INVESTIGATION — On a retrouvé la 402 du colonel…

Didier Sapaut —  — Modi­fiée le 3 juillet 2025 à 04 h 17 

Histoire — La Brigade a récemment reçu un don exceptionnel destiné à enrichir son musée. Pièce quasiment unique, la Peugeot 402, véhicule de commandement historique ayant appartenu au colonel du Régiment avant la Seconde Guerre mondiale avait disparu des radars. Mais c’était sans compter avec l’abnégation des collectionneurs et des passionnés d’histoire… Un récit, plein de rebondissements…

Tout com­mence en octobre 1932. Antoine Peu­geot, né le 17 avril 1910 à Valen­ti­gney (Doubs), rejoint le Corps pour effec­tuer son ser­vice mili­taire en tant que sapeur. Il est affec­té à la 4e com­pa­gnie. Diplô­mé de l’École supé­rieure de com­merce, il appar­tient à la famille fon­da­trice des usines auto­mo­biles Peu­geot. Trente ans plus tard, il sié­ge­ra au conseil de sur­veillance de la société.

Un détail le frappe. Lors du défi­lé du 14 juillet, le colo­nel com­man­dant le Régi­ment défile à pied avec son dra­peau alors même que le Corps dis­pose d’un parc de véhi­cules. Mais aucun d’eux n’est adap­té à rece­voir le colo­nel et son dra­peau. Pro­mu sous-offi­cier, Antoine Peu­geot convainc alors ses oncles, diri­geants des usines Peu­geot, de conce­voir un véhi­cule spé­cia­le­ment amé­na­gé pour les céré­mo­nies mili­taires et d’en faire don au Régiment.

Un don pres­ti­gieux. En 1937 – 1938, le Régi­ment reçoit donc un véhi­cule unique : une Peu­geot 402 tor­pé­do (décou­vrable), dotée d’une car­ros­se­rie allon­gée, d’une moto­ri­sa­tion spé­ci­fique et d’un amé­na­ge­ment inté­rieur per­met­tant au chef de Corps de se tenir debout aux côtés de la garde au dra­peau lors des défi­lés. Ce modèle excep­tion­nel est donc conçu « sur mesure » pour les pom­piers de Paris. C’est ain­si que, dans ce pres­ti­gieux véhi­cule, le colo­nel défile les 14 juillet 1938 et 1939.

La Peu­geot 402 sta­tion­nant devant le quar­tier cen­tral Cham­per­ret (état-major du régi­ment de sapeurs-pom­piers de Paris), 05 mai 1940 — Col­lec­tion BCOM/​BSPP
Défi­lé (rue de Rivo­li) orga­ni­sé pour la céré­mo­nie offi­cielle en l’honneur de Jeanne d’Arc en pré­sence du gou­ver­ne­ment fran­çais, 05 mai 1940. À gauche au pied de la sta­tue, Paul Rey­naud (ministre des Affaires étran­gères) et Édouard Dala­dier (ministre de la Guerre et de la Défense natio­nale) — Col­lec­tion BCOM/​BSPP

La 402 conti­nue de ser­vir pen­dant les années sui­vantes. Durant la guerre, elle trans­porte le colo­nel sur les sites de bom­bar­de­ments. Elle est éga­le­ment pré­sente lors de la Libé­ra­tion : au défi­lé du 26 août 1944 devant l’état-major, puis le 11 novembre 1944 sur les Champs-Ély­sées, arbo­rant fiè­re­ment à l’avant la croix de Lor­raine et les dra­peaux des nations victorieuses.

La Peu­geot 402 sor­tant du quar­tier cen­tral Cham­per­ret pour rejoindre les Champs-Ély­sées, 11 novembre 1944 — Col­lec­tion BCOM/​BSPP
11 novembre 1944 — Champs-Ely­sées Paris

Deve­nu obso­lète, le véhi­cule est pro­ba­ble­ment ven­du en 1958. Le centre de secours com­mu­nal de La Cha­ri­té-sur-Loire (Nièvre) l’achète et l’utilise comme véhi­cule de liai­son, avant de la revendre en 1973.

Le jeu de piste. Par la suite, le véhi­cule dis­pa­raît, mais son sou­ve­nir demeure, d’autant que Peu­geot avait pro­duit un second exem­plaire simi­laire, lui aus­si por­té dis­pa­ru en Afrique. La 402 acquiert alors un sta­tut mythique auprès des col­lec­tion­neurs de véhi­cules anciens, en par­ti­cu­lier des pas­sion­nés de la marque.

Vers 2020, le res­pon­sable de la remise du musée apprend, de manière confi­den­tielle, que la voi­ture existe tou­jours et qu’un col­lec­tion­neur ano­nyme en serait pro­prié­taire. La pru­dence est de mise : plu­sieurs ache­teurs convoitent l’automobile. Les inves­ti­ga­tions débutent, mais les fausses pistes se mul­ti­plient. Cer­tains se taisent, d’autres parlent à tort. En 2022, une source indique que le véhi­cule serait en Haute-Savoie, chez un col­lec­tion­neur spé­cia­li­sé dans les Peu­geot 402.

Les pre­mières ten­ta­tives de contact échouent. Fina­le­ment, en mai 2023, le géné­ral Dupré La Tour, com­man­dant la Bri­gade, adresse une lettre au maire de Rumil­ly (Haute-Savoie), sol­li­ci­tant son aide pour entrer en contact avec un de ses admi­nis­trés sup­po­sé déte­nir le véhi­cule. Le maire confie l’affaire à son adjoint, éga­le­ment offi­cier au SDIS 74, qui per­çoit aus­si­tôt l’importance du dos­sier. C’est le déclic ! Grâce à l’intervention de cet adjoint, une mis­sion est orga­ni­sée à l’automne 2023. Le véhi­cule est iden­ti­fié for­mel­le­ment grâce au numé­ro de châs­sis conser­vé dans les archives de la Bri­gade. Le col­lec­tion­neur, bien que sol­li­ci­té par d’autres ache­teurs et conscient de la valeur de cette pièce unique, reste d’abord éva­sif sur la pos­si­bi­li­té d’un don.

Puis, plus rien. Le silence s’installe jusqu’à l’automne 2024, où la nou­velle tombe : le col­lec­tion­neur accepte fina­le­ment de faire don de la 402 au musée de la Bri­gade. Il fau­dra encore quelques mois pour résoudre les ques­tions admi­nis­tra­tives et logis­tiques. L’association des Amis du musée des sapeurs-pom­piers de Paris (AAMSPP) en devient offi­ciel­le­ment pro­prié­taire. Le 19 mai 2025, une équipe de la Bri­gade se rend à Rumil­ly pour récu­pé­rer la 402. Elle sta­tionne désor­mais sur le site de la Com­pa­gnie de main­te­nance et d’appui (CMAI /​BSPP) au camp de Voluceau.

Le véhi­cule est en mau­vais état. Si l’on igno­rait les nom­breuses ten­ta­tives, par­fois à prix éle­vé, faites pour l’acquérir, on pour­rait le consi­dé­rer pour une épave. Mais sa res­tau­ra­tion est pos­sible. Un appel au mécé­nat sera pro­chai­ne­ment lan­cé à cette fin.

La 402 entame son voyage de retour — Rumil­ly, 19 mai 2025 — Pho­to Le DL/​Jennifer Parisot
De gauche à droite : com­man­dant Miguel Mon­tei­ro-Braz (SDIS 74), M. Ray­mond Bibol­let (dona­teur), M. Didier Sapaut (vice-pré­sident de l’AAMSPP), capo­ral Lio­nel Lebraud et capo­ral-chef Carl Mon­de­sire (SCPMT), capo­ral Eddie Lucas (sec­tion trans­port). Pho­to Le DL/​Jennifer Parisot

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