17 000 M2 EN FLAMMES ! — Un affrontement à grande échelle

Maxime Gri­maud —  — Modi­fiée le 5 juin 2022 à 09 h 47 

Retour d’inter — 17 000 m2 d’entrepôts ravagés par les flammes, une tornade de feu dans le ciel et des capacités hydrauliques très limitées. Seule une manœuvre logistique d’ampleur et des moyens lourds ont permis aux soldats du feu de venir à bout de ce sinistre colossal. Rétrospective !

Ven­dre­di 7 jan­vier 2022. Il est 2 heures du matin dans la ville de Stains (93), située en limite du sec­teur de la BSPP, aux portes du Val‑d’Oise (95). Entou­ré de jar­dins, trai­teurs et res­tau­rants, un vaste entre­pôt, com­po­sé de dizaines d’alvéoles, subit l’assaut des flammes. L’incendie est déjà très déve­lop­pé et un grand panache de fumée domine la zone indus­trielle. Le sinistre se pro­page rapi­de­ment aux autres alvéoles et risque d’engloutir l’intégralité du bâti­ment de 20.000 m2 (soit l’é­qui­valent de trois ter­rain de football).

À peine arri­vés sur place, les sol­dats de la 26e com­pa­gnie demandent l’envoi du ren­fort incen­die. Deux lances grande puis­sance sont déployées pour ten­ter d’enrayer les pro­pa­ga­tions. Mais à ce stade, face à la vio­lence de l’incendie, les lances 1.000 l/​min res­semblent à de minus­cules pis­to­lets à eau…
En atten­dant les ren­forts des sec­teurs avoi­si­nants, les pri­mo-inter­ve­nants ana­lysent le bâti­ment. Si l’entrepôt est iso­lé sur ses quatre faces, la voie de cir­cu­la­tion s’avère très étroite. Deux engins-pompe ne pour­raient même pas se croi­ser. Pour ne rien arran­ger, il existe seule­ment deux entrées per­met­tant d’accéder à l’entrepôt. Or, un incen­die d’une telle ampleur néces­site de très nom­breux engins à pla­cer judi­cieu­se­ment. Cette confi­gu­ra­tion com­plique donc la grande manœuvre logis­tique à venir.
Autre incon­vé­nient, les mar­chan­dises sto­ckées dans les alvéoles sont très diverses et ne peuvent être iden­ti­fiées. Du tex­tile mais aus­si des pro­duits d’hygiène et d’entretien, ren­dant très dif­fi­cile la lec­ture du feu. Dans les pre­mières minutes de la manœuvre, des déto­na­tions se font entendre et une immense tor­nade de feu, créée par des sol­vants et une rafale de vent, tour­billonne dans le ciel. Un signal d’alerte pour les sapeurs-pompiers.

PAS ASSEZ D’EAU
Der­nier et prin­ci­pal pro­blème : le réseau d’eau, à la limite du sec­teur Bri­gade, est pauvre, très pauvre. Les moyens ali­men­tés sur les hydrants à proxi­mi­té du bâti­ment dis­posent d’un débit limi­té et seule la conduite de 400 mm à l’Ouest de l’entrepôt peut four­nir un débit consé­quent. Et si les pom­piers veulent stop­per l’avancée des flammes, les lances 1.000 l/​min ne suf­fi­ront pas. Il faut déployer des moyens lourds : un ensemble grande puis­sance (EGP).
Mais la mise en place du dis­po­si­tif va prendre beau­coup de temps. Arri­vé sur les lieux, le colo­nel Le Corre, offi­cier supé­rieur de garde, en est conscient. « Un incen­die simi­laire dans un sec­teur bien doté en hydrants de grande capa­ci­té ? Un dis­po­si­tif plus simple à déployer. Mais dans cette confi­gu­ra­tion, nous man­quons cruel­le­ment d’eau. J’estime donc à plus d’une heure le temps de nous positionner. »

Face à la vio­lence de l’incendie, les lances 1 000 l/​min res­semblent à de minus­cules pis­to­lets à eau

