­vices comme les baga­ge­ries) et de ser­vices col­lec­tifs assi­mi­lables à la régle­men­ta­tion ERP (salles de réunion, salle de prières, salles de res­tau­rant, etc.). Cette double régle­men­ta­tion peut appor­ter une contra­dic­tion pour les occu­pants : éva­cua­tion vs confi­ne­ment. Les dis­po­si­tions construc­tives font que ces foyers peuvent ne com­por­ter qu’une seule cage d’escalier en fonc­tion de leur capa­ci­té d’accueil, les niveaux de cir­cu­la­tion peuvent être équi­pés de déclen­cheurs manuels d’alarme incen­die. Le bâti­ment peut éga­le­ment dis­po­ser de détec­teurs dans la cage d’escalier ou les cir­cu­la­tions hori­zon­tales per­met­tant de les désenfumer.

Les RETEX montrent que le sapeur-pom­pier de Paris pour­ra être confron­té à une situa­tion où ces dis­po­si­tifs de sécu­ri­té ne sont pas fonc­tion­nels (ferme-porte, alarme, recou­pe­ment entre les volumes, etc.) entraî­nant notam­ment l’envahissement rapide et total des locaux par les fumées et les gaz chauds engen­drés par un sto­ckage sou­vent impor­tant dans les chambres occu­pées. La règle géné­rale d’engagement est celle d’un feu d’immeuble d’habitation où sont menés, tou­jours simul­ta­né­ment et le plus rapi­de­ment pos­sible, l’attaque du sinistre, les sau­ve­tages, les mises en sécu­ri­té et les recon­nais­sances de la tota­li­té de l’établissement afin de com­plé­ter ces pre­mières actions. Le concept d’engagement du ren­fort habi­ta­tion peut être une réponse opé­ra­tion­nelle adap­tée face au nombre impor­tant d’occupants (sur-occu­pa­tion) et de la panique qui peut émer­ger de leur vulnérabilité

CDT Patrick Parayre

PORTFOLIO

Photos : CCH Soline Laplace


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