ALLO 18 — 75 ans (et plus !) d’histoire(s) de pompiers de Paris

Nicho­las Bady —  — Modi­fiée le 16 mars 2023 à 04 h 40 

Grands formats — Au fil des décennies, le magazine officiel des pompiers de Paris a connu de nombreuses évolutions, à commencer par son nom… Nous avons fêté en janvier 2023, 75 ans de la série ALLO 18 de 1948. Cette collection perdure encore aujourd’hui, avec bientôt son 780e numéro. Une aventure pleine de rebondissements.

Soyons précis !

Être et durer » est une for­mule bien connue du mili­taire fran­çais. ALLO 18 pour­rait éga­le­ment la faire sienne, tant votre maga­zine tra­verse le temps et les époques avec l’agilité d’un membre du groupe de gym­nas­tique de la Bri­gade.
En jan­vier 1948, ALLO 18 devient offi­ciel­le­ment le pre­mier bul­le­tin men­suel du régi­ment de sapeurs-pom­piers. Son prix est alors de dix anciens francs. Il com­porte 20 pages et est impri­mé par l’imprimerie du Régi­ment. Le bul­le­tin relate de la vie du Régi­ment, mais pas seule­ment. Cer­taines de ses pages sont, 75 ans plus tard, sur­pre­nantes d’actualité. En effet, le bul­le­tin n°1 consacre deux pages entières à la chi­mie, la dan­ge­ro­si­té et l’emploi du nitrate d’ammonium, com­po­sé chi­mique à l’origine des explo­sions au port de Bey­routh en 2020 et de l’usine AZF à Tou­louse, en 2001.
« Amis lec­teurs, pou­vions-nous éga­le­ment lire dans l’éditorial, nous pour­rons désor­mais publier notre bul­le­tin sous cette nou­velle for­mule. » Nou­velle for­mule ?
Oui, car ALLO 18 est véri­ta­ble­ment né quelques années plus tôt, en 1945.
Plus pré­ci­sé­ment, en jan­vier 1945, sous l’impulsion de l’aumônier du Régi­ment, le père Lucien Lacour. Il faut ima­gi­ner les condi­tions dans les­quelles ALLO 18 est alors réa­li­sé. Quelques mois après la fin de l’occupation alle­mande, alors que la Seconde Guerre mon­diale sévit encore, mal­gré les pénu­ries et les pro­blèmes d’approvisionnement de papier, le « canard » non-offi­ciel du Régi­ment a déjà voca­tion d’instruire le sapeur-pom­pier de Paris.

Pour­quoi ce canard ? À cette ques­tion, Lucien Lacour répon­dait alors : « Est-ce qu’on peut empê­cher des gars de 20 ans de pen­ser et de dire ? […] Le Régi­ment, s’il libère de la lour­deur et de la gau­che­rie, libère-t-il du désar­roi des idées ? Ce n’est pas son rôle. On ne peut son­ger à le lui repro­cher. Mais, toi, te résignes-tu à sor­tir de tes trois ans aus­si peu infor­mé qu’avant ? N’auras-tu pro­fi­té de ta vie sous l’uniforme que pour accro­cher des petites poules, oublieux de tant de contacts que t’offre la vie de Paris pour te docu­men­ter et te faire une idée ? Ren­contres, dis­cus­sions avec des gens docu­men­tés, visites d’information, lec­tures orien­tées, décou­vertes du Paris de l’Histoire, etc… ».
ALLO 18 a tou­jours été, et sera pro­ba­ble­ment tou­jours, un vec­teur d’instruction. « La France a autant besoin de corps souples que d’intelligences éclai­rées, pour­sui­vait l’aumônier Lacour. Ce canard vou­drait chaque mois t’offrir l’occasion d’une dis­cus­sion docu­men­tée pour toi sur tous les grands pro­blèmes qui se pré­sentent. Il n’analyse que des faits, pour réser­ver à cha­cun son opi­nion et res­pec­ter aus­si les règle­ments qui veulent que soit écar­tée toute dis­cus­sion phi­lo­so­phique ou poli­tique. »
Depuis plus de 75 ans, ALLO 18 est le témoin pri­vi­lé­gié de l’histoire des pom­piers de Paris. Les maga­zines d’aujourd’hui sont le patri­moine de demain. Lucien Lacour est décé­dé le 10 février 1970, mais son héri­tage perdure .