Pour assu­rer la flui­di­té du dis­po­si­tif, la zone de déploie­ment ini­tial (ZDI) est pla­cée à l’extérieur de l’entrepôt. Tan­dis que les FACA s’alimentent et que les BEA se posi­tionnent, le com­man­dant des opé­ra­tions de secours (COS) et ses chefs de sec­teur anti­cipent la manœuvre logis­tique. Ils pré­voient de dres­ser une ligne d’arrêt pour pro­té­ger la par­tie admi­nis­tra­tive. Ce « bar­rage », le colo­nel Le Corre l’anticipe loin des flammes, à cinq alvéoles de dis­tance. « Nous devons accep­ter de perdre du ter­rain dans le pre­mier temps de la manœuvre, détaille-t-il. De plus, nous ne connais­sons pas la nature exacte des mar­chan­dises conte­nues dans les alvéoles. L’incendie pour­rait donc se pro­pa­ger bien plus vite que pré­vu. » Consé­quence évi­dente : si le feu rat­trape la ligne d’arrêt avant la fin des pré­pa­ra­tifs, les pom­piers per­dront défi­ni­ti­ve­ment l’avantage.

LA BRIGADE CONTRE-ATTAQUE
Au sol, les binômes d’attaque suivent l’avancée du feu et tentent de limi­ter les pro­pa­ga­tions, armés de leurs lances 1 000 l/​min. Pour atteindre la base des flammes il leur faut ouvrir les rideaux métal­liques. Mais la double paroi iso­lante, avec mousse en poly­uré­thanne, est bien trop résis­tante pour les dis­queuses du camion dés­in­car­cé­ra­tion (CD). Heu­reu­se­ment, les équipes RSMU arrivent en ren­fort et par­viennent cette fois-ci à décou­per les portes pour créer des trouées d’attaque.

Enfin, après une longue phase de pré­pa­ra­tion, la séquence logis­tique et ali­men­ta­tion est ache­vée. Les troupes sont en place avec notam­ment deux BEA, posi­tion­nés de chaque côté de l’entrepôt et armés de puis­santes lances-canon de 2.000 l/​min. Les lances 1.000 et le robot d’extinction musclent le dis­po­si­tif au sol. La deuxième phase com­mence : stop­per l’avancée du feu qui a déjà rava­gé 17.000 m² de l’entrepôt !
Pour por­ter un coup violent à l’incendie, les pom­piers effec­tuent d’abord un “ONE SHOT”. Le bar­rage d’eau inter­rompt pro­gres­si­ve­ment les pro­pa­ga­tions. Per­ché dans le ciel, le drone du GAS dif­fuse en temps réel une vision aérienne de la situa­tion à la PC. Les chefs de sec­teur et les chefs d’agrès BEA dis­posent de tablettes de report. Ces outils tech­no­lo­giques per­mettent d’orienter plus faci­le­ment le jet des lances tout en conser­vant une vision glo­bale de l’intervention.

Une fois l’incendie conte­nu, la troi­sième phase du plan d’attaque s’enclenche : la réar­ti­cu­la­tion du dis­po­si­tif. « Pour com­pen­ser nos moyens hydrau­liques très limi­tés, nous devons exploi­ter au maxi­mum la mobi­li­té de nos lances, jus­ti­fie l’officier supé­rieur. Nous ne sommes pas dans un cas de figure où les équipes d’attaque peuvent fixer leurs lances au dévi­doir. Pour vaincre ce feu, il faut aller au contact. » Les lances à main et le REX s’affairent donc au pied de l’entrepôt. Ils pénètrent dans le bâti­ment pour atteindre la base des flammes.

Chiffres Clés


3 lances canon dont 2 sur bras élé­va­teur aérien et 1 sur le REX
7 lances grande puis­sance
2 lances
8 lignes de 110 éta­blies
79 engins mobi­li­sés
268 mili­taires engagés

ADAPTATION ET INVENTIVITÉ
Mieux, les mili­taires exploitent au maxi­mum les lances de leur BEA. Ils déplacent le véhi­cule et le réali­mentent régu­liè­re­ment. « Sur son bras arti­cu­lé, la lance canon est un outil très effi­cace et mobile. J’ai donc jugé oppor­tun de l’employer à la manière d’une lance de plain-pied afin de frap­per direc­te­ment à l’intérieur de l’entrepôt, pré­cise le COS. Avec leur mobi­li­té, nos BEA cachent un énorme poten­tiel. Si besoin, ils peuvent même atta­quer au ras des pâque­rettes. » Une ini­tia­tive encore peu com­mune au sein de la BSPP mais par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace.
Si la phase d’extinction s’achève, les pom­piers prennent éga­le­ment en consi­dé­ra­tion les risques de pol­lu­tion atmo­sphé­rique. Notam­ment en lien avec le pro­ces­sus PEIGASE (pla­te­forme opé­ra­tion­nelle d’estimation des pol­luants lors d’incendies de grande ampleur pour la pré­ser­va­tion de la san­té et de l’environnement). En effet, le cône de pro­pa­ga­tion des fumées s’est diri­gé vers des zones d’habitation den­sé­ment peu­plées. Ce fac­teur révèle la dimen­sion inter­ser­vices de l’opération, néces­si­tant une com­mu­ni­ca­tion externe, notam­ment avec la pré­fec­ture du Val‑d’Oise.

Après plus de cinq heures de lutte, les pom­piers deviennent maîtres du feu. L’extinction se pour­suit à l’intérieur et les der­niers foyers rési­duels sont éteints. Les équipes cyno­tech­niques, spé­cia­li­sées en recherche de pro­duits accé­lé­ra­teurs d’incendies (RPAI) se rendent sur les lieux avec le labo­ra­toire cen­tral de la pré­fec­ture de Police. (voir article p 48) afin d’identifier l’origine du sinistre. Enfin, dix heures après le début de l’intervention, le feu est éteint et le bâti­ment admi­nis­tra­tif est fina­le­ment sau­vé. Pour lais­ser place à un long déblai et à plu­sieurs nuits de ronde au feu !

Nos BEA cachent un énorme poten­tiel. Si besoin, ils peuvent même atta­quer au ras des pâquerettes

Messages Radio

03 h 10
Violent feu d’entrepôt de 17.000 m² envi­ron à usage de sto­ckage mul­tiple. Deux lances grande puis­sance en manœuvre. Plu­sieurs déto­na­tions res­sen­ties, pour­sui­vons reconnaissances.

02 h 58
De l’adjudant-chef Cos­ta : je demande ren­fort incendie.

03 h 21
Du lieu­te­nant Bœuf : je prends le com­man­de­ment des opé­ra­tions de secours.

03 h 51
Je demande quatre engins-pompe et un camion désincarcération.

04 h 04
Du colo­nel Le Corre : je prends le com­man­de­ment des opé­ra­tions de secours.

04 h 21
Je demande deux engins-pompe et un groupe de recherche et sau­ve­tage en milieu urbain. Le feu inté­resse plu­sieurs alvéoles, quatre lances grande puis­sance en manœuvre et quatre lignes de 110 mm en cours d’établissement.

05 h 27
Cinq lances grande puis­sance dont une sur bras élé­va­teur aérien et quatre lignes de 110 mm établies.

06 h 39
Je demande un four­gon d’appui camion d’accompagnement.

07 h 12
Je demande une relève d’attaque com­po­sée de quatre engins-pompe dont deux chefs de garde incen­die. Feu cir­cons­crit. Il inté­resse la par­tie sto­ckage d’un entre­pôt de 20.000 m² environ.

08 h 11
Maître du feu. Deux lances grande puis­sance, trois lances et trois lances canons dont deux sur bras élé­va­teurs aériens et une sur robot d’extinction en manœuvre. Huit lignes de 110 établies.

11 h 38
Je demande un véhi­cule de secours à vic­time et deux engins pompe chef de garde incendie.

13 h 34
Feu éteint.


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