RETEX — Le MIN(E) des mauvais jours

Jean Flye —  — Modi­fiée le 9 février 2023 à 06 h 01 

Retour d’inter — Le 25 septembre 2022 vers midi, un incendie se déclare dans les halles Mandar, grossiste en fruits et légumes au marché d’intérêt national (MIN) de Rungis, le plus grand marché de produits frais au monde. 

En quelques chiffres, le MIN, c’est plus de 1 200 entre­prises répar­ties sur près de 234 hec­tares. Nuit et jour, le va-et-vient des camions est inces­sant. Le MIN dis­pose même d’un centre de secours pri­vé en son sein. Une de ses par­ti­cu­la­ri­tés est son réseau hydrau­lique sou­ter­rain. Celui-ci dis­pose d’un Bypass, per­met­tant de main­te­nir un maxi­mum de débit hydrau­lique dans les PI-BI sur une zone défi­nie spécifiquement.

Les secours se pré­sentent. Lorsqu’il arrive au péage du MIN de Run­gis (94), le ser­gent-chef Bon­homme découvre un gigan­tesque panache de fumée noire. Quelques minutes plus tôt, il était au foyer du centre de secours, canette de soda à la main avec l’ensemble de la garde. Il ne croyait pas si bien dire lorsqu’il lan­ça au chef du centre NRBC de Run­gis : « Je t’inviterai tout à l’heure sur ren­fort incen­die ! » car à peine vingt secondes plus tard, la sirène se met à hur­ler !
Le MIN est un site sen­sible, il fait par­tie des ETARE (éta­blis­se­ments réper­to­riés). Lorsqu’un feu ou une explo­sion a lieu dans un tel site, les secours y envoient un groupe ETARE. Ce jour-là, le module d’engins au départ se com­pose de trois engins-pompes, de l’échelle pivo­tante auto­ma­tique et du VSAV NRBC pro­ve­nant des centres de secours de Run­gis et de Bourg-la-Reine. Cet ensemble est com­man­dé par le capi­taine Jona­than Aba­die, com­man­dant la 22e com­pa­gnie et offi­cier de garde du jour.
Tour du feu. Le ser­gent-chef Bon­homme, chef d’agrès du FA 37 de Run­gis, est le pre­mier sur les lieux. À la radio, il apprend qu’en plus du module ETARE, un groupe incen­die com­plète le départ des secours. Il est accueilli par les pom­piers du MIN. Lorsqu’il des­cend de l’engin, il fait face à un immense entre­pôt fri­go­ri­fique de près de 8 000 m². Sur son côté ouest, le bâti­ment dis­pose d’une tren­taine de quais de char­ge­ment où sont sta­tion­nés quelques poids-lourds. Sur le côté est, une exten­sion en forme de U est atte­nante à l’entrepôt, il s’agit de la par­tie admi­nis­tra­tive. La façade est en verre tein­té et une épaisse fumée noire sort déjà du toit, « la fumée était très noire et le vent souf­flait très fort, nous ne dis­tin­guions stric­te­ment rien », se sou­vient alors l’expérimenté chef de garde.
Les pom­piers du MIN s’engagent dans l’entrepôt au niveau des quais de livrai­son. Quant au ser­gent-chef, il com­mande à ses équipes d’établir une lance grande puis­sance pour cou­per la pro­pa­ga­tion du feu entre la par­tie admi­nis­tra­tive et l’entrepôt. Le ser­gent-chef suit les pom­piers du MIN à l’intérieur de l’entrepôt. « L’ambiance était saine, il n’y avait pas un voile de fumée » relate-t-il. À l’intérieur, il cherche un accès à la par­tie admi­nis­tra­tive afin de pou­voir faire une éven­tuelle part du feu, mais il n’en trouve aucun. Le sous-offi­cier réa­lise alors son tour du feu par l’extérieur, mais lorsqu’il passe devant la par­tie admi­nis­tra­tive, il res­sent les effets de l’incendie. « Je me suis pris une vague de cha­leur impres­sion­nante, m’obligeant à fer­mer la visière de mon casque. Je venais juste de retrou­ver une vision un peu plus claire lorsque toute la par­tie admi­nis­tra­tive s’est effon­drée et embra­sée devant moi ! », explique le sous-officier.