L’histoire « offi­cielle » du maga­zine com­mence en 1948, soit trois ans après les pre­miers numé­ros infor­mels de l’aumônier Lucien Lacour. À ses débuts, la cou­ver­ture du bul­le­tin men­suel du régi­ment de sapeurs-pom­piers est colo­rée d’un bel orange aux teintes safra­nées (voir page 39). Un sapeur-pom­pier est des­si­né à gauche du titre « ALLO.18 ». Le som­maire figure sur la cou­ver­ture, au-des­sus de la pucelle du Régi­ment. Une pho­to­gra­phie, ou plu­tôt un « cli­ché ciné-pho­to », com­plète l’ensemble.
Dès son ori­gine, ALLO 18 relate l’actualité du corps, des incen­dies aux résul­tats spor­tifs, en pas­sant par le tableau d’avancement, les nais­sances et les décès, les mariages ou encore le nombre d’interventions. Dans le numé­ro 20, daté du mois d’août 1949, page 13 : « Quelques chiffres élo­quents : il existe à Paris 84.271 immeubles, dont 2.277 n’ont pas l’électricité. Ceci explique peut-être en par­tie les nom­breuses sor­ties de feu de Par­men­tier, Cha­li­gny, Sévi­gné, etc… » Com­prendre : de nom­breux habi­tants de Paris s’éclairent à la bou­gie, ce qui favo­rise évi­dem­ment les incen­dies. Il est inté­res­sant de noter qu’avec les pro­blèmes de pénu­rie éner­gé­tique de cet hiver, ce risque est tou­jours, dans une moindre mesure, d’actualité.
En 1952, un télé­phone à cadran fait son appa­ri­tion sur la cou­ver­ture du bul­le­tin. Un engin de secours semble sor­tir du com­bi­né pour rejoindre la ville enflam­mée, en arrière-plan. À cette époque, la cou­ver­ture ne change pas tous les mois. Il faut attendre 1956 pour que le désor­mais bul­le­tin men­suel du régi­ment de sapeurs-pom­piers et de l’ADOSSP — avec un seul P — évo­lue. Le pro­fil d’un sapeur-pom­pier au télé­phone, por­tant un casque modèle 1933 et veillant sur la capi­tale, illustre le bul­le­tin jusqu’en 1959.

Bleu à lise­ré rouge. Le numé­ro 133 d’octobre 1959 marque l’apparition d’une cou­ver­ture pour le moins aty­pique : un bleu roi est tran­ché dans toute sa hau­teur d’un lise­ré rouge, tan­dis que la pucelle du corps et un unique titre « Allo 18 » com­plètent la pre­mière page. Et c’est tout. D’aucuns la qua­li­fie­ront de simple et effi­cace. D’autres seront peut-être déçus. Quoi qu’il en soit, 1964 marque ensuite deux évé­ne­ments forts de l’histoire du maga­zine. D’abord, l’apparition d’une magni­fique gra­vure de l’île de la Cité en cou­ver­ture, avec le titre « ALLO 18 » écrit en lettres capi­tales rouge écar­late et asso­ciées à un com­bi­né télé­pho­nique. Un fac-simi­lé de ce numé­ro mythique sera d’ailleurs édi­té et offert en 2017, avec le numé­ro 744, à l’occasion du cin­quan­te­naire de la Bri­gade. Ensuite, dans le numé­ro 183 d’avril 1964, page 145 : la publi­ca­tion du pre­mier des­sin de René Dosne (lire plus loin). Le futur auteur de Flam­meche et Cor­no­feu, éga­le­ment père du cro­quis opé­ra­tion­nel, fait une entrée un peu timide sous un magni­fique des­sin de Daniel Lor­dey.
En 1966, la revue fête son 100e numé­ro : « Allo 18 n’est pas l’œuvre d’un ou plu­sieurs hommes, il est la somme de tous ces efforts, de tous ses vœux qui s’additionnent et dans les­quels vous avez votre place, amis lec­teurs. », pou­vons-nous lire dans ce numé­ro anni­ver­saire.
L’année 1970 est d’abord mar­quée par la dis­pa­ri­tion du père Lacour. ALLO 18 publie au mois de mars l’allocution du géné­ral Cas­so aux Inva­lides, en hom­mage à l’aumônier dis­pa­ru : « […] Des réunions clan­des­tines naît un bul­le­tin de liai­son dont les Chefs de Bataillon Hus­son et Blan­din, alors jeunes sapeurs, furent les pre­miers rédac­teurs. Ce bul­le­tin est deve­nu notre belle revue men­suelle Allo 18. […] » Néan­moins, quelques semaines plus tôt, en jan­vier 1970, c’est une appa­ri­tion qui ins­crit René Dosne au patri­moine du maga­zine : « Il était une fois une petite voi­ture de liai­sons, qui menait sa petite vie de VL comme toutes ses sœurs, lorsqu’un jour, elle fût prise dans un énorme caram­bo­lage, et en sor­tit toute trans­for­mée. » Ain­si sont nées Les aven­tures de Pin­pon la VL. Puis en 1975, Les nou­velles aven­tures de Pom­plard et Pin­pon. Et enfin, en 1983, Les déli­rantes aven­tures de Flam­meche et Cor­no­feu, qui fêtent cette année leur 40e anniversaire.

