RETOUR D’INTER — Gaz à tous les étages !

Retour d’inter — Il est environ 21 heures le lundi 13 mai 2019, lorsque les hommes du centre de secours Bitche s’installent à table pour une traditionnelle raclette. À peine assis, le départ normal sonne ! Plusieurs balcons sont la proie des flammes qui se propagent aux appartements.

Myriam Jabal­lah —  — Modi­fiée le 4 mai 2021 à 02 h 33 

Alors que le lieu­te­nant Hugo Mar­ty, offi­cier de garde de la 10e com­pa­gnie est de pas­sage au centre de secours (CS), il s’étonne d’une jour­née par­ti­cu­liè­re­ment calme dans ce quar­tier aus­si popu­laire qu’animé du XIXe arron­dis­se­ment. En repar­tant vers le CS Châ­teau-Lan­don, il lâche un « à tout à l’heure sur feu Mes­sieurs ! ». Il ne croyait pas si bien dire, en début de soi­rée, un ordre de départ tombe au poste de veille opé­ra­tion­nel : l’échelle et les deux pre­miers secours de Bitche sont sonnés.

« Feu d’appartement au 208, bou­le­vard Mac­Do­nald »

Lorsque les engins quittent la remise située face au canal de l’Ourcq, le panache est visible au loin. Ayant connais­sance de tra­vaux sur cette zone de son sec­teur, le ser­gent Florent Mayot, chef de garde incen­die, décide de faire emprun­ter des iti­né­raires dif­fé­rents aux conduc­teurs. Le bou­le­vard Mac­Do­nald des­sert un quar­tier récent, com­po­sé d’immeubles à l’architecture com­plexe. Le ser­gent sait d’ores et déjà qu’il sera confron­té à des dif­fi­cul­tés. En arri­vant, de vives flammes sortent de la fenêtre d’un loge­ment situé au qua­trième étage d’un immeuble à usage mixte de com­merces et d’habitations, et menacent déjà le niveau supérieur.

Afin d’anticiper l’arrivée d’éventuels ren­forts, la cir­cu­la­tion est inter­rom­pue sur la tota­li­té du bou­le­vard. Les grilles d’accès à une allée pié­tonne sont ouvertes : l’échelle peut ain­si se pla­cer en marche arrière au niveau de l’angle du bou­le­vard Mac­Do­nald et de l’allée Pierre Mol­la­ret, de manière à cou­vrir effi­ca­ce­ment deux façades. Les habi­tants pani­qués et à peine vêtus sont agglu­ti­nés au bas de l’immeuble. Ces der­niers sont diri­gés et cana­li­sés par les pre­miers inter­ve­nants au-delà du péri­mètre de sécu­ri­té. Sous le choc, per­sonne n’est en mesure d’indiquer clai­re­ment au com­man­dant des opé­ra­tions de secours le che­mi­ne­ment pour accé­der au niveau sinis­tré. Par chance, les occu­pants ont tous éva­cué les lieux avant l’arrivée des engins. Le chef de garde mis­sionne ses équipes pour recon­naître le bâti­ment. Une lance sur colonne sèche et une lance sur divi­sion ali­men­tée sont établies.

Pen­dant son tour du feu, il constate que l’immeuble de 1997 est par­ti­cu­lier et revêt une véri­table dif­fi­cul­té pour l’engagement des secours. Il est asy­mé­trique en hau­teur comme dans la com­po­si­tion de ses loge­ments, tan­tôt en simple niveau, tan­tôt en duplex. Il com­porte deux entrées et deux cages d’escalier dis­tinctes. La pre­mière des­sert quatre étages, tan­dis que la seconde mène à huit étages. Il est ain­si très dif­fi­cile pour les secours, d’en com­prendre la dis­tri­bu­tion, vu de l’extérieur. Les bal­cons sont filants et sépa­rés de simples brises-vues de plexi­glas. De plus, un poten­tiel calo­ri­fique impor­tant est pré­sent à l’intérieur des appar­te­ments, les équipes pro­gressent avec dif­fi­cul­té tant les lieux sont encom­brés de kilos de déchets, de lite­ries et de vête­ments en tout genre. Quant aux bal­cons, ils servent sou­vent de lieu de sto­ckage : scoo­ters, bidons de car­bu­rant, bou­teilles de gaz, …

« Je demande ren­fort habi­ta­tion »

Rapi­de­ment, la situa­tion évo­lue défa­vo­ra­ble­ment. Le feu d’appartement, s’est pro­pa­gé au cin­quième étage. C’est désor­mais un feu d’immeuble. Afin de pou­voir effec­tuer simul­ta­né­ment les opé­ra­tions de recon­nais­sances, d’extinction et de prise en charge des impli­qués, le chef de garde demande « ren­fort habi­ta­tion ». « Je suis tout à coup sur­pris par un énorme bruit. Je contacte immé­dia­te­ment mes équipes enga­gées à l’intérieur à l’aide de ma radio. Ils vont bien, mais ont éga­le­ment res­sen­ti une défla­gra­tion de loin. Une bou­teille de gaz pré­sente sur l’un des bal­cons, vient d’exploser. Par chance, elle n’a fait aucun bles­sé », pré­cise le ser­gent Florent Mayot.

Les habi­tants ne se rendent pas compte du dan­ger qu’ils encourent en sto­ckant sur leurs propres bal­cons du mobi­lier, du car­bu­rant, mais éga­le­ment des bou­teilles de gaz.