Des ren­forts. En quelques minutes, les autres engins-pompes du groupe ETARE venant de Bourg-la-Reine arrivent sur les lieux. Le PS a pour mis­sion d’établir une lance grande puis­sance sur le côté est, pour contrô­ler l’embrasement de toute la par­tie admi­nis­tra­tive.
Le capi­taine Aba­die n’en n’est pas à son pre­mier feu d’entrepôt, le sec­teur qu’il com­mande est mal­heu­reu­se­ment pro­pice à ce genre d’événement. « Lorsque j’arrive, il y a énor­mé­ment de retom­bées de cendres dans l’air, on aurait dit qu’un vol­can entrait en érup­tion », se rap­pelle-t-il. Sa pre­mière idée de manœuvre, en arri­vant, est d’engager les hommes du FPTL de Bourg-la-Reine à l’intérieur de l’entrepôt dans la par­tie fri­go­ri­fique. Lorsque ceux-ci rentrent à l’intérieur, il y a déjà un « bon voile de fumée », relate le chef d’agrès. Dans la par­tie nord, ils aper­çoivent un nombre impor­tant de bou­teilles de gaz qu’ils décident d’évacuer afin de sécu­ri­ser les lieux. À peine eurent-ils fini que le pla­fond de fumée s’embrasa juste au-des­sus de leur tête. La vitesse de pro­pa­ga­tion du feu est impres­sion­nante et la situa­tion risque de deve­nir dif­fi­ci­le­ment maî­tri­sable.
Le capi­taine décide alors de réa­li­ser son tour du feu, mais arri­vé sur la par­tie nord-est de l’entrepôt, la situa­tion se com­plique. Le rayon­ne­ment est trop fort et la grille empêche l’officier de faire le tour. Il rebrousse che­min.
Quelques poids-lourds sta­tion­nés sur les quais de char­ge­ment pré­sentent un risque éle­vé en cas d’embrasement total de l’entrepôt. Le capi­taine Aba­die demande alors aux chauf­feurs-livreurs pré­sents à proxi­mi­té de les sor­tir afin de ne pas empi­rer la situa­tion et de déga­ger la par­tie logistique.

Point de situa­tion. « Je me concerte avec le capi­taine Aba­die. On se parle, on ne crie pas, on se parle cal­me­ment ! C’est essen­tiel ! », se remé­more le ser­gent-chef Bon­homme. À la radio, le sous-offi­cier demande « Ren­fort Incen­die » puis, le capi­taine prend le com­man­de­ment des opé­ra­tions de secours et demande le ren­fort de cinq engins-pompes pour anti­ci­per la relève des équipes à l’attaque.
Pour explo­rer la par­tie nord-est, il décide de com­plé­ter son tour du feu. Un moment blo­qué par des câbles, il sort son cou­teau pour se frayer un che­min. Dans cette zone le grillage déli­mi­tant le MIN est tan­gent à l’entrepôt, il va fal­loir le cou­per sur plu­sieurs zones pour faci­li­ter l’engagement de sol­dats du feu dans l’entrepôt. Le feu prend de l’ampleur, les flammes sont viru­lentes et com­mencent à pas­ser par les inter­stices du toit, « ça dégueule noir », se sou­vient le capi­taine. Dans son esprit, l’entrepôt ne va pas être sau­vé…
De son côté, le ser­gent-chef Bon­homme engage l’une de ses équipes à l’entrée côté sud de l’entrepôt, mais lorsque la porte métal­lique s’ouvre, les deux hommes se retrouvent vio­lem­ment per­cu­tés par un gigan­tesque bou­chon de fumée. « À ce moment-là je com­prends que le feu est pas­sé de la par­tie admi­nis­tra­tive à la par­tie fri­go­ri­fique », relate-t-il.

Un ensemble (très) grande puis­sance. Élé­ment-clé du ren­fort incen­die, l’ensemble grande puis­sance (EGP) per­met au COS de dis­po­ser d’un débit maxi­mal de 6 000 litres d’eau par minute. La grande puis­sance hydrau­lique du FMOGP per­met d’alimenter deux lances canon sur BEA. L’EGP est com­man­dé par un chef de garde. Il s’agit de la réponse opé­ra­tion­nelle, à dis­po­si­tion du COS pour les grands feux. Son arri­vée doit être pré­pa­rée bien en amont car, com­po­sé d’une dizaine de véhi­cules, il demande un espace logis­tique très important.

D’un COS à un autre. 12 h 54. Le véhi­cule poste de com­man­de­ment tac­tique du deuxième grou­pe­ment se pré­sente au MIN. Pour le lieu­te­nant-colo­nel Ange­neau, offi­cier supé­rieur de garde grou­pe­ment, la situa­tion est défa­vo­rable. « Lorsque j’arrive sur l’intervention, l’entrepôt est condam­né, ma prio­ri­té est donc la sécu­ri­té des hommes qui s’engagent et l’établissement d’un axe logis­tique pour opti­mi­ser l’EGP. Deux pro­blé­ma­tiques s’ajoutent à la manœuvre : l’incendie bloque com­plè­te­ment l’activité éco­no­mique du MIN et l’aéroport d’Orly, voi­sin, a fer­mé une piste. Le nuage de fumée réduit signi­fi­ca­ti­ve­ment la visi­bi­li­té des. pilotes. »
Le feu a per­cé le toit de l’entrepôt. L’enjeu est main­te­nant de dis­po­ser d’un impor­tant dis­po­si­tif hydrau­lique. Le lieu­te­nant-colo­nel Ange­neau prend le COS et demande le ren­fort d’un deuxième ensemble grande puis­sance. Pour le moment six lances grandes puis­sances sont en action, dont deux sur les BEA. Le groupe ELD du centre de secours du Blanc-Mes­nil est arri­vé avec le groupe incen­die. Le robot REX est aus­si à la manœuvre avec sa lance grande puis­sance.
Le nou­veau COS sec­to­rise l’entrepôt en trois par­ties et y place à leur tête un chef de sec­teur. Le sec­teur nord est com­man­dé par le capi­taine Valen­tin Fau­con, le sec­teur sud par le capi­taine Aba­die et le sec­teur admi­nis­tra­tif, à l’est, par le capi­taine Pierre Le Pape.

Le début de la fin. Il est près de 14 heures lorsque la tota­li­té des engins du second EGP est au MIN. Il faut un petit moment avant qu’il ne soit com­plè­te­ment opé­ra­tion­nel. Les quatre BEA sont posi­tion­nés de façon stra­té­gique. Le pre­mier se situe sur le côté ouest, lui per­met­tant de diri­ger sa lance canon sur toute la lon­gueur de l’entrepôt, du nord au sud. Les autres sont sta­tion­nés sur le côté sud et à l’est, à proxi­mi­té de la par­tie admi­nis­tra­tive. Les quatre lances canon sur BEA ain­si que les quatre lances grande puis­sance répar­ties sur toute la lon­gueur de l’entrepôt font leur effet. Des mil­liers de mètres cubes d’eau sont pro­je­tés sur le bra­sier, l’intensité baisse. À 16 heures, le lieu­te­nant-colo­nel Ange­neau passe son mes­sage, « Maître du feu — cinq lances canon dont quatre sur BEA et une sur robot d’extinction — quatre lances grandes puis­sances, trois lances en manœuvre — huit lignes de 110 mm éta­blies. Risque d’effondrement non écar­té. L’extinction sera de longue durée ». Ce n’est que vers 17 heures que le feu est décla­ré éteint. 

L’ŒIL DE LA SECTION DOCTRINE RETEX

Le risque « feu d’entrepôt » dans le MIN de Run­gis fait par­tie de l’environnement opé­ra­tion­nel de la 22e CIS et consti­tue même l’ADN du PC de CIS car le centre de secours Run­gis a été construit en même temps que le MIN.

Texte Com­man­dant Patrick Parayre — Pho­to­gra­phie Sap. de pre­mière classe Paul Millet

La pré­pa­ra­tion des cadres à ce type de feu doit être un des objec­tifs de la pré­pa­ra­tion opé­ra­tion­nelle de la com­pa­gnie car l’impact éco­no­mique et média­tique d’un incen­die dans le MIN n’est jamais ano­din. Il est impor­tant d’en mai­tri­ser le concept, de connaître l’ensemble du MIN et d’avoir une réflexion opé­ra­tion­nelle rapide au départ des secours sur les points d’eau d’incendie.
Ce jour-là, le sinistre est déjà plei­ne­ment déve­lop­pé avant l’arrivée des secours et se pro­page très rapi­de­ment à l’intérieur du bâti­ment avec un sto­ckage à fort poten­tiel calo­ri­fique.
Les pre­miers COS sont immé­dia­te­ment confron­tés à la dif­fi­cul­té de déter­mi­ner les recou­pe­ments dans le bâti­ment concer­né. Le tour du feu est long à réa­li­ser mais cet incon­tour­nable de la marche géné­rale des opé­ra­tions va per­mettre de confir­mer que la tota­li­té du bâti­ment est en passe d’être la proie des flammes sur une sur­face d’environ 7 000 m² et de déter­mi­ner l’effort à réa­li­ser afin de pro­té­ger les moteurs du groupe froid.
Des enjeux appa­raissent clai­re­ment sur ce type de situa­tion. La pré­ser­va­tion du poten­tiel hydrau­lique, la conser­va­tion des axes logis­tiques et l’ouverture des accès sont des enjeux pri­mor­diaux, tout comme l’é­va­cua­tion des véhi­cules en sta­tion­ne­ment, la sec­to­ri­sa­tion adap­tée à la géo­gra­phie des sec­teurs au fur et à mesure de la mon­tée en puis­sance et évi­dem­ment la pré­ser­va­tion de la sécu­ri­té des sapeurs-pom­piers de Paris.
L’élément par­ti­cu­liè­re­ment favo­rable réside dans le fait que cet entre­pôt de grande sur­face, mal­gré des flammes et un panache de fumées tou­jours très impres­sion­nants, est iso­lé sur ses quatre faces. Le COS ne se laisse pas « atti­rer par les flammes », il réa­lise le tour du feu et concentre son effort sur un point à pro­té­ger abso­lu­ment : les moteurs du groupe froid pour cette intervention.

PHOTOS : 1CL Paul Millet


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