La galerie

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La Bri­gade en quatre cou­leur. Les années 1970 et 1980 sont syno­nymes de chan­ge­ments majeurs pour le maga­zine. En pre­mier lieu : la cou­leur. Beau­coup de cou­leurs. Ou plu­tôt, quatre : le cyan, le magen­ta, le jaune et le noir. L’impression off­set en qua­dri­chro­mie se démo­cra­tise et per­met la publi­ca­tion de pho­to­gra­phies, de pages et de cou­ver­tures en cou­leur. Aujourd’hui, cela semble tota­le­ment nor­mal, mais à l’époque, cette tech­nique est plu­tôt nou­velle.
Autre sujet éton­nant : la double-page consa­crée aux trois bras élé­va­teurs arti­cu­lés (BEA) de la Bri­gade. Le BEA « est sur­tout des­ti­né à l’attaque des grands feux avec lance Moni­tor qui peut être télé­com­man­dée avec ori­fice de 30 ou 35 mm. […] Il per­met éga­le­ment les sau­ve­tages dis­con­ti­nus de vic­times impo­tentes et ceci jusqu’à 25 mètres de hau­teur ; charge utile 250 kilo­grammes » peut-on lire dans ALLO 18… en juin 1978. Ain­si, le bras élé­va­teur, un des plus beaux fleu­rons de la Bri­gade, monstre de puis­sance hydrau­lique rouge ver­millon, vitrine de l’Institution, bijou de tech­no­lo­gie… a plus de 45 ans d’existence. Plu­tôt sur­pre­nant, n’est-ce-pas ?
En lettres de feu. En jan­vier 1987, nou­veau chan­ge­ment : ALLO 18 devient ALLO DIX-HUIT, en toutes lettres. Pour­quoi donc, vous deman­de­rez-vous. L’histoire ne le dit pas expli­ci­te­ment… Le numé­ro 500 de la revue est publié en mars 1993. En jan­vier 1995, le nou­veau logo de la Bri­gade est publié en Une du maga­zine, qui pro­fite de l’occasion pour lan­cer une nou­velle for­mule : « Tout en conser­vant l’essentiel, c’est-à-dire les rubriques aux­quelles vous êtes atta­chées et qui demeurent la force de votre revue, trois cri­tères prin­ci­paux guident ce chan­ge­ment : lisi­bi­li­té, dyna­misme et moder­ni­té ». Trois ans plus tard, encore une nou­velle for­mule, tou­jours dans un esprit de moder­ni­té. Et il faut croire que la for­mule est bonne, puisque de 1998 à 2012, une cer­taine conti­nui­té est à noter, tant au niveau du titre de la revue que de sa mise en page. Cette for­mule compte des cou­ver­tures par­mi les plus mémo­rables du maga­zine : « Nuit Blanche » pour l’incendie de la rue de Pro­vence (n°635), « L’hommage de la Nation » en 2002 (n°606) ou encore l’hommage aux pom­piers de New York en 2001 (n°596).
De men­suel, le maga­zine devient bimes­triel (autre­ment dit publié tous les deux mois) en 2013 et pro­fite de l’occasion pour pas­ser à 84 pages. Une aug­men­ta­tion de pagi­na­tion qui per­met de pas­ser en « dos car­ré col­lé », avec la volon­té de gagner en qua­li­té. Bien que bimes­triel, le maga­zine reste étroi­te­ment lié avec l’actualité de la Bri­gade. Lorsque la France est à nou­veau frap­pée par le ter­ro­risme en jan­vier et novembre 2015, ALLO DIX-HUIT est témoin des évè­ne­ments. Lorsque la pre­mière femme sapeur-pom­pier de Paris décède en inter­ven­tion en 2016, la cou­ver­ture du maga­zine est bou­le­ver­sante. Lorsque des mani­fes­tants en gilet haute visi­bi­li­té secouent la capi­tale chaque same­di, ALLO DIX-HUIT raconte l’action de la Bri­gade. Lorsque deux des nôtres tombent rue de Tré­vise, ALLO DIX-HUIT leur rend hom­mage. Lorsqu’un immeuble brûle rue Erlan­ger, ALLO DIX-HUIT est fier de rap­por­ter les 64 sau­ve­tages réa­li­sés par les pom­piers de Paris. Lorsque la cathé­drale Notre-Dame brûle, et que les regards du monde entier sont tour­nés vers la Bri­gade, ALLO DIX-HUIT publie un hors-série.

Retour aux sources. La der­nière for­mule du maga­zine, avec son puis­sant logo car­ré et ses cou­leurs vives, date de 2017. En jan­vier 2023, ALLO DIX-HUIT rede­vient ALLO 18. Publié par l’association pour le déve­lop­pe­ment des œuvres sociales des pom­piers de Paris (ADOSSPP), ALLO 18 est un maga­zine riche de l’histoire de la Bri­gade. Il est le témoin de son action, de ses joies et de ses drames, comme de ses faits d’armes, depuis plus de 75 ans, et pour encore longtemps.

https://www.adosspp.com/nos-actions/publications/

SARCE : René Dosne tout !

SARCE (n.m.). Désigne un sapeur-pompier de Paris très expérimenté, qui connaît bien les ficelles du métier. Souvent porteur d’une moustache. Ex : Lieutenant-colonel (ESR) René Dosne, quel sarce !

Com­ment êtes-vous par­ve­nu à des­si­ner pour ALLO 18 ?
J’étais pas­sion­né par les pom­piers depuis l’âge de cinq ou six ans et j’adorais des­si­ner des camions… En 1964, je fai­sais des études d’arts gra­phiques. Un jour, mon pro­fes­seur de déco­ra­tion m’a conseillé d’aller dans une caserne et deman­der à voir les engins. Comme je ne connais­sais per­sonne, j’ai écrit une lettre… Pas de réponse. Puis, au bout de trois semaines, en ren­trant de l’école, ma mère me dit qu’un pom­pier est pas­sé à moto pour dépo­ser une lettre. C’était un cour­rier du colo­nel Cas­so, m’autorisant à venir des­si­ner les camions ! Je venais d’avoir 17 ans.
Je repense à cet ins­tant à chaque fois que je passe la voûte de Cham­per­ret. Je me sou­viens des pre­miers secours Hot­ch­kiss. Les camions avaient des chromes magni­fiques… J’ai donc com­men­cé à des­si­ner des camions. Rapi­de­ment, le chef du 2e bureau, le capi­taine Fran­ces­chi, est venu voir mes des­sins. Il m’a pré­sen­té au colo­nel Cas­so, à la fin d’un grand rap­port du ven­dre­di. J’étais mineur, civil, et lorsque j’ai pré­sen­té mes des­sins au colo­nel, il a dit : « On lui donne une tenue de feu, un lais­sez-pas­ser au feu, on lui paye une assu­rance et il va faire des des­sins de feu pour ALLO 18 ! ».

Par­lons de votre pre­mier des­sin publié dans ALLO 18…
J’en ai honte, natu­rel­le­ment (rires). Il a été publié dans une rubrique qui s’appelait « D’un centre à l’autre ». Je crois avoir fait six des­sins pour ce numé­ro-là (ndlr : n°183 d’avril 1964). J’étais payé un franc cin­quante le des­sin. J’allais à la rédac­tion, on me don­nait le texte et je devais faire une illus­tra­tion un peu drôle. À l’époque, je tra­vaillais au pin­ceau, ce n’était pas ter­rible… Dans les numé­ros sui­vants, les des­sins ont été un peu moins mau­vais, car j’avais pris conscience que lorsqu’un des­sin est mal fait, on le retrouve tou­jours, même 50 ans plus tard… Alors, j’avais déci­dé de mettre la barre le plus haut pos­sible. J’étais abon­né au maga­zine Science et Vie. Les illus­tra­tions de cette revue ont tou­jours été une réfé­rence pour moi.
Vous sou­ve­nez-vous des débuts de Flam­meche et Cor­no­feu ?
C’était en 1983. À cette époque, je tra­vaillais dans le milieu de la bande des­si­née. J’étais entou­ré de des­si­na­teurs pro­fes­sion­nels. À la Bri­gade, les com­mandes étaient très variées : on me deman­dait un faire-part, une bande des­si­née, une illus­tra­tion ou un écor­ché de camion… Je devais être poly­va­lent ! Il fal­lait tou­jours être au taquet, c’était très for­ma­teur.
Ensuite, pour­quoi Pin­pon la VL, née en 1970, est deve­nue Flam­meche et Cor­no­feu ? Je vou­lais aug­men­ter le niveau glo­bal, et le nom a chan­gé aus­si ! Plus tard, le lieu­te­nant Bour­dillot est arri­vé dans la bédé. Je l’aime bien, Bour­dillot, il est un peu à la ramasse.

En 2023, nous fêtons les 40 ans de Flam­meche et Cor­no­feu… Ça vous fait quoi ?
Ah bon ?! Il faut que je fasse quelque chose, alors ! Je ne vois pas le temps pas­ser… Le milieu est tel­le­ment moti­vant. On est tou­jours entou­ré de jeunes, c’est très encou­ra­geant. Et puis du jour au len­de­main, la bédé a 40 ans !

Pho­to­gra­phie et pro­pos recueillis par Ser­gent Nicho­las Bady


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