Lieu­te­nant Hugo Marty

À son arri­vée, le lieu­te­nant Hugo Mar­ty reçoit un compte-ren­du pré­cis du chef de garde. Il prend immé­dia­te­ment le com­man­de­ment des opé­ra­tions de secours (COS). Les ren­forts arrivent rapi­de­ment et s’articulent natu­rel­le­ment grâce à une sec­to­ri­sa­tion pré­cise par niveau. « Les com­mu­ni­ca­tions exis­tantes sont étran­ge­ment saines, mes équipes ne souffrent pas non plus de dif­fi­cul­tés par­ti­cu­lières liées à la cha­leur. Il y a une sorte d’incohérence entre la situa­tion visible sur la façade et l’intérieur du bâti­ment », explique l’officier de garde com­pa­gnie. Le feu concerne main­te­nant les deuxième, troi­sième et qua­trième niveaux. Des maté­riaux enflam­més chutent de bal­con en bal­con, pro­vo­quant ain­si l’embrasement de nou­veaux appar­te­ments. « Les habi­tants ne se rendent pas compte du dan­ger qu’ils encourent en sto­ckant sur leurs propres bal­cons du mobi­lier, du car­bu­rant, mais éga­le­ment des bou­teilles de gaz. Ce com­por­te­ment inac­cep­table accé­lère la pro­pa­ga­tion du feu et met en péril tous les habi­tants de l’immeuble ain­si que nos sapeurs-pom­piers lors de l’attaque. » mar­tèle le lieutenant.

Avec l’ouverture des portes des loge­ments, les cages d’escalier sont deve­nues impra­ti­cables : en par­tie haute, un bou­chon de fumées s’accumule dans cha­cune d’entre elles. Le dis­po­si­tif de désen­fu­mage étant hors ser­vice, les secours sont contraints de frac­tu­rer les exé­cu­toires au moyen du « Hal­li­gan Tool », maté­riel par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace. La mise en œuvre de la ven­ti­la­tion opé­ra­tion­nelle per­met d’assainir les com­mu­ni­ca­tions existantes.

« L’officier supé­rieur de garde du 1er grou­pe­ment d’incendie se pré­sente »

Sur place, le colo­nel Paul-Marie Vil­bé, mesure l’ampleur du sinistre. Les hommes sont à pied d’œuvre, la lutte contre les pro­pa­ga­tions et les recon­nais­sances se pour­suivent tou­jours. Il prend le com­man­de­ment des opé­ra­tions de secours et demande suc­ces­si­ve­ment sept engins-pompe, un véhi­cule de remise en condi­tion du per­son­nel et une camion­nette de réserve d’air com­pri­mé. Consé­cu­ti­ve­ment à l’explosion, le labo­ra­toire cen­tral de la pré­fec­ture de police est dépê­ché sur les lieux. Les moyens deman­dés per­mettent une attaque mas­sive des dif­fé­rents foyers : au total pas moins de huit lances, dont deux éta­blies sur les échelles aériennes et une sur la colonne sèche viennent à bout des flammes. Les secours sont maîtres du feu à 23 h 36, mais c’est une heure plus tard que le mes­sage « feu éteint » reten­ti sur les ondes. Au total, cinq appar­te­ments, sur quatre niveaux sont com­plè­te­ment rava­gés. Par ailleurs, les secou­ristes des moyens asso­cia­tifs ont pris en charge une cin­quan­taine de per­sonnes au centre d’accueil des impliqués.

Questions Au…

Colo­nel Paul-Marie Vil­bé, offi­cier de garde du 1er grou­pe­ment d’incendie et de secours.

Quelle est la situa­tion à votre arrivée ?

À mon arri­vée, je constate l’ampleur de la situa­tion pour plu­sieurs rai­sons. D’une part, il existe des risques pour les inter­ve­nants compte-tenu d’une explo­sion de gaz qui vient de se pro­duire et de la vio­lence du feu. Mais éga­le­ment à cause du déve­lop­pe­ment rapide du feu par des pro­pa­ga­tions internes et en façade. Enfin la com­plexi­té dans l’agencement inté­rieur du bâti­ment, empêche le contact direct entre inter­ve­nants enga­gés à un même niveau.

Pour­quoi avez-vous déci­dé de prendre le COS ?

La prise de COS s’impose ins­tan­ta­né­ment compte-tenu des risques pour le per­son­nel enga­gé, de la viru­lence de l’incendie et de la com­plexi­té bâti­men­taire. Je décide de prendre le COS après un som­maire tour du feu et le compte ren­du de l’OGC (Offi­cier de Garde Com­pa­gnie). Je lui demande de pas­ser rapi­de­ment son mes­sage d’ambiance en lui annon­çant que je pren­drai le com­man­de­ment juste der­rière en deman­dant des moyens supplémentaires.

Quelles ont été vos priorités ?

Les prio­ri­tés découlent de l’analyse pré­cé­dente. En pre­mier lieu, il fal­lait garan­tir la sécu­ri­té des inter­ve­nants puisque les occu­pants ont éva­cué. Nous en avions la confir­ma­tion par le res­pon­sable du bâti­ment. Puis enrayer les pro­pa­ga­tions en rajou­tant des points d’attaque de plain-pied et deux lances en façade pour stop­per les pro­pa­ga­tions par les bal­cons. Mais éga­le­ment, sec­to­ri­ser et com­prendre rapi­de­ment l’agencement des volumes. Et sur cette inter­ven­tion, l’appui du des­si­na­teur opé­ra­tion­nel a été déci­sif. Enfin, coor­don­ner les efforts entre les lances de plain-pied enga­gées par l’intérieur et celles situées en façades dont une pra­ti­quait l’attaque indi­recte par intermittence.

Qu’apporte le concours du labo­ra­toire cen­tral de la pré­fec­ture de Police sur ce type d’intervention ?

Le LCPP a per­mis de défi­nir l’origine pro­bable de l’explosion. Une infor­ma­tion essen­tielle sur ce type d’opération.

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Credits

Photos : 1CL Karim PLY